"Les magistrats sont là pour renouveler le mandat de dépôt des manifestants, mais absents quand il s'agit de rendre justice aux enfants du peuple", a tonné le frère d'un des détenus. Déception, mais surtout colère, hier, au tribunal de Sidi M'hamed, à Alger. Le verdict du procès des six détenus arrêtés pour port ou possession de l'emblème amazigh n'a pas été rendu par la justice. En raison de la grève illimitée déclenchée depuis dimanche par les magistrats, l'annonce du verdict a été reportée à une date ultérieure. Bilal Bacha, Khaled Oudihat, Hamza Meharzi, Tahar Safi, Messaoud Leftissi et Djaber Aïbèche resteront donc en prison et ne connaîtront le sort que leur réserve la justice qu'à la fin du débrayage des magistrats. Arrêtés les 21, 28 juin et le 5 juillet, ils sont accusés d'atteinte à l'unité nationale pour port du drapeau amazigh lors des manifestations du mouvement populaire. Ce report de l'annonce du verdict a mis en émoi les familles des détenus qui ont fait le déplacement jusqu'à Alger dans l'espoir de repartir avec leurs enfants, détenus depuis plus de quatre mois au pénitencier d'El-Harrach. "Les magistrats sont là pour renouveler le mandat de dépôt des manifestants du hirak, mais absents lorsqu'il s'agit de rendre justice aux enfants du peuple", a tonné le frère d'un des détenus. "Nous sommes, certes, convaincus que la justice n'est pas du tout libre et que cette affaire est purement politique, mais nous avions l'espoir de voir les juges prendre leurs responsabilités historiques et dire non à l'injustice pour libérer ces innocents", a dit, pour sa part, le parent d'un détenu. Plusieurs chefs de parti, à l'instar d'Ali Laskri (FFS), de Soufiane Djilali (Jil Jadid), de Fethi Guerras (MDS), de Djelloul Djoudi, de Ramdane-Youcef Taâzibt, de Nadia Chouitem (PT), des militants du RCD, des animateurs du Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une dizaine d'avocats, dont Seddik Mouhous, Leïla Djerdjar, Nabila Smaïl, Aïcha Bakhti, se sont donné rendez-vous au tribunal pour assister à l'annonce d'un verdict que tout le monde attendait comme un signe d'apaisement à la fois de la souffrance des détenus eux-mêmes et de leurs familles, mais aussi un indice d'allégement de la part d'un régime contesté de toutes parts. Rien de tout cela. La grève des magistrats est venue prolonger l'attente, accroître le doute et entretenir la souffrance des détenus et de leurs familles. L'espoir de voir les magistrats prononcer la relaxe de ces jeunes manifestants s'est vite évaporé pour laisser place à la colère et au ressentiment. "Libérez les otages !", criait la foule à l'intérieur même du tribunal, avant d'improviser un sit-in à l'entrée principale de l'édifice. Ce sit-in s'est vite transformé en une marche à Alger pour dénoncer le maintien de ces jeunes en prison. Lors du sit-in, plusieurs personnes ont pris la parole pour dénoncer un ajournement "non justifié" de l'annonce du verdict. "Nous ne connaissons pas le verdict, mais ce report est insupportable", a dit Arezki Chalal, parent d'un détenu et responsable du Comité des familles. "Nous sommes consternés" par ce report, a-t-il dit, ajoutant que ces juges, qui "sont en grève supposée", sont là "pour renouveler le mandat de dépôt, mais absents pour rendre justice". Me Fetta Sadat, avocate et députée, a estimé, quant à elle, que "la justice est loin d'être indépendante". Elle a ajouté que cette même justice a été "instrumentalisée pour casser le mouvement en mettant des jeunes manifestants en prison pour le simple fait qu'ils ont revendiqué le droit d'avoir une opinion". "Le droit n'existe pas sans l'indépendance de la justice, et cela reste une revendication pour laquelle nous œuvrons", a ajouté l'avocate, soulignant que "la justice ne sera réellement indépendante que lorsque les magistrats se mettront au service des revendications légitimes du peuple qu'on peut résumer en le démantèlement du régime en place". Ramdane-Youcef Taâzibt, député démissionnaire du PT, a estimé, pour sa part, que "le mouvement populaire a mis tout le monde devant ses responsabilités", ajoutant que la libération "de tous les détenus d'opinion est une exigence populaire que les juges doivent écouter". Rappelons que le verdict du procès de cinq autres détenus du hirak, jugés par le tribunal de Bab El-Oued, est également attendu pour aujourd'hui. Il risque d'être aussi reporté au motif que les juges sont en grève.