Elles avaient remède à tout, puisant dans la médecine populaire un savoir transmis de génération en génération pour vaincre la souffrance et améliorer la santé. Si certaines de leurs pratiques médicales paraissent, aujourd'hui, parfois étranges (de par leurs propriétés magiques), d'autres, au contraire, semblent plus fondées, plus efficaces (certaines pratiquaient l'acupuncture sans le savoir… !). Elles savaient utiliser toutes (ou presque) les ressources de la nature, connaissant tous les noms des plantes qui poussent chez nous et leurs vertus curatives ou nourricières. Les recettes transmises de mère en fille ont traversé le temps sans prendre aucune ride : simplement parce qu'elles étaient efficaces. Les femmes ont recours, encore aujourd'hui, aux vieilles formules à base de produits naturels, bien souvent avant même de se rendre chez le médecin. Par habitude, par tradition (elles conservent des traditions herboristes ancestrales), par conviction, par ignorance, par manque de moyens aussi, par peur (de l'inconnu, de complications, de dépenses auxquelles elles n'auraient pas pu faire face) encore, peut-être… Et sans doute pour tout à la fois. Cette “médecine”, considérée par certaines comme celle des pauvres et des ignorantes, n'est pas l'apanage du “petit peuple”. Beaucoup de femmes ont, encore, les réflexes de leur mère et leur grand-mère, mais encore devant l'échec de traitements médicaux, bon nombre d'entre elles ont recours aux remèdes naturels, aux thérapeutiques douces (qui “si elles ne guérissent pas toujours, ne nuisent pas” a-t-on coutume de dire). Mais, si autrefois elles constituaient, elles-mêmes, leur propre pharmacopée en se rendant au maquis ou à la montagne où elles cueillaient avec soin les plantes médicinales qu'elles faisaient, ensuite, sécher au soleil avant de les conserver dans des bocaux, aujourd'hui, elles se fient à la “science” de l'herboriste qui a, généralement, tout ce qu'elles cherchent, confortées aussi par une mémoire de noms, d'odeurs liées aux traditions, à leur enfance… En dehors des guérisseuses, des rebouteuses et autres masseuses au coup de main particulier ou au don reconnu, les femmes soignaient leur maisonnée avec peu de choses : des simples ou des mélanges concoctés par leurs soins. Dans tous les foyers, il y avait (il y a encore un peu) de quoi remédier à une diarrhée, un mal de tête tenace, des douleurs abdominales, articulaires, un refroidissement, une indigestion, une lombalgie, une conjonctivite, un panaris, de quoi faire activer un accouchement, le rétablissement de l'accouchée, la repousse de cheveux, faire mûrir un furoncle, soigner une laryngite, une angine… Les pathologies se résumaient, en général, à quelques affections connues et pour lesquelles elles avaient toutes un remède. À chaque bobo, sa recette Une migraine ? Et elles s'aspergent la tête d'eau de fleur d'oranger (aujourd'hui, un produit de synthèse, qui a un effet placebo, puisqu'elles sont persuadées qu'il guérit) ; une insolation ? Et elles la (la tête) mouillent avec du vinaigre. Bébé a des douleurs abdominales ? Elles remplacent son dernier biberon par de la tisane de cumin et de carvi. Des pertes vaginales ? Elles se lavent avec une décoction de lentisque (edhar'ou). Un ulcère, le diabète, l'ictère ? Il y a des plantes et des racines pour cela (certaines viennent du sud du pays). Des coliques ? Une indigestion ? Le diagnostic tombe sans hésitation : c'est “essoura tahet !” (littéralement : descente de nombril), on a recours, alors, à la bonne vieille méthode, celle d'une vieille femme (ou d'un vieil homme : les femmes font appel, pour cela, aux femmes et les hommes à la gent du même sexe) à la “bonne main”. Celle-ci procédait d'abord à une friction prolongée du bas ventre de la personne souffrante et étendue. Ensuite, la “praticienne” lui étirait la peau du dos, à la hauteur des reins, pour produire de petits claquements. Elle lui introduisait alors son index replié dans le nombril et lui imprimait un tour de vis douloureux. L'organe descendu était, ainsi, redressé et la malade ressentait effectivement une sensation de bien-être après cette intervention, un soulagement réel. Elle était, en somme, remise de son mal. Dans les compagnes, elles possédaient à la maison tout un attirail qui leur permettait de faire face à toute éventualité. Elles conservaient soigneusement tout ce que la région recelait de plantes aromatiques séchées et de résines. Elles y adjoignaient aussi des produits d'essences chimiques ou animales. On pouvait trouver alors l'incontournable huile d'olive, du séné, de la rhubarbe, de la cardamone, du thym, de la mélisse, de l'armoise, du romarin, du thuya, de la garance, du fenugrec, de la coriande, du benjoin, du bois de santal, du borax, de la muscade, des clous de girofle, du gingembre, de l'antimoine, du henné, du kaolin… Que sais-je encore ! Toute une foule de drogues qu'elles conservaient dans des petits carrés de toile nouée en forme de bourses, dans des boîtes métalliques, des flacons en verre, des bocaux… Elles évoluaient dans cette masse d'ingrédients avec une sûreté et une aisance extraordinaire sans jamais craindre de se tromper ou de nuire à la santé de celui ou celle à qui elle les faisait avaler… À chaque bobo, sa recette qui faisait souvent miracle. Elles ont, ainsi, soigné leurs enfants (aujourd'hui pères, grand-pères ou arrière-grand-pères), certaines en ont eu 14. Tous vivants. Khalti R'kiya n'a jamais consulté de docteur de sa vie, tout comme son vieux mari noueux “comme un cep de vigne”. Ils sont morts respectivement à 79 et 87 ans, de mort naturelle, il y a une quinzaine d'années (à quelques années d'intervalle. Aâmmi Larbi fumait beaucoup, confectionnant lui-même ses cigarettes avec du tabac pur (des feuilles séchées qu'il pilait) et ne buvait jamais de lait. Il prenait, par contre, plusieurs tasses de café noir fort par jour. Elle aimait à se faire plaisir, mangeant sans retenue tout ce qui lui plaisait : des sucreries, des plats épicés, du gras… Pour sa beauté, elle usait d'ordinaire de brou de noix, de henné et de la sève de serment de vigne passé sur le brasero dont elle s'enduisit les ongles. Le couple s'est toujours soigné, lorsque le besoin se faisait sentir, à l'argile, au henné, à l'antimoine, à la menthe, à la gomme arabique, à l'armoise, à la vervène, à la bourrache, à la rue, au raifort, à l'origan, à la sauge, à l'absinthe, à l'ortie, au romarin, à la myrrhe, à l'aubépine, au miel… El Hadj Haroun, 96 ans, n'a jamais vu de médecin de sa vie. Il y a deux ans, pour “mieux voir”, il a été contraint de passer sur le billard et de prendre, malgré lui, un traitement médical. Sa femme et lui se sont toujours soignés par les plantes. Ils ont résisté à toutes les maladies. Difficile d'y croire, aujourd'hui ! Il faut savoir que dans les compagnes reculées aujourd'hui encore, les femmes ont recours à des matrones pour les accoucher. Et en zones rurales, comme dans la ville, elles se rendent spontanément chez des guérisseurs (ou des guérisseuses) capables de “stopper” (yeqtaâ), faire disparaître, mettre fin à une sciatique, des angines à répétition, une coqueluche (l'existence du vaccin est parfois encore ignorée), une dermatose, un ictère… Une douleur articulaire ? Une luxation ? Elles connaissent celle qui a le don par des massages de faire disparaître la douleur. Ce peut-être tout simplement une femme qui a accouché de jumeaux… Les “talebs”, les “raqis” (ils pratiquent la lecture du Coran à des fins thérapeutiques), les exorcistes ont souvent la palme… Elles les consultent avant tout et pour tout : le mauvais œil, le mal-être, la malchance, l'échec à un examen, le désamour, la stérilité, mais aussi pour l'arthrose, la migraine, la… myopathie, la poliomyélite, la trisomie 21, le cancer… Entre-temps, elles auraient essayé les liniments, les décoctions, les cataplasmes… Cela donne de bons résultats dans certains cas, cela en aggrave d'autres et retarde le processus de guérison. Bien des médecins se plaignent d'être moins convaincants qu'un taleb, un guérisseur aux pouvoirs très controversés, un charlatan sans scrupules, (tous analphabètes et pratiquent des tarifs exorbitants) qui attirent, cependant, un monde fou, quand le praticien spécialiste qui a fait de longues études paie des impôts, la location du cabinet au prix fort compte, chaque jour, sur les doigts de la main les clients de la journée. Il faut savoir que des médecins qui ont “grandi” au bénéfice de remèdes de grand-mère conseillent parfois à leurs patientes “d'essayer les plantes”, de “consulter un taleb”… devant leur impuissance à soigner certains cas. Il est certain qu'à l'heure où les excès de la civilisation font rage, la phytothérapie, les médecines douces retrouvent leurs lettres de noblesse. Dans ce contexte où le stress, la déprime, le mal-être sur le lot de tout un chacun, les femmes prises dans le tourbillon de la vie moderne, fatiguées, anxieuses, irritables… et qui ne trouvent pas toujours la solution à leurs maux dans les médicaments (non exempts d'effets secondaires) reviennent aux recettes anciennes issues de la sagesse populaire. Pour leur grand bien ou pour leur malheur. Avec un certain fatalisme, tout de même. Et, parfois, biens des désillusions. F. B.