Le temps d'une journée, Kherrata s'est transformée en une mecque pour les hirakistes. à l'occasion de la commémoration du premier anniversaire de la toute première marche imposante contre un 5e mandat pour le président déchu Abdelaziz Boutelika, des dizaines de milliers de citoyens, de toutes les régions du pays, ont afflué vers cette localité à cheval sur les wilayas de Béjaïa et de Sétif. Ils ont réussi à produire l'effet d'optique d'une impressionnante démonstration de la vitalité du mouvement citoyen. Qui aurait osé un tel pari, il y a à peine douze mois ? Les Algériens empruntent assurément le plus long chemin vers la deuxième république en s'arc-boutant sur un pacifisme comme à un sacerdoce. Ils misent, néanmoins, sur les gains d'une révolution qui gagne du terrain, acte après acte, semaine après semaine. Parmi ses acquis, cette propension à sacrifier généreusement des journées de repos ou de travail et à parcourir des centaines de kilomètres pour aller là où le mouvement a besoin d'une forte mobilisation. Vendredi acte 52 de la révolution, des militants et des activistes se sont déplacés à Mascara, à Tiaret et à Sidi Bel-Abbès, car la police s'est échinée, des semaines durant, à empêcher les populations locales de marcher (arrestations ciblées et violence contre les irréductibles). La logique du nombre a eu raison de la stratégie sécuritaire visant à réduire l'étendue géographique des manifestations de rue. Les espaces du hirak ont été reconquis dans ces villes comme ils l'ont été à Oran. Le vendredi 13 décembre, jour de l'annonce des résultats du scrutin présidentiel, la marche a été réprimée dans cette wilaya de l'Ouest. Les images montrant des manifestants pacifiques tabassés et aspergés de gaz lacrymogènes par les Casques bleus ont ébranlé l'opinion publique. L'hashtag "je suis Oran" a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Le vendredi suivant, El-Bahia a recouvré son droit à manifester, grâce à une large vague de compatriotes venus renforcer les rangs des insurgés oranais. Jeudi à Tlemcen, les abords du tribunal en première instance contenaient difficilement les dizaines de citoyens, dont de nombreux étrangers à l'agglomération, exprimant leur solidarité avec Nour El-Houda Oggadi et ses coaccusés. Le procès des douze détenus s'était ouvert dans la journée. La mobilité interwilayas et l'empathie collective ne sont pas vraiment des éléments structurants de la culture des Algériens. Elles sont en voie de s'ancrer dans les habitudes de la révolution citoyenne. "La fitna, c'est fini. Le peuple s'est uni. Nul ne peut plus le diviser." Le slogan dérivé du standard "Les Algériens khawa khawa" a résonné très fort hier à Kherrata. Il exprime franchement l'éveil de la conscience populaire sur les dangers du régionalisme. Le régime a d'ailleurs usé et abusé de cette carte maîtresse afin de préserver son hégémonie. La ruse a induit les résultats escomptés pendant près de 60 ans. Elle a perdu de son effet avec l'insurrection du 22 février 2019. Pourtant, les manœuvres de diviser ont été multiples et pernicieuses (stigmatisation de la Kabylie frondeuse, interdiction de l'emblème amazigh, fermeture des accès de la capitale aux résidents des autres wilayas…).