Le ministre de tutelle aborde, dans cet entretien, le premier cas d'affection au coronavirus détecté en Algérie et les mesures prises pour éviter la propagation de la maladie. Il a évoqué aussi les dossiers prioritaires de son département, dont le remboursement par la Cnas des accouchements dans des cliniques privées. Liberté : Un premier cas de coronavirus a été confirmé en Algérie. Pourquoi le gouvernement, par le truchement du département de la Santé, n'a-t-il pas communiqué en amont sur les risques encourus et les dispositions prises pour y parer ? Abderrahmane Benbouzid : Les Etats communiquent beaucoup sur le coronavirus quand des contaminations sont déclarées chez eux. C'est ce que nous avons fait aussi dès que nous avons eu confirmation de l'affection sur un ressortissant italien, le mardi 25 février en fin de journée. Le patient a été diagnostiqué dans une base étrangère au sud du pays. Il a été aussitôt isolé, ainsi que son entourage. Nous sommes en train d'établir la traçabilité de son parcours de sa descente d'avion à sa destination actuelle. Il n'y avait pas besoin d'en parler avant, bien que nous ayons pris des dispositions de prévention aux postes frontaliers, aussi bien terrestres que maritimes et aériens dès l'apparition de la maladie en Chine. Nous avons rapatrié nos concitoyens (de Wuhan en Chine, ndlr), avec des Mauritaniens, des Tunisiens (rentrés le jour même dans leur pays) et des Libyens. Tous ces passagers et l'équipage de l'avion ont été placés, pendant 14 jours, sous contrôle médical. Le président de la République suit personnellement ce dossier. Tous les jours à 15h, je rends compte de l'évolution de la situation au Premier ministre. Je présenterai un exposé sur le risque du coronavirus chez nous au prochain Conseil des ministres. Nous ne versons pas dans l'alarmisme, mais nous sommes véritablement inquiets. Eu égard à la situation économique difficile, le pays serait-il en mesure de faire face à l'épidémie de coronavirus si elle venait à se déclarer ? Tant que la maladie était confinée en Chine, nous avons suspendu les dessertes aériennes avec ce pays. Quand la maladie s'est rapprochée de l