Le ministère public a eu la main lourde, hier en requérant 10 ans de prison et 20 millions de centimes à l'encontre de Nadir Leftissi, un quadragénaire originaire de Béjaïa, qui comparaissait devant le tribunal correctionnel d'Annaba, sous le chef d'inculpation d'atteinte à l'intégrité du territoire national. Un procès auquel une vingtaine d'avocats, qui se sont constitués volontairement pour être aux côtés de Nadir Leftissi face à un procureur, qui a tenu à tout prix à faire payer le prix fort à ce jeune Bougiote de 41 ans, arrêté et placé sous mandat de dépôt pour avoir brandi l'emblème amazigh, lors de la marche du vendredi 5 juillet. L'audience qui a débuté à 9h, s'est déroulée sous haute sécurité en raison d'une présence de militants des droits de l'Homme et de journalistes venus assister à ce procès inédit, émaillé d'incidents entre acteurs judiciaires. Entre l'un des avocats et le procureur de la République d'abord lorsqu'il s'est agi de débattre de la qualification du grief retenu contre Nadir Leftissi, et entre ce dernier et la juge, ensuite, qui lui reprochait d'interrompre sans cesse les plaidoyers, ce qui a été à l'origine d'une suspension de séance et l'arbitrage du président du tribunal. À la reprise de l'audience, une demi-heure après ces joutes verbales et les explications de l'accusé, qui a précisé qu'il se trouvait à Annaba avec son frère dans un cadre professionnel — tous deux étant des ouvriers du bâtiment — tout en reconnaissant qu'il a participé à la marche du vendredi 5 juillet. Les avocats se sont succédé à la barre pour démonter le chef d'accusation d'atteinte à l'intégrité du territoire national en soutenant que l'article 79 du code pénal évoqué par le juge d'instruction n'est pas approprié dans ce cas. "Ce que notre client a fait ne porte aucunement atteinte à l'intégrité territoriale de notre pays. Et puis, aucun texte de loi ne condamne le port d'aucun drapeau. C'est pour cela que nous avons demandé que notre client soit relaxé", a protesté Me Yasmina Alili à la sortie du tribunal. Me Kouceila Zerguine, avocat du barreau d'Annaba et militant des droits de l'Homme, abonde dans le même sens en soulignant, lui aussi, le parti pris flagrant du juge qui a dirigé l'instruction et la volonté d'inculper ce manifestant. "Il a été d'abord jugé en instruction, puis déféré devant le tribunal d'Annaba pour le chef d'inculpation d'atteinte à l'intégrité du territoire national et non pas pour atteinte à la sûreté de l'Etat. C'est l'article 79 du code pénal qui est utilisé, alors qu'il n'existe, en vertu de l'article 1 du code pénal, aucun fait qui puisse avoir la qualification d'une infraction, d'un délit et encore moins d'un crime. Nous avons donc demandé la relaxe de notre client, vu qu'il n'existe aucune loi qui interdit le port de l'emblème amazighe. Nous avons, par ailleurs, dénoncé le fait, de vouloir s'ingérer dans les prérogatives d'une institution indépendante, qui est l'appareil judiciaire. Aucune autre institution n'a le droit de dicter ou réclamer quoi que ce soit à l'autorité judiciaire indépendante. C'est un procès à background politique, dans la mesure où l'institution militaire a voulu faire poursuivre les citoyens qui ont porté le drapeau de la culture amazighe", a confié Me Zerguine. Un autre avocat a, quant à lui, été plus catégorique en récusant la mise en accusation de Nadir Leftissi. Pour lui ce jeune est un prisonnier d'opinion qui a été incarcéré du fait de ses convictions politiques et juste pour cela. Le verdict sera rendu ce jeudi 8 août.