"Benflis, Tebboune, Belkhadem. Pourquoi pas Ouyahia et Sellal, puisqu'on y est ?" Ce commentaire d'un ancien cadre du FFS résume à lui seul l'appréciation que doit sans doute se faire une partie de l'opinion sur cette brochette de candidatures qui se manifeste depuis quelques jours pour postuler à la magistrature suprême. L'essentiel, en effet, de ces candidatures — si l'on excepte bien entendu celle de ces illustres inconnus, pour la plupart des bouffons, juste bons pour une fête foraine — est issu du "stock" du régime. Ali Benflis, Abdelmadjid Tebboune, Abdelkader Bengrina, Belkacem Sahli, pour ne citer que les plus en vue, ont, chacun à sa façon et à différentes périodes, servi le régime, celui-là même contre lequel les Algériens sortent dans la rue depuis février dernier. Au-delà de cet aspect, le point commun entre ces postulants est qu'ils observent à ce jour un mutisme assourdissant concernant les arrestations qui ciblent des activistes politiques et associatifs. Un silence qui peut se traduire comme une attitude destinée à ne pas heurter et à ne pas contrarier l'orientation des puissants du moment, d'autant qu'ils connaissent les mécanismes de fonctionnement du sérail. Aussi, hormis une participation timide, la première semaine des manifestations, d'Ali Benflis, nombre de ces postulants n'ont pas participé au hirak qu'ils louent au demeurant. De l'avis de nombreux observateurs, après plus de sept mois de mobilisation populaire inédite, rien ou presque n'a changé, mis à part l'avortement d'un cinquième mandat pour Bouteflika et l'emprisonnement de certaines figures ayant trempé dans des affaires de corruption et de dilapidation de deniers publics. À quelques semaines d'un scrutin organisé à la hussarde, tous les ingrédients d'un rendez-vous électoral aux allures de "déjà-vu" sont réunis : les postulants sont dans leur écrasante majorité liés, d'une façon ou d'une autre, au système qui les a produits, des médias prompts à soutenir le candidat adoubé par les décideurs et la préparation de l'élection dont visiblement se charge, en sous-main, l'administration, malgré la mise en place d'une autorité indépendante des élections, dont tout le monde s'accorde à dire qu'au regard des péripéties ayant entouré sa création — le nombre et la qualité de ses membres, ainsi que l'absence d'ingénierie —, n'aura pas les capacités requises pour observer, ni contrôler, un scrutin d'une telle envergure. Seul le climat politique général a changé. Un climat dont il faut bien convenir qu'il charrie bien des certitudes avec, d'une part, une population toujours hostile à la tenue de l'élection avec la "bande", selon un slogan consacré, et, d'autre part, un "pouvoir de fait" décidé à organiser l'élection présidentielle, considérée comme l'unique solution pour sortir le pays de la crise. Mais c'est parce qu'il est en manque de perspectives, comme en témoigne la qualité des "candidatures" qui se bousculent au portillon, et conscient de la persistance de la crise de confiance, que le pouvoir, encore réfractaire jusque-là à prendre des mesures d'apaisement (à moins que ce ne soit une des cartes qu'il aura à abattre au moment opportun), a décidé, via certains de ses relais, d'appeler à une candidature unique du hirak. Lancée par l'ONM, puis reprise par un député qui a même eu l'outrecuidance de détailler la manière dont elle doit être désignée, elle est désormais ressassée par ceux qui voient dans le scrutin une issue. L'objectif semble double : d'une part, susciter des schismes au sein du mouvement et, d'autre part, le culpabiliser au cas où une candidature ne viendrait pas à se manifester pour cautionner le processus. Si l'approche ne fait pas consensus, la participation des figures qui ont servi le régime de Bouteflika, le maintien d'autres figures qui gèrent les affaires courantes, la chape de plomb imposée aux médias et les entraves aux libertés suffisent largement à entamer le crédit d'un scrutin, loin encore de répondre aux exigences de rupture avec l'ordre ancien.