La réalité que vit aujourd'hui la capitale des oasis dément formellement les discours pompeux du gouvernement, des parlementaires et des élus locaux. Ouargla n'est finalement pas cette belle carte postale du Grand Sud tant vantée dans les salons. onnue pour être La Mecque des employés étrangers et qui a toujours enregistré un nombre impressionnant d'étrangers, avec près de 157 nationalités transitant sur son territoire, Ouargla était loin pourtant d'être une ville ouverte au monde. Aujourd'hui, elle l'est encore. Les étrangers qui y vivent là-bas préfèrent “camper” à Hassi Messaoud. À 80 km. C'est là-bas qu'ils bossent. Qu'ils gagnent leur pain avec des sociétés pétrolières. La capitale des oasis n'offre plus les conditions pour faire du tourisme. Une ressource, autrefois, inestimable. Encore moins un cadre de vie à la limite de l'acceptable. “Les touristes étrangers ne fréquentent plus Ouargla depuis quelques années. Notre ville a perdu tout ce qui peut les motiver à la visiter.” Mohamed est formel. Les jours meilleurs sont loin. Même si l'espoir est encore permis. Ce commerçant du fameux Souk El H'djar, un marché célèbre pour la vente des objets traditionnels, notamment les roses de sable, situé dans l'ancien ksar, comme l'appelle les Ouarglis, voit un peu plus chaque jour, ce “fourre-tout” chômer. Point de touristes ! Sous un soleil de plomb, les acolytes de Mohamed, commerçants de leur état, roulent les pouces. Ils regrettent et déplorent la “fin d'une époque” quand les “touristes pèlerins” leur achetaient tout. Ces étrangers semblent changer de ciel, boycottant, du coup, leur ville. Leurs oasis. Ces “pauvres” commerçants ne cessent d'évoquer ces meilleurs moments. Tourmentés. Jadis, il faisait bon vivre dans la capitale des oasis. Y compris pour nos compatriotes qui viennent des quatre coins du pays pour se permettre des virées dans les ksars ou autres virées pédestres, ou encore pour travailler. Maintenant, la belle oasis offre un visage triste. Une cité dégradée. Délabrée. Livrée à elle-même. Avec ses rues complètement cabossées et ses décharges sauvages. Loin des discours pompeux du développement du Grand Sud que promettent nos parlementaires et notre gouvernement. Cette ville du Sahara, comme le préfèrent les “Nordistes”, située à 800 km d'Alger, bien qu'elle recèle les premières richesses du pays, fait face au chômage. À la pauvreté. À la misère. À la criminalité qui ne cesse de s'accroître. Comme toutes les villes d'Algérie menacées par les fléaux de société. Mais ce n'est guère cet état de faits qui a fait fuir les touristes. Le cadre de vie est loin d'être celui que recherchent les familles qui s'y rendent pour un moment de détente et de dépaysement. Ici, à Ouargla, la réglementation du commerce est plutôt moins flexible. Rigide. À l'instar de la commercialisation des boissons alcoolisées. Le mot “pénurie” revient sur toutes les lèvres des quelques touristes que nous avons abordés. Dans la discrétion. En parallèle, la vente au noir fait ravage. Devant l'absence d'établissements appropriés ou homologués pour les consommateurs, la commercialisation de ces produits fait grand défaut dans cette grande ville du sud. Un sénateur, sollicité à se prononcer sur cette question, n'a pas mâché ses mots. Il accuse ouvertement quelques responsables locaux de “nourrir une grande révolte”. Il indiquera, révolté, que “les lois de la République sont appliquées d'une façon différente dans cette wilaya”. Des hangars en guise de… bars ! fera remarquer que contrairement aux autres grandes villes voisines, Ouargla ne dispose d'aucun établissement décent pour les consommateurs de l'alcool. Il avouera, en revanche, que la vente de ces produits se fait d'une façon informelle dans plusieurs endroits isolés de la banlieue de la ville. Au su et au vu de tout le monde. Installé en majorité dans de grands hangars avec des portails blindés, les trafiquants de boissons alcoolisées ne sont nullement inquiétés. Ils reçoivent quotidiennement des commandes de clients potentiels. Souvent, des responsables “bien placés”. À Ouargla, la vente se fait dans la discrétion la plus totale dans la soirée. Dans ces coins, les agressions sont monnaie courante. Les clients n'ayant aucun choix sont souvent contraints de se faire accompagner par des malabars pour se protéger. Quant aux autres consommateurs, plutôt sérieux et discrets, ils préfèrent se déplacer à Hassi Messaoud pour éviter les problèmes. “Nous sommes des cibles potentielles aux yeux des agresseurs. Nous trouvons beaucoup de difficultés pour nous approvisionner ou du moins prendre un pot en toute tranquillité”, nous confie un médecin. À la direction de la santé de la wilaya, c'est l'omerta. “Allez-y voir avec le chargé de la communication”, nous dit-on. En revanche, le médecin que nous avons rencontré dans cette région nous dira qu'“il n'y a qu'à voir la belle palmeraie et les dunes de Sidi Khouiled, connus jadis pour être des endroits de détente, pour évaluer la gravité de la situation. Ces endroits devenus très pollués par les emballages des boissons alcoolisées jetés vulgairement sont aussi des coins où la criminalité a élu domicile. Surtout pendant la nuit”. Les intellectuels qui soient Ouarglis ou originaires d'autres régions du pays se trouvent confrontés à un énorme tabou, tout comme les commerçants d'ailleurs, qui protestent contre le laxisme de l'administration qui semble “fermer les yeux” sur la vente au noir des boissons alcoolisées. 