Cette année, le prix Goncourt a échappé au trio Gallimard, Seuil, Grasset, pour venir récompenser une petite maison d'édition très dynamique, Actes Sud, qui défend une littérature authentique en rupture avec “le star system” et ses figures emblématiques qui se recrutent sur les plateaux télés. Une consécration qui ne doit donc rien au hasard, car le roman distingué, Le Soleil des Scorta, vaut vraiment le détour. Dès le début, on sent chez l'auteur, Laurent Gaudé, une sorte d'humilité et de simplicité dans le style, qui envoûtent le lecteur. Le Soleil des Scorta est une saga familiale qui se déroule sur plus d'un siècle. Un long conte qui nous plonge dans une généalogie de l'Italie rurale, en un mot une histoire qui sent la terre et la proximité de la mer. La lignée des Scorta, dont il est question ici, est née d'un viol commis par l'aïeul, Luciano Mascalzone, contre la fille d'une famille respectable du village de Montepuccio. Cet homme aux manières rudes sème partout, depuis ce jour, la terreur là où il passe. Quand une lignée est fondée comme ça par le biais d'un acte répréhensible, la descendance, malgré elle, porte les stigmates du crime impuni comme une malédiction. La communauté intègre la haine et, grâce à la transmission mémorielle, jette l'opprobre sur les Scorta. Les trois survivants de cette lignée s'arrachent au village et vont tenter leurs chances en Amérique. Ce pays de Cocagne, qui semble ouvrir ses bras à tous, se ferme aux Scorta, car Carmela traîne une maladie respiratoire. Retour au bercail avec comme viatique le rêve avorté d'une prospérité à portée de main. Dans le bateau qui les ramenait, affrété par le pays hôte, ils mettront des mois avant de regagner la terre natale. Ce bateau doit faire tous les ports d'Europe pour se débarrasser de cette cargaison formée des recalés du rêve américain. Trouvant le temps long, Carmela et ses frères mettent à profit ce périple pour rendre de petits services aux voyageurs et arrivent à engranger une somme d'argent conséquente. À Montepuccio, ils ne suscitent plus la méfiance, on dirait que l'Amérique avait effacé toutes les haines ataviques. Grâce à la perspicacité de Carmela, qui leur a suggéré d'ouvrir le premier bureau de tabac du village, les Scorta vont gagner en respectabilité et en honorabilité. Par la force des choses, ils sont devenus des citoyens très estimés. Ainsi, la famille s'est élargie et les alliances matrimoniales contractées ont amélioré les mœurs des descendants de Luciano Mascalzone. Laurent Gaudé a réussi, avec Le Soleil des Scorta, à écrire une histoire de la Méditerranée qu'on pouvait lire aussi bien chez Kadaré, l'Albanais, que chez Kemal le Turc. Une histoire transfrontalière qui, grâce au talent de Laurent Gaudé, la rend si proche de nous. Slimane Aït Sidhoum