La première journée du festival, après le bref coup d'envoi donné par le président Marco Solari et la présentation du jury par la directrice artistique sortante, Irène Bignardi, a été marquée par le lancement de la compétition vidéo, de la très attendue rétrospective consacrée à l'Américain Orson Welles. L'accalmie du ciel a permis des projections en plein air sur la mythique Piazza Grande, avec un film événement qui a suscité un vif intérêt auprès des festivaliers, le film indien The Rising, Ballad of Mangal, du réalisateur Pandey de Ketan Mehta. Avec ce film, Ketan aborde un sujet très sérieux : la naissance de la conscience politique et nationaliste dans une Inde dominée par les colons anglais. Une histoire épique mettant en scène le parcours sociologique et psychologique de Mangal, héros de la liberté et épris d'une jeune prostituée, qui passe du stade de la servitude à celui du questionnement et, enfin, de la révolte avant que le réalisateur ne lui offre une belle et tragique mort qui sera le détonateur du soulèvement de tout un peuple. La course à la capture du félin locarnais a commencé le deuxième jour. La première œuvre à se jeter dans l'arène a été We are all fine, de l'Iranien Bizhan Mirbaqeri. Le film aborde la question de l'émigration et propose un discours, à la fois, sociologique, psychologique et cinématographique sur son métier. Pour arriver à ses fins, Bizhan a imaginé l'histoire d'une famille vivant dans un équilibre précaire depuis l'émigration du fils aîné, en qui les parents ont placé tous leurs espoirs, qui n'a pas donné de nouvelles depuis belle lurette. Presque oublié et accoutumée à son absence, quand la famille reçoit des nouvelles de lui de la part d'un prétendu ami : Jamshid voudrait recevoir des nouvelles de la famille sous forme de film. C'est ce film qui devient l'épicentre du scénario. L'absent n'est qu'un prétexte et l'ami n'est qu'un détonateur. Le film devient une sorte de making off du film que le fils cadet tente de tourner. Très vite, cette réalisation en cours devient l'objet d'attention et de tension entre les membres de la famille qui étaient amenés à remuer le couteau dans leurs plaies. Pendant que certains encouragent le réalisateur amateur, d'autres s'y opposent. Ainsi, Bizhan piège le spectateur qui suit les péripéties de la famille en s'interrogeant sur les probabilités de la finalisation de l'œuvre pendant qu'il place son intérêt et son discours sur les difficultés de réaliser un film. Les difficultés et les tensions créées par ce film dans ce microcosme familial sont similaires à celles que rencontre le réalisateur dans le champ cinématographique national ou international. Ainsi, sur le plan esthétique, les membres de la famille lui ont servi de prétexte pour multiplier les points de vue, les regards et de mettre un énoncé iconique sur une narration cinématographique. C'est de ce discours métalangagier que le film tire toute sa force et sa pertinence. À l'ère de la prolifération de l'image qui devient une arme de destruction massive, certains continuent à la regarder d'une manière traditionnelle. Ce film rappelle que l'image n'est point sage, mais elle est malicieuse comme un singe et agile tel le léopard que tente de chasser le réalisateur avec incertitude. T. H.