En ce début de Ramadhan 2006, le concentré de tomate de production locale se fait rare. Il est même inexistant dans la majorité des wilayas frontalières avec la Tunisie. Sur les étalages des commerces spécialisés dans l'alimentation générale, les marques étrangères sont disponibles en quantité. Leurs prix affichés défient toute concurrence, contrairement au produit algérien confronté à une multitude de perturbations. C'est la conséquence de plusieurs années de manipulations de la filière tomate en Algérie. Les trafics d'influence, la contrebande aux frontières et la corruption ont en fait une activité à risques. Des vingt-trois unités de production qui existaient sur l'ensemble du territoire national (19 à l'extrême est du pays), il n'en reste plus que onze. La guerre des prix au kilogramme a opposé depuis l'année 2000 les producteurs de tomate industrielle aux conserveurs. Elle est à l'origine de l'abandon de plusieurs milliers d'hectares de terres. Ils étaient destinés traditionnellement à la culture de la tomate industrielle. Ainsi des 8000, 6000, 9000 et 2500 ha à respectivement El Tarf, Annaba, Skikda et Guelma, seuls 1380, 2000, 3000 et 1200 ha ont été exploités en 2005. Confrontée à des luttes intestines entre certains de ses membres, l'Association des conserveurs de tomate (Actom) qui regroupe les 23 conserveurs, s'est mise en veilleuse. Ces deux dernières années, les luttes d'intérêts se sont accentuées au point de mettre en péril Actom, hier à la pointe du combat pour le développement de la filière. La suppression de la subvention étatique à partir des années 1980 et des taxes douanières à l'importation qui protégeaient la production locale a entraîné une chute vertigineuse de la transformation de la tomate industrielle. Malgré la simplification d'un itinéraire technico-économique (mécanisation, main-d'œuvre, approvisionnement, intrants, irrigation), le rendement à l'hectare ne s'est pas amélioré. A peine 15 t à l'hectare pour 42 t en Tunisie et au Maroc. Cette baisse est à l'origine de l'importation de 10.000 t de triple et 14.600 t de double concentré de tomate en 2004. Une quantité similaire a été réceptionnée en 2005. L'application d'un tarif douanier de 54%, 30% de douanes et 24% au titre de droit additionnel provisoire, n'a toujours pas dissuadé les importateurs. Pour contourner ces obstacles, l'astuce de l'importation de « matière première destinée à la transformation » est utilisée dans la déclaration douanière. La situation est aggravée par la contrebande aux frontières sud-est du pays (Tébessa, Souk Ahras, El Oued, Touggourt, Ouargla) du double concentré de tomate en provenance de Tunisie et d'Italie. Confrontées à des difficultés financières, douze unités de production implantées en majorité dans les wilayas de Annaba, El Tarf, Guelma et Skikda ont fermé en 2004 et 2005. D'autres se sont transformées en unités de conditionnement. Il y a enfin celles qui, qualifiées hier de fleuron de l'industrie agroalimentaire en Algérie, ont été cueillies par des mains étrangères. Conséquence : le concentré de tomate algérien est moins présent sur le marché national. Des 356.820 t de tomate industrielle annuellement récoltées, plus de la moitié a disparu pour cause d'abandon de la spéculation par les agriculteurs. Le scandale de la coopérative agricole Lalaymia de Annaba avec son riche patrimoine a fait le reste. Un patrimoine qui s'étend sur Annaba et El Tarf, soumis depuis l'année 2001 à toutes les formes de dilapidation, de détournement, de dégradations et autres utilisations illicites. La seule unité de transformation de tomate fraîche sur les trois que compte cette coopérative a été placée sous le contrôle de deux opérateurs turcs. Le sort de cette coopérative préfigure celui d'autres pièces agroalimentaires importantes de notre économie. Le mouvement est déjà lancé. Depuis plus d'une décennie, tout a été fait pour créer l'éclatement de la filière tomate en Algérie. Des 140.000 postes de travail entre saisonniers et permanents existants avant l'année 2000, plus de la moitié a disparu. « Annuellement, je faisais travailler plus de 400 agents, les précédentes années. Avec la crise qui a secoué la filière, j'ai limité mes effectifs à une centaine à peine », argumente un des conserveurs de la wilaya d'El Tarf. surface rétrécie La surface des terres agricoles, plus de 27.000 ha, traditionnellement destinée à la culture de la tomate industrielle, s'est rétrécie. En 2006, elle est à peine de 7000 ha. Pour la première fois depuis l'indépendance, des terres algériennes pourraient être exploitées par des étrangers. C'est en tous les cas ce qu'ont affirmé plusieurs cadres de la wilaya d'El Tarf : « Certains responsables ont proposé à des hommes d'affaires turcs d'acquérir en sous-main des terres agricoles dans la wilaya d'El Tarf. L'opération devait être facilitée par des décideurs au plus haut niveau de différentes institutions de l'Etat. Heureusement qu'il y a eu les scandales de la chambre d'agriculture de Annaba et celui de la Capcs Lalaymia. » Face à cette situation, des conserveurs ont décidé de riposter. Ils l'ont fait lors d'une réunion tenue en février 2006 au siège du ministère de l'Agriculture. « Seule une subvention de l'Etat à la filière de la tomate peut sauver la situation. Elle est attribuée partout à travers le monde, pourquoi pas chez nous ? », avaient déclaré les conserveurs présents à la réunion aux représentants du gouvernement. La proposition a été retenue. Le retard mis dans son application (juin 2006) n'a pas tranquillisé les deux producteurs, ceux de la tomate industrielle et les transformateurs. D'où le grand bouleversement que connaît actuellement le marché national. Toutefois, bien que tardive, d'un côté comme de l'autre, l'on estime que la décision du ministère de l'Agriculture d'accorder la subvention renforce l'hypothèse d'un atterrissage en douceur de la filière. Malgré l'arrivée dans les prochains jours de milliers de tonnes de triple concentré de tomate en provenance de Chine, cette décision jugule totalement la crise et le risque d'une faillite généralisée de la filière tomate en Algérie. « Par cette décision, le gouvernement est animé de bonnes préoccupations. D'un côté, il se soucie de la filière tomate fortement impliquée dans le développement économique et sociale du pays. De l'autre côté, il se félicite d'éviter le bain de sang social qui aurait forcément accompagné son refus d'accorder la subvention réclamée depuis des années par les agriculteurs et les conserveurs », analyse un économiste de l'université Badji Mokhtar Annaba. Du côté des conserveurs, l'on estime que la subvention devrait permettre au concentré de tomate algérien de devenir concurrentiel sur le marché international. Les mêmes sources ont estimé que 2006 sera la dernière année de perturbation que connaîtra la filière tomate en Algérie. « Cette perturbation est motivée par le retard mis par le ministère de l'Agriculture dans l'octroi de la subvention. La situation a été débloquée en juin 2006. Je pense que la crise de la tomate qui dure depuis des années en Algérie touche à sa fin. En 2007, la production de la tomate industrielle reprendra comme avant. Elle pourra même dépasser les 400.000 t », ont estimé plusieurs agriculteurs de Annaba et El Tarf. Concurrentiel sur le prix, le concentré de tomate algérien le sera également au plan de la qualité. L'amélioration de la teneur en brix y sera pour beaucoup. « Nous devons apprécier à sa juste valeur les efforts consentis par les cadres du ministère de l'Agriculture dans la recherche d'une solution à la crise de la filière tomate. La décision d'accorder une subvention au kg de tomate aux agriculteurs et aux conserveurs est très significative. Le pris du concentré de tomate à l'exportation sera très concurrentiel. Le prix et la qualité de notre production nationale nous permettront de nous imposer sur le marché international. Retroussons les manches et travaillons pour qu'il en soit ainsi », a indiqué un des cadres en poste au niveau de la conserverie le Lion. Ainsi, la subvention accordée aux animateurs de la filière tomate par les pouvoirs publics aura une incidence positive sur l'ensemble des activités de la tomate dans notre pays. Au plan social, le chiffre des 140.000 postes de travail pourrait connaître une hausse à compter de 2007. Sur celui économique, outre la réduction des importations, le concentré de tomate algérien pourrait se faire une place dans tous les foyers à travers différents pays du monde. Oui mais faudrait-il que les brigades mixtes de contrôle à nos frontières jouent le jeu. Particulièrement au Sud, dans la région d'El Oued, considérée par les trafiquants tunisiens comme étant une passoire. Contrôle également de la qualité du concentré de tomate local et étranger actuellement sur les étalages des commerces. Ces derniers jours, l'opinion publique est alertée par la présence de boîtes concentré de tomate de qualité douteuse. Ces boîtes proviendrait du sud-ouest du pays.