Dans un procès très attendu où le caractère "politique" du dossier a été souligné avec force et à l'unisson par les avocats, le parquet a requis un an de prison ferme assortie d'une amende de 100 000 DA. Il y avait foule hier au tribunal de Dar El-Beïda. Dans l'austère salle n°2 de cet édifice sans relief, inauguré il n'y a pas si longtemps, on se bousculait et jouait des coudes dès le milieu de la matinée pour y prendre place. Outre la quarantaine de robes noires de la défense mobilisée pour la circonstance, des figures de la société civile étaient déjà là, comme Lakhdar Bouregâa, Samir Belarbi ou encore de jeunes détenus récemment remis en liberté et venus de la lointaine Tlemcen. L'effervescence n'a rien de commun. Et pour cause, le client qui devait être appelé à la barre est une des figures émergentes du hirak et dont le portrait est exhibé chaque vendredi et mardi de manifestation : Fodil Boumala. C'est en milieu de matinée que le procès devait commencer avec déjà un premier couac : l'indisponibilité des vidéos sur la base desquelles Fodil Boumala est poursuivi pour les chefs d'accusation d'"atteinte à l'unité nationale" et de "publications de nature à attenter aux intérêts du pays". Les avocats contestent l'absence des conditions d'un procès équitable. "Vous tenez à voir ces vidéos ou non ?", demande le juge à Fodil Boumala. Après quelques "conciliabules" entre les avocats et le juge, Me Mustapha Bouchachi, chargé par ses pairs, laisse l'appréciation au juge. C'est alors que le procès a pu commencer. Mais Fodil Boumala, visiblement éprouvé, saluant, de temps à autre de la main, les présents, ne semble pas perturbé outre mesure. "Je suis prêt à répondre de toutes les publications que j'ai produites." "Tout ce que je produis, je le signe de mon nom et j'assume toutes les vidéos que j'ai publiées", dit-il. "Vous pouvez enquêter sur les vidéos, et si vous trouvez une preuve, je suis prêt à offrir ma tête à la guillotine comme Ahmed Zabana. Je ne suis qu'une particule de ce peuple, ma liberté est sacrée, je suis prêt à répondre de toutes les publications", dit-il avec beaucoup d'assurance. Aux questions du juge sur certaines publications, Fodil Boumala, doctement et de façon magistrale, se livre à un véritable réquisitoire contre le régime, celui qui, soutient-il, l'a envoyé dans les geôles, où il croupit depuis septembre dernier, sur la base d'un dossier "vide". "Je suis un opposant au régime et le régime n'est pas l'Algérie. J'ai toujours critiqué le gouvernement, ses orientations politiques, sa doctrine, ses méthodes, et depuis trente ans, je lutte pour un Etat de droit, pour les libertés, pour la démocratie et pour casser le tabou de l'adoration", dit-il en référence à Bouteflika. À propos du défunt Gaïd Salah, "je n'ai pas critiqué l'homme, poursuit-il, mais sa qualité d'homme public (…) Mon problème est avec la îssaba, ceux qui combattent la démocratie (…) Je suis un enfant de Ben M'hidi, d'Abane, de Ferhat Abbas et autre Aït Ahmed. On veut changer le régime, comme le demande le peuple", dit-il, suscitant les ovations de la salle, non sans agacer le juge. "Respectez la sacralité du tribunal, pas d'applaudissements", met-il en garde. En guise d'arguments, Fodil Boumala fait remarquer qu'il n'a "jamais été attaqué par quiconque pour diffamation". "Faites une enquête sur tout ce que j'ai produit et vous ne trouverez nulle trace d'atteinte à l'unité du pays, ce qui m'intéresse, c'est la fondation d'une Algérie moderne, libre, avec une justice indépendante", poursuit-il, en étalant quelques facettes de sa grande culture, invoquant pêle-mêle Dostoïevski, l'Emir Abdelkader ou encore Winston Churchill, mais également quelques références coraniques. La voix haute, l'air déterminé, il ajoute : "Celui qui porte atteinte à l'unité du pays, c'est le régime, celui qui voulait diviser les Algériens à travers l'emblème amazigh, c'est le régime, pas Boumala. Moi, je ne me plierai pas au régime. Pour moi, le pays, c'est la liberté." À propos d'un post sur la fraude, Boumala répond au juge en lui faisant observer tous les slogans du "hirak". "Ce n'est pas mon procès, mais celui d'un peuple qui refuse la tyrannie, c'est un procès de la liberté, de la justice que ce système utilise", dit-il à telle enseigne qu'il a fini par perdre la voix. "Un procès politique" Défilant à tour de rôle, ses avocats ont presque à l'unanimité relevé certains vices de procédure, mais également le caractère "politique" du procès. "Dans le PV, il est noté qu'il a été arrêté sur instruction des chefs. Mais son arrestation ne s'est pas faite sur ordre de la justice", relève un avocat. "Il peut sortir d'ici et être arrêté par d'autres", ironise-t-il. Dans ce contexte, il est utile de rappeler que Fodil Boumala, comme d'autres d'ailleurs, a été arrêté en septembre dernier, près de son domicile, par des civils qui le filaient avant d'être présenté le lendemain aux instances judiciaires. "C'est un procès de l'élite, c'est l'histoire qui se répète. Une députée a semé la division et insulté une région sans être inquiétée. Le barreau de Béjaïa a déposé plainte contre elle, mais sans suite", s'emporte le bâtonnier de Béjaïa, Salem Khatri. "C'est un dossier politique, sans aucune assise juridique", relève-t-il encore, avant de demander la relaxe en faveur de Boumala. "La justice doit lui demander des excuses", plaide-t-il. Un autre avocat de Tlemcen fait observer que dans le PV de la police, on a attribué à Boumala l'intention d'exploiter la "naïveté". "C'est une insulte au peuple." Pour sa part, Me Nouredine Benissad rappelle que les accusations portées contre celui dont le "hirak" réclame la libération sont empruntées à la juridiction coloniale. "On aurait aimé que le parquet donne des preuves. C'est un dossier préfabriqué, c'est un procès politique", soutient-il, en plaidant lui aussi pour la relaxe. À l'heure où nous mettons sous presse, les plaidoiries de la défense se poursuivaient toujours, alors que le parquet avait requis, peu de temps avant, un an de prison ferme assorti de 100 000 DA d'amende.