150 demandes de licence, pas une seule réponse Selon des informations recueillies sur place, 150 dossiers de demande de licence de débit de boissons alcoolisées et pas des moindres ont été déposés au niveau de la wilaya. Ils sont tous bloqués au moment où plusieurs fraudeurs s'adonnent, sous les regards des autorités, à la vente clandestine de ces produits. “Les wilayas limitrophes comme Ghardaïa et El Oued n'ont pas ce genre de problème. Ghardaïa, qui est pourtant connue pour être une ville conservatrice, ne connaît pas ce fléau. Ce commerce y est bien réglementé”, s'est indigné un commerçant qui a déposé une demande de licence au niveau de la wilaya sans avoir jusqu'à ce jour une réponse. Un autre commerçant accuse le directeur de la réglementation et des affaires générales de la wilaya de Ouargla d'être derrière le blocage pour des raisons “spirituelles”. Sous le couvert de la bureaucratie. “À Biskra, une grande affiche d'une marque de bière domine l'entrée de la ville. Ouargla ne peut être une ville plus conservatrice que Biskra !” renchérit ce commerçant visiblement outré par l'administration locale qui semble faire la sourde oreille à leurs demandes. Nos tentatives d'avoir un rendez-vous avec le premier responsable de la Drag de la wilaya de Ouargla sont restées vaines. Un notable de Ouargla qui a pu rencontrer un responsable de la wilaya pour lui demander des explications au sujet de la réglementation de la commercialisation des boissons alcoolisées lui aurait signifié que “ce genre de commerce n'est pas accepté dans la chef-lieu de la wilaya”. Beaucoup comme ce responsable préfèrent ne pas aborder ce sujet. C'est le cas d'une avocate, qui a parmi ses clients un détenteur d'une licence de débit de boissons alcoolisées et qui n'arrive pas encore à exploiter. Agressive, cette avocate n'a pas apprécié cela. c'est selon que Liberté enquête sur une affaire qu'elle a perdue “facilement” devant les tribunaux. Son client était contraint de chercher un autre avocat à Alger pour obtenir ses droits. Seul détenteur de la licence n°2 (bar, brasserie et vente à emporter) à Ouargla, obtenue le 7 juillet 1999, M. Smaïl Amghar ne sait plus à quel saint se vouer. Ancien gérant d'un restaurant classé 3 étoiles, ce professionnel de la restauration, très connu à Ouargla pour être aussi le créateur du Marhaba, un établissement connu jadis par ses qualités de services, s'est vu installé dans un nouveau local sur le grand boulevard La Palestine. Voulant redémarrer son activité avec ses documents, M. Amghar s'est trouvé face à une mafia. Ainsi, il a reçu une correspondance le 17 septembre 2001, émanant du Drag, lui interdisant l'exploitation de sa licence dans le nouveau local sous prétexte que l'exercice de ce commerce risque de “perturber la tranquillité publique”, selon un PV d'enquête de la Sûreté de wilaya dont le siège se trouve à quelques mètres du local en question. Non dissuadé par cette mesure, M. Amghar, qui ne veut pas baisser les bras, sollicitera alors l'intervention de plusieurs responsables, dont le wali. En vain. Il décide alors de poursuivre la wilaya en justice pour faire valoir ses droits. Ses anciens clients, qui reconnaissent sa bonne réputation et son savoir-faire, sont convaincus que l'ancien gérant du Marhaba est dans le collimateur des fraudeurs qui bénéficient d'un soutien d'un groupe d'intérêts bien infiltré dans l'administration. Les pouvoirs publics, quant à eux, gardent un silence étrange face à cette situation déplorable dans le chef-lieu d'une wilaya qui devrait refléter l'image d'un Etat républicain. Il était une fois le “Marhaba” En matière de restauration, la ville de Ouargla a été très connue pendant près de dix années par son excellent établissement, le Marhaba. Confirmé dans les échelles de restauration haut de gamme et en brasserie haut standing, il a été le fruit d'un travail d'équipe dirigée par M. Smaïl Amghar qui, après avoir vécu une bonne partie de sa vie en Europe, puis après une petite carrière dans une administration à Alger, a décidé de s'installer à Ouargla alors qu'il était un simple touriste. C'était en 1986. Il s'est lancé alors dans un projet fou, celui d'ouvrir une poissonnerie ! Ce projet, qui a paru incongru à certains responsables locaux, a pu voir le jour bon gré mal gré. Le poissonnier du désert a été obligé ensuite de mener une bataille “culinaire” pour changer les “mœurs gastronomiques”. Une bataille gagnée puisque M. Amghar a réussi au bout de 3 années à intégrer le poisson dans la tradition culinaire des Ouarglis. Cette poissonnerie située à Souk Sebt deviendra vite le rendez-vous de tous les gourmets de la ville. Elle a eu même un prix lors de la première exposition nationale de la pêche organisée en 1987 à Béni Saf. En 1989, le restaurant Marhaba est né. M. Amghar en fait le coin préféré des touristes, des responsables locaux et de tous les invités de marque de la wilaya. Au 3e Salon international du tourisme d'Alger en 2000 et au Salon Sud 4X4, ce bijou a reçu de meilleures distinctions de la part des organisateurs pour la qualité des prestations. M. Amghar aura même marqué l'actualité locale par ses dons au mouvement féminin algérien de solidarité avec la famille rurale présidé par Mme Saïda Benhabylès. Ce mouvement a, depuis, contribué dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Autant de souvenirs. Autant d'efforts consentis par des investisseurs pour mettre un terme au marasme qui ronge cette belle oasis. Hélas ! On achève bien le tourisme. L. G.