Pour son 37e épisode, le "hirak" était loin de désarmer, promesse tenue d'un 1er Novembre rassembleur et d'un mouvement qui se revigore. L'acte 37 du hirak aura été le plus mobilisateur depuis le 22 février dernier. Coïncidant avec les commémorations du 1er Novembre 1954, le vendredi d'hier était marqué par une mobilisation historique, à six semaines d'une élection qui s'apparente à un passage en force d'un pouvoir politique en mal de manœuvres face à un peuple décidé à réécrire son histoire. Dès les premières heures du jour, des foules compactes se dirigeaient vers le centre de la capitale, affluant de tous les quartiers d'Alger, mais aussi de plusieurs autres wilayas, malgré les dizaines de barrages filtrants, déployés dès mercredi soir tout au long des autoroutes et des accès urbains menant vers la capitale. Vers midi, l'emblématique rue Didouche-Mourad résonnait déjà des habituels "Pas d'élection avec la mafia", "Bedoui et Bensalah doivent partir", "Ya Ali !", allusion à Ali Amar, dit Ali La Pointe, "Libérez les détenus", en solidarité avec les prisonniers politiques et du hirak qui croupissent dans les geôles d'Alger depuis maintenant plusieurs mois. Cependant, la détention de Lakhdar Bouregâa, un des symboles de la glorieuse histoire de ce pays, alors que le peuple tente, 65 ans après, de se réapproprier le 1er Novembre 1954, reste une page des plus émouvantes, empreinte d'une tristesse méditative sur laquelle semblent se briser les comportements d'un pouvoir politique à court de solutions. Le contraste est saisissant ; un des derniers symboles en vie de la mémoire collective croupit en prison le jour du 65e anniversaire du 1er Novembre 1954. Son nom revenait, hier, comme une prière dans les chants des manifestants. Dans l'attente de la grand-messe de l'après-prière du vendredi, la foule devient plus bruyante près de la Grande-Poste, place emblématique du hirak, où des manifestants venus de toutes les wilayas ont élu domicile dès jeudi, mais aussi près de la mosquée Errahma de la rue Khelifa-Boukhalfa. La fin de la prière était comme lorsqu'un arbitre siffle la fin d'un match décisif ; les pratiquants passaient des versets et des prières aux chants de la révolution, sans transition aucune. C'est "Dawla madania machi aâskaria" (Etat civil et non militaire) qui sert de trait d'union entre la prière et le début de la grande marche. Simultanément, des centaines de milliers de manifestants affluaient de Mohamed-Belouizdad (ex-Belcourt) et de Bab El-Oued vers la Grande-Poste. Vers 14h30, la rue Hassiba-Benbouali était remplie de dizaines de milliers de manifestants, alors qu'une déferlante humaine sans commune mesure arrivait de Bab El-Oued vers Alger, faisant des boulevards Zighoud-Youcef et Che-Guevara des rivières en crue. Vers 16h, Alger-Centre était comme une carte postale remplie de couleurs que seul un poète pourrait décrire. Tous les axes y menant étaient congestionnés. "Pour moi, c'est l'histoire qui recommence", nous disait fièrement un manifestant, âgé de 81 ans, brandissant le portrait de Lakhdar Bouregâa, en signe de solidarité avec le moudjahid emprisonné. Dans les jardins de la Grande-Poste, des manifestants venus des autres wilayas savouraient ce moment tant attendu, contemplant une foule digne des grandes dates. "Nous avons démarré d'Oued Souf dans la nuit de mardi. Nous avons passé deux nuits blanches à Alger, mais nous savourons enfin ce moment tant attendu", se réjouit ce jeune manifestant, dont les signes de fatigue ne pouvaient dissimuler cette joie débordante qui l'animait. L'acte 37 du hirak aura tenu toutes ses promesses. L'emblème amazigh a fait son grand retour, hier, à Alger, accueilli par les ovations, les youyous et les chants des manifestants, scandant "Casbah Bab El-Oued Imazighen". Ainsi, pour son 37e épisode, le hirak était loin de désarmer, promesse tenue d'un 1er Novembre rassembleur et d'un mouvement qui se revigore à la veille d'une élection qui ne semble mobiliser que les tenants actuels du pouvoir et leurs traditionnels sous-traitants parmi les partis et les organisations fidèles au régime Bouteflika. Ce vendredi 37 a été aussi marqué par une importante mobilisation policière. Autour des bâtiments officiels, à l'instar de l'Assemblée et du Palais du gouvernement, le dispositif sécuritaire était pour le moins conséquent. Trois enseignements à tirer de ce vendredi 37 : les Algériens étaient animés par une ferme volonté de se réapproprier le 1er Novembre. Ce jour était aussi celui des défis ; braver l'interdit de porter le drapeau berbère, symbole de l'identité amazighe qui cimente la nation algérienne, mais aussi l'interdiction faite aux non-Algérois d'accéder à la capitale pour participer aux marches du vendredi.