Même à 3 DA, la tomate ne trouve pas preneur. La conserverie de Guelma est menacée de faillite. Les producteurs de tomate industrielle ne sont pas au bout de leurs peines. En effet, chaque jour, à la sortie du village de Bouati-mahmoud sur la route de Skikda, des centaines de véhicules et de tracteurs, chargés du produit de la récolte de la saison, font la queue sur 2 km devant l'unique conserverie de la wilaya de Guelma. C'est aussi la destination de dizaines d'agriculteurs, venus des wilayas limitrophes que sont Annaba, El Taref et Skikda. On attend son tour. L'attente dure entre 24 et 40 heures, nous ont déclaré des producteurs. Le prix de vente de cette année, fixé à 5 DA/kg, les a surpris. L'un d'eux, de la commune d'El Fedjoudj, nous parle de la visite du wali lorsqu'ils ont bloqué la route et de la promesse du conserveur de leur réserver une part des bénéfices. Il poursuit : “Déjà à 10 DA/kg, nous ne rentrons pas dans nos frais, à 5 DA c'est la faillite.” Si le prix de cession a chuté, ce n'est pas le cas des intrants. Pour un producteur de Roknia, le kilo de la semence coûte 140 000 DA, les engrais sont passés de 2 400 à 4 000 DA, le traitement phytosanitaire coûte entre 5 000 et 6 000 DA par quinzaine de jours, le prix de l'eau du barrage de Bouhmadane est passé de 7 300 DA l'hectare en 2004 à 13 400 DA cette année, le prix du gasoil ne cesse de connaître des majorations. La culture proprement dite prend tu temps. Le cycle allant de la préparation des plans jusqu'à la collecte s'étale de 6 à 8 mois. Les employés en charge de la cueillette sont payés à hauteur de 400 DA la journée de 6 heures ou 15 DA la caisse de 15 à 25 kg. Avec tous ces coûts, ceux qui n'ont pas les moyens de transport vendent sur place la récolte à 3 DA/kg. Les transporteurs sont payés 1 DA/kg. Tout est cher. Tout à l'heure, l'usine ayant refusé le déchargement d'un camion de 20 tonnes, son propriétaire est obligé de jeter le produit. Un autre explique : “au seuil de l'usine, certains producteurs ont peur de voir leur chargement refusé. Nous demandons à l'Etat de fixer d'avance les prix de cession, cela facilitera nos prévisions.” Selon le même interlocuteur, certains producteurs du côté de Djendel et de l'Oued El Kebir ont “lâché” leurs animaux d'élevage sur les parcelles. “C'est mieux que rien”, conclut-il. Pour Brahim Benamor, directeur de l'unique conserverie toujours en activité, “nous avons 4 chaînes. Une pour les tracteurs avec emballages, une autre pour les containers métalliques en vrac, une troisième pour les camions et, enfin, une quatrième pour les véhicules utilitaires. Nous travaillons H24. Quant au prix de 5 DA, avec l'ouverture du marché initiée par les pouvoirs publics, les différents accords passés avec l'Union européenne et l'OMC portant sur le démantèlement des barrières tarifaires, ce sont les éléments du marché international et non seulement national qui déterminent la structure des coûts à respecter pour rester compétitifs. Sans protection du gouvernement, notre survie en tant qu'entité économique passe par la maîtrise des coûts”. L'homme qui semble résister, seul, aux aléas d'un marché sans merci, et en professionnel, dissipe la situation de crise que traverse la filière. Selon lui, cette dernière “emploie en Algérie entre 120 000 et 150 000 travailleurs. La fixation des prix n'a pas été décidée en concert dans l'Actom. nous voulons que cette filière, vu son importance, développe une culture stratégique ; ce qui n'est pas le cas actuellement.” Sur la compétitivité du produit algérien, y compris chez lui, il explique que “les revues spécialisées avancent que la tomate algérienne revient à 100 dollars la tonne, l'européenne entre 60 et 65 dollars, grâce au soutien de l'UE, et la chinoise à 33 dollars”. Toujours selon M. Benamor, “le coût élevé de notre tomate s'explique par le fait que depuis l'Indépendance, les rendements n'ont pas évolué — entre 150 et 180 quintaux à l'hectare. Ainsi, le problème de la filière est, en premier, lié à la question du rendement. Nous devons arriver au moins au même niveau que les tunisiens où le goutte à goutte a couvert 85% de la surface”. Par ailleurs, il ajoute : “L'autre démarche consiste à voir les transformateurs aider et assister techniquement les producteurs. C'est de la propre survie des deux parties qu'il s'agit. Pour ce faire, il y a tout un protocole technique à respecter. Cela va du choix de la variété à celui des plants en passant par celui des produits phytosanitaires. Il faut savoir que la région est du pays ne dispose pas de pépinière industrielle et que la qualité des semences et des engrais reste discutable.” S'agissant des réfactions de -5% à -10% sur le produit ; le directeur explique que “la barre de -10% est le maximum de ces réfactions. Après avertissement, nous exigeons une tomate ferme et rouge. La présence d'un système d'agréage qui doit être une entité indépendante est souhaitable”. À propos de la promesse qu'il a faite de partager ses bénéfices avec les producteur, il explique : “Pour des raisons commerciales, nous nous sommes engagés à donner aux producteurs une part des bénéfices qu'on ne pas évaluée encore, mais c'est un geste pour montrer notre bonne foi.” Donnant son avis sur l'importation du triple concentré de tomate, il dira que “les besoins de l'Algérie en concentré de tomate sont évalués entre 70 000 et 80 000 tonnes. Ces dernières années, nous n'avons pas dépassé les 50 000 tonnes, soit un déficit de 20 000 à 30 000 tonnes, lesquelles sont importées sous forme de produit fini et de triple concentré par les conserveries qui transforment et dégagent une plus-value”. Autrement dit, cette importation n'est pas nuisible car, selon lui, “on ne veut pas laisser le champ libre aux spéculateurs. On fait des extensions et on crée de l'emploi”. Ainsi, les producteurs en colère se sont exprimés. L'unique transformateur en activité a donné son point de vue. Reste aux règles du marché de faire… leurs ravages. B. Nacer