Maître Mohamed Brahimi revient dans cet entretien sur la question du régime fiscal applicable aux professions libérales, dont notamment les avocats. Liberté : Le gouvernement a finalement décidé de surseoir à l'application de la mesure induite par la loi de finances 2020, qui exclut les professions libérales du régime de l'impôt forfaitaire unique (IFU). Que signifie ce revirement ? Maître Mohamed Brahimi : Le nouveau régime fiscal imposé aux professions libérales par la loi de finances pour 2020 (article 26 et suivants) a surpris les membres de ces professions. Alors que celles-ci relevaient depuis des années du régime de l'impôt forfaitaire unique (IFU), les nouvelles dispositions législatives instaurent le régime de la déclaration contrôlée qui induit l'assujettissement de cette catégorie de contribuables à la TVA, à l'IRG et à la TAP à des taux élevés de respectivement 19%, 26% et 2%. La surprise a été d'autant plus vive, notamment pour les avocats, qu'avant la publication de cette nouvelle loi de finances, des pourparlers très avancés étaient en cours entre les représentants de l'ordre national des avocats, d'une part, et les représentants du ministère des Finances et les membres de la commission des finances de l'APN, d'une autre part, sur la question du régime fiscal applicable tel que prévu dans le projet de loi de finances. Il était question soit de maintenir le régime en vigueur, en l'occurrence l'IFU, soit d'instaurer le régime de la retenue à la source applicable dans plusieurs pays, c'est-à-dire payer un seul impôt à l'enregistrement de la requête introductive d'instance auprès du greffe de la juridiction et qui avait les faveurs du barreau au vu de sa simplicité et de son adéquation avec la profession d'avocat. Décidé pratiquement en catimini et sans aucune concertation préalable avec les professions concernées, le nouveau régime de la déclaration contrôlée qui institue de nouvelles taxes ne pouvait que susciter la réprobation et l'opposition. Les fortes réactions émanant notamment des avocats et le bien-fondé des arguments pratiques et juridiques opposés aux nouvelles dispositions fiscales ont fait réagir les pouvoirs publics qui décident de surseoir à l'application du nouveau régime, ce qui n'est en fait qu'un prélude à une abrogation. C'est là une sage décision du gouvernement qui n'avait pas besoin d'une nouvelle crise, alors que rien ne justifie un changement radical d'un régime fiscal qui plus est était efficace et préservait les intérêts du Trésor public et que, en tout état de cause, aurait dû être précédé par une large concertation avec les contribuables concernés. Il est aussi évident que les circonstances particulières et suspectes ayant conduit à ce changement intempestif du régime fiscal des professions libérales, notamment à la veille d'un changement de gouvernement, ont influé sur la décision de gel de ces dispositions. Les professions libérales, dont celle des avocats, subissent-elles déjà une forte pression fiscale ? Nous avons encore en mémoire les promesses électorales de certains candidats à la présidentielle de 2019, qui ont inclus dans leurs programmes des mesures de réduction de la pression fiscale, notamment par la généralisation de l'IFU aux petites entreprises. En Algérie, la quasi-totalité des professions libérales sont exercées à titre individuel. La prolifération de certaines professions, dont la profession d'avocat, a drastiquement réduit leur chiffre d'affaires, alors que la pression fiscale sous l'effet de contrôles fiscaux de plus en plus rigoureux n'a fait que s'accentuer. Les recettes de la fiscalité ordinaire ont connu ces dernières années une croissance exponentielle et ont même dépassé les prévisions fixées par le ministère des Finances, au point où pour la première fois elles ont dépassé en 2016 la fiscalité pétrolière. Ces performances n'ont sans doute pu être atteintes que grâce à un recouvrement fiscal efficace, ce qui se traduit par une pression sur la trésorerie des contribuables, notamment celle les professions libérales. Quel impact aurait une exclusion de l'IFU sur la situation financière de certaines professions libérales, si cette mesure venait à être appliquée ultérieurement ? Il serait souhaitable que la disposition de la loi de finances ayant instauré le nouveau régime fiscal de déclaration contrôlée applicable aux professions libérales soit abrogée et non seulement gelée. Exclure les professions libérales du régime auquel ils sont actuellement assujettis, en l'occurrence l'IFU, et les astreindre au régime de la déclaration contrôlée serait non seulement improductif, mais poserait même des questionnements sur la légalité et la constitutionnalité de telles dispositions législatives. Il est inconcevable et injustifié d'aligner les membres des professions libérales, notamment ceux titulaires d'offices publics (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, traducteurs-interprètes officiels) ou qui exercent en tant que défendeurs des droits et d'auxiliaires de justice (avocats, experts judiciaires…), sur un régime fiscal (régime de déclaration contrôlée) applicable aux sociétés commerciales, dont l'unique but est la fructification du capital et la recherche du seul profit pécuniaire. Faire supporter des taux d'imposition atteignant les 50% ente la TVA, l'IRG et la TAP, en sus des 15% de cotisations sociales, à ces professions, c'est assurément acculer un grand nombre d'assujettis, notamment les jeunes cabinets d'avocats, à la cessation d'activité. En outre, le nouveau régime fiscal pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel au cas où une exception d'inconstitutionnalité serait soulevée à l'encontre de ces nouvelles dispositions législatives. Ce recours peut être fondé sur deux moyens tirés de la violation du principe de l'égalité devant l'impôt, du moment que certaines catégories de contribuables sont soumises à un régime différent plus favorable, et un deuxième moyen tiré de la circonstance que les nouvelles dispositions législatives font supporter aux contribuables, notamment les avocats et autres professionnels, une charge (collecte de la TVA) qui relève de la seule puissance publique, en l'occurrence l'administration des impôts.