Le philosophe arabe débute sa vie intellectuelle par la raison et l'achève en féqih ! Comment les communistes arabes et maghrébins ont-ils contribué à l'encouragement et à la généralisation de l'islam politique et de la religiosité dans la société malade d'aujourd'hui ? Censés être les éclairés et les éclaireurs de leur société, les communistes arabes et maghrébins et par ambition de se faire une base populaire partisane, n'ont pas hésité à tracer un chemin idéologique dans la boue de l'islam politique. Se pliant à un mode de pensée hégémonique et un mode de comportement communautaire, la gauche arabe et maghrébine a choisi le populisme religieux. Une importante armada d'écrivains, de philosophes et d'historiens connus par leur engagement dans la mouvance de la gauche nous ont légué une grande bibliothèque. Un tas de publications, des écrits de tous bords : philosophiques, historiques, critiques littéraires, poésie, romans politiques et économiques sont l'héritage d'un siècle de présence du communisme arabe et maghrébin. Aujourd'hui, avec du recul, la relecture et la méditation, on constate que la totalité de ces écrivains et théoriciens communistes arabes et maghrébins ou presque, n'ont pas lutté pour épargner la religion des enjeux politiques, mais au contraire, ils ont essayé de l'utiliser à des fins idéologiques et partisanes. Les communistes arabes et maghrébins considèrent que la laïcité est un choix politique bourgeois parce que cette dernière défend le droit à la liberté individuelle et l'orientation sexuelle. Et que les libéraux sont des petits bourgeois, les ennemis de la justice et les pions de la modernité occidentale bourgeoise. Ils se sont trompés d'ennemi ! En défendant le choix de la politisation de l'islam, en la pratiquant à l'image des autres partis salafistes et traditionnels, les communistes arabes et maghrébins se sont donnés au populisme religieux. Et, de ce fait, ils ont accéléré le phénomène de la religiosité de la société, notamment dans les milieux universitaires et les cercles des intellectuels. Le penseur Hussein M'roua (1908-1987), assassiné par la horde islamiste, lui qui est considéré comme le théoricien et le philosophe du Parti communiste libanais, a écrit un énorme livre intitulé "Les tendances matérialistes dans la philosophie arabo-musulmane" (Annazaât al madiya fi al falsafa al rabiya al islamiya) (en quatre tomes). Dans ce livre considéré comme la Bible ou le Coran chez les intellectuels communistes arabes dans les années 70 et 80, Hussein M'roua tente par tous les moyens de trouver les traces du "matérialisme historique et le matérialisme dialectique" dans les textes fondamentaux de l'islam et dans la pensée islamique. Hussein M'roua, Tayyib Tizini, Mohamed Amara, Mahmoud Amin Al Âlam, Ghali Choukri, Mohamed Aziz Lahbabi, Mohamed Abed Al Jabri… et d'autres ont creusé dans les détails de quelques révoltes ou émeutes survenues dans l'Histoire ancienne des musulmans (du 1er au 5e siècle de l'hégire), pour les présenter aux lecteurs tantôt comme la "Commune de Paris" islamique tantôt comme "la révolution d'Octobre" des musulmans ! Pour justifier ou pour légitimer la présence du communisme dans la société musulmane ou islamisée, ces écrivains n'ont cessé d'énumérer des soulèvements populaires contre le pouvoir central qu'a connus l'Histoire musulmane ancienne dans l'Orient comme en Afrique du Nord. Ils ont glorifié l'histoire des qarmate (Al Karamita) en faisant de leur soulèvement un point focal du "communisme islamique" ! image de l'islam communiste et de la pensée matérialiste. Ils ont creusé dans le Coran. Ils ont choisi quelques versets pour dire que le Coran n'est pas contre le communisme, et lui aussi défend la justice sociale et contre le capitalisme et le féodalisme. Pour dire que le texte sacré soutient le communisme ! Ils ont pioché dans les hadiths, ont fait sortir quelques hadiths célébrant les pauvres et les nécessiteux, pour dire que la sunna est avec la classe ouvrière ! Et le communisme a ses racines dans les propos du prophète de l'islam. Ces écrivains communistes ont exposé, dans leurs écrits, les divergences et les guerres déclarées entre les califes sages, bien guidés (al kholafae arrachidine) pour classer les uns avec le prolétariat et les autres avec les oligarchies ! Ils ont cherché dans la vie dramatique d'Abu Dharri al Ghaffari et celle d'Omar Ibn Al Khatab et d'autres compagnons du Prophète, afin de les présenter analogues à Trotski, Che Guevara, Martin Luther King, Nelson Mandela, Mohandas Gandhi, Hô Chi Minh… Ils ont pioché dans la poésie dans le but de mettre la main sur les ressemblances entre les poètes Saâliq (les brigands) tels Orwa Ibn Al ward, Essallik Ibn Essalika, Taabbata Charrane, al Chanfara… et leurs arrière-petits-fils Maïakovski, Pouchkine, Aragon, Paul Eluard, Brecht, Neruda, Nazim Hikmet ! … Quelques écrits et tracts des partis communistes arabes et maghrébins ont fait de leurs chefs des marabouts ! Ainsi le militant communiste anticolonialiste algérien Chebbah el Makki est présenté dans plusieurs écrits en tant qu'ami de l'Association des ulémas musulmans et non pas comme militant de la cause nationale et humaine. Les écrivains communistes, historiens, philosophes et critiques n'ont pas présenté aux lecteurs le communisme dans sa théorie universelle, comme elle a été élaborée par Marx, Engels, Lénine, Althusser… ils ont préféré passer par la propagande idéologique populiste islamique. Ainsi leurs adversaires idéologiques, à leur tête le parti des Frères musulmans et ses dérivés, ont trouvé l'arme facile pour répondre à ces communistes : si vous dites que les idées communistes existent dans le Coran, dans la sira du prophète, dans les hadiths, dans la littérature, pourquoi alors ne pas appliquer la charia et en finir avec toutes ces idéologies importées ? Ainsi, inconsciemment, les communistes arabes et maghrébins ont contribué à la survie de l'idéologie islamiste, à la propagation et à la prolifération de la religiosité dans notre société intellectuelle actuelle.