Un rassemblement de solidarité avec les détenus d'opinion s'est tenu hier matin devant la cour d'Alger en présence de leurs familles, de leurs avocats et de plusieurs militants et figures politiques, pour exiger la libération inconditionnelle de tous les citoyens injustement incarcérés. Parmi les présents, il y avait Atmane Mazouz du RCD, Fethi Ghares du MDS, Amar Laskri du FFS, Me Noureddine Benissad de la LADDH ou encore Samir Larabi du PST. Il y avait également le chroniqueur Mustapha Hamouche, l'avocate Fetta Sadat, la militante féministe Amel Hadjadj ainsi que plusieurs membres du Réseau de lutte contre la répression, dont l'ancien journaliste de la Chaîne 3 Chadli Boufaroua, l'écrivaine Hajar Bali, Me Aouicha Bekhti… Plusieurs militants et cadres du RCD se sont déplacés en force en soutien à leur camarade Samira Messouci, jeune élue APW à Tizi Ouzou arrêtée lors de la marche du 28 juin, à Alger, pour port du drapeau amazigh. De nombreux portraits ornés du doux visage de Samira étaient brandis, dont un grand poster assorti de ce slogan : «Libérez tous les détenus d'opinion». On pouvait remarquer aussi des portraits d'autres détenus hissés par les manifestants : Ould Taleb Amine, Mokrane Challal, Bilal Bacha ou encore Walid Aouissi, dont l'effigie est accompagnée de ce message : «Libérez nos jeunes». Pour se protéger du cagnard, un monsieur d'un certain âge était coiffé d'une casquette floquée du portrait du moudjahid Lakhdar Bouregaâ. «Ettalgou ouledna ya el haggarine» Quelques pancartes soulevées plaidaient la cause des prisonniers d'opinion : «Libérez les détenus du drapeau», «Stop aux atteintes aux libertés», «Non au bâillonnement des bouches et aux entraves aux libertés», «Libérez la justice, laissez nos magistrats faire leur travail», «Non à la hogra et l'injustice»… Une large banderole accrochée aux barreaux de la cour de justice disait : «Libérez la justice, libérez les détenus». Les manifestants ont, en outre, donné de la voix sous un soleil de plomb en martelant : «Harriro el mouataqaline» (Libérez les détenus), «Ettalgou ouledna ya el Haggarine» (Relâchez nos enfants, tyrans), «Dawla madania, machi askaria» (Etat civil, pas militaire), «Echaâb yourid qadhae moustakil» (Le peuple veut une justice indépendante), «Djazair horra dimocratia», (Algérie libre et démocratique), «Ya men âche ya men âche, Gaïd Salah fel Harach» (Tôt ou tard, Gaïd Salah à la prison d'El Harrach), «Y en a marre des généraux»…. Fadila Messouci ressemble comme deux gouttes d'eau à Samira, sa sœur. Sourire aux lèvres, elle reçoit les marques de soutien avec beaucoup de dignité. L'affaire de sa sœur Samira et de 15 autres prévenus, la plupart arrêtés pour port du drapeau berbère, devait être examinée hier par la chambre d'accusation près la cour d'Alger après l'appel introduit à propos du mandat de dépôt prononcé contre eux. «Aujourd'hui, la chambre d'accusation a examiné le dossier par rapport à la décision de mise sous mandat de dépôt. Les avocats ont boycotté l'audience», indique Fadila. Les avocats ont ainsi réitéré leur position prise lors de l'audience du 10 juillet. «C'est parce que le dimanche d'avant (le 7 juillet, ndlr), les avocats ont plaidé toute la journée pour qu'à la fin, le juge décide de maintenir le mandat de dépôt. Alors à quoi ça sert de plaider ?» argue-t-elle. Pour Fadila Messouci, il ne fait aucun doute que le traitement de l'affaire est purement politique. «Quand on voit l'article 79 sur la base duquel ils ont été inculpés, c'est complètement bidon… ‘‘Atteinte à l'unité nationale'', c'est trop gros. Ils veulent instrumentaliser la justice, alors qu'ils le fassent seuls. On ne va pas entrer dans leur jeu.» Elle estime que la décision du collectif de défense d'adopter une stratégie de rupture est on ne peut plus juste. «En tant que familles des détenus, on savait que les avocats allaient boycotter et nous sommes d'accord avec leur démarche. Pour moi, c'est la meilleure décision à prendre.» Pour ce qui est de sa sœur Samira, Fadila rassure : «Elle tient le coup. On l'a vue ce lundi, franchement, quoi que je puisse vous dire, je ne serai pas en mesure de décrire son état d'esprit et sa force mentale. Elle a le moral, elle est déterminée, elle sait que c'est un procès politique. D'ailleurs, elle nous a dit : ‘‘Moi, je suis préparée, c'est à vous de vous préparer parce que ça risque de prendre du temps.''» «Il tient le coup, il est déterminé» Souad Leftissi, sœur de Messaoud Leftissi qui fait partie du groupe de manifestants arrêtés le 21 juin pour port du drapeau amazigh, nous apprend qu'en ce qui les concerne, la chambre d'accusation a statué le 10 juillet et «a confirmé le mandat de dépôt, même avec le boycott des avocats». Souad, qui s'est beaucoup impliquée dans l'organisation de ces rassemblements, revient sur cette initiative en expliquant : «J'ai lancé l'appel sur Facebook, après il y a eu plusieurs collectifs qui ont rejoint l'action, y compris les collectifs d'avocats.» Une action qui vise, explique-t-elle, «à exprimer notre solidarité et à revendiquer la libération des détenus injustement arrêtés lors des manifestations, sans aucune base juridique. Aucune loi n'interdit le port du drapeau amazigh. Donc, on sent que c'est purement politique». Souad a l'intime conviction que la libération des détenus «doit se faire via une décision politique». «Espérons qu'il n'y aura pas de récupération, c'est l'avis de Messaoud et des autres détenus, et que le hirak se poursuive sans qu'il y ait de récupération politique», insiste Souad Leftissi. Allusion aux tractions en cours pour engager un semblant de dialogue avec le pouvoir réel. Comme Fadila à propos de sa sœur et son mental de fer, Souad apporte elle aussi de bonnes nouvelles de Messaoud : «Moralement, il tient le coup, il est déterminé. C'est un exemple, notamment pour moi, et pour beaucoup d'Algériens. Il insiste sur le fait de poursuivre la mobilisation et de ne pas tomber dans le piège de la récupération politique jusqu'au départ de la issaba.» Faisant montre d'un courage et d'une sérénité admirables, comme les autres proches des détenus, Souad termine en disant : «Par moments, c'est dur quand on pense à lui, mais on est fiers de lui et fiers de ces détenus, parce qu'ils défendent la bonne cause.» «On n'est plus dans une logique judiciaire» Un groupe d'avocats faisant partie du collectif de défense des détenus est revenu sur la décision de boycotter l'audience devant la chambre d'accusation. «Concernant l'appel de la décision de mandat de dépôt, la défense a pris la résolution de boycotter l'audience de la chambre d'accusation, et ce, pour des raisons purement juridiques», explique Me Djamel Benyoub, avant d'ajouter : «Nous aspirons à une justice indépendante, un Etat de droit, et on ne peut pas rester spectateurs en sachant parfaitement que ces décisions ont été rendues sur la base d'une instigation politique. A partir de là, la défense a décidé de boycotter les audiences de la chambre d'accusation.» Me Benyoub souligne le fait qu'«il n'existe aucun article dans le code pénal qui interdise à n'importe quel Algérien de hisser n'importe quel drapeau, a fortiori lorsqu'il s'agit de l'emblème de l'identité nationale qui est incarnée par le drapeau amazigh». Dès lors, il considère que «les procédures et les décisions prises en ce qui concerne le mandat de dépôt ne reposent sur aucune base légale et sont contraires à la loi». Son confrère, Me Aït Mimoun enchaîne : «Les mandats de dépôt ont été prononcés sur la base du fait que ces gens ont brandi un drapeau. Ça s'appelle du flagrant délit, et son auteur est supposé être déféré tout de suite devant le parquet et être jugé sur place. On ne comprend pas pourquoi est-ce que ces gens doivent être présentés devant le parquet, ensuite renvoyés devant le juge d'instruction pour demander l'ouverture d'une information, si ce n'est pour justifier le prolongement de la détention.» Le code pénal, d'après lui, «ne prévoit pas d'infraction de ce genre», ce qui vient corroborer le caractère politique de ces détentions arbitraires. «Je suis désolé, je suis avocat, je ne peux pas cautionner une telle forfaiture parce qu'il faut le dire, c'est une forfaiture !» Me Salem Khatri, bâtonnier du barreau de Béjaïa, fera remarquer pour sa part : «Maintenant, on sait que cette affaire est devenue une monnaie d'échange politique, une carte de pression pour aller au dialogue au forceps. Ces détenus font office désormais de préalable pour le dialogue. On n'est plus dans une logique judiciaire, on est dans une logique politique et politicienne.» Et de lancer : «Ces jeunes-là, on ne peut pas les retenir en otage pour des arguments fallacieux, puisque le socle judiciaire, la matière pénale, n'existent pas. Il n'y a pas d'article de loi qui interdise le port d'un fanion, quelle que soit la couleur de ce fanion, autrement, la moitié des jeunes Algériens qui arborent des drapeaux palestiniens ou des bannières de leurs équipes de foot favorites auraient été mis en détention. Je crois que cette approche vise beaucoup plus à mettre en balance le dialogue et les détenus. Je pense que c'est une fausse approche. Il faut laisser libre cours à l'expression et aller vers un dialogue sincère, civilisationnel. Et le plus important préalable maintenant, c'est le départ de ce gouvernement qui n'est pas reconnu par le peuple.»