En imposant un cap bien précis, le pouvoir a lui-même piégé son initiative. Présentée par certains observateurs comme une concession faite au mouvement populaire, l'offre de dialogue du chef de l'Etat intérimaire, Abdelkader Bensalah, dont le mandat a expiré constitutionnellement le 9 juillet dernier, semble avoir du plomb dans l'aile. Plus de dix jours après sa dernière sortie, force est de constater que ce dialogue demeure un vœu pieux. Ni les partis et les autres associations n'ont réussi à transcender certaines de leurs divergences pour esquisser une démarche commune, comme l'ont révélé les réunions séparées des forces pour une alternative démocratique et des forces du changement, ni des figures consensuelles n'ont émergé du mouvement et ni le pouvoir n'a fait montre de geste allant dans le sens de l'apaisement. "Le processus de dialogue qui sera lancé incessamment sera conduit et mené en toute liberté et en toute transparence par des personnalités nationales crédibles, indépendantes, sans affiliation partisane et sans ambition électorale. Des personnalités qui émergent du fait de leur autorité morale ou de leur légitimité historique, politique ou socioprofessionnelle, les rendant éligibles à l'accomplissement de cette noble mission et qui seraient de nature à les aider à conduire et à faciliter ce dialogue", avait soutenu Abdelkader Bensalah. Non seulement, à ce jour, aucune personnalité n'a émergé pour faire partie du panel devant conduire ce dialogue, mais aussi le fait que le pouvoir ait imposé un cap, à savoir que le dialogue souhaité doit être "inclusif" — comprendre associer les partis comme le FLN ou encore le RND et autres associations satellites du pouvoir — et consacré exclusivement à l'élection présidentielle et aux conditions à réunir pour la tenue du scrutin, semble avoir piégé l'initiative. Il faut dire que, dès le début du mouvement, le pouvoir, via ses relais médiatiques, n'a pas cessé de stigmatiser toutes les figures qui pouvaient susciter l'adhésion de la population. Il a également fait la sourde-oreille aux propositions de certaines figures politiques, comme Taleb Ibrahimi, Benyellès, Ali Yahia Abdenour ou encore Saïd Sadi, pour n'en citer que quelques-unes. Même sort réservé aux initiatives des dynamiques de la société civile. Pour avoir compté, en catimini, sur les chances de succès du forum pour le "dialogue national", le pouvoir a dû se rendre compte des limites d'une démarche qui ne peut le soustraire à l'obligation d'aller à des révisions déchirantes, comme la séparation avec les figures dont la rue réclame le renvoi, à savoir Abdelkader Bensalah, mais également Noureddine Bedoui. Cela, sans compter la nécessité de la levée des contraintes à l'exercice des libertés. Aussi, le flou persiste toujours sur les critères et autres paramètres devant présider au choix du panel devant conduire le dialogue. Présenté comme une "urgence", le dialogue ne semble pas prêt à s'engager, du moins tel que présenté par les tenants du pouvoir. Quelle parade alors face à cette panne ? Alors que des conciliabules sont engagés au sein des dynamiques de la société civile pour élargir la concertation aux formations politiques dans l'espoir d'aller à une grande conférence nationale et éventuellement dégager des figures susceptibles de parrainer le dialogue, le pouvoir semble être prisonnier de sa propre logique et dans l'incapacité de proposer une alternative à même de convaincre l'opinion et de rétablir la confiance. Et si on prête l'oreille à la "rue" qui proclame qu'il "n'y aura pas de dialogue" avec la "îssaba" ou encore "pas de dialogue avec le gouvernement", autant dire que le pouvoir est désormais contraint à l'unique solution qui s'offre à lui : la "négociation". "Concernant le dialogue proposé, c'est pour moi une grosse supercherie. En effet, le pouvoir impose un cap et invite les acteurs de la société à se charger de l'exécution. C'est du mépris. Tout d'abord, les responsables du fiasco doivent se taire à jamais. Ils ne sont plus habilités à proposer, et encore moins à imposer. Ensuite, personnellement, je suis opposé au dialogue pour une raison simple. Le dialogue est un échange entre parties. Il ne donne lieu à aucune obligation et occulte la question des responsabilités. En revanche, la négociation renferme en elle l'idée de conflit. Dans le cas présent, le conflit oppose la société tout entière à un système dans sa globalité. Ce conflit est indépassable dans le cadre de l'ordre actuel. Par conséquent, l'une des deux parties au conflit doit disparaître. Comme le peuple est le principe premier de la vie sociale, c'est donc au système de partir. La négociation portera exclusivement sur les modalités de départ du système. C'est l'exigence clairement et inlassablement exprimée par les citoyennes et les citoyens depuis maintenant près de cinq mois", résumait hier, dans un entretien à Liberté, Djamel Zenati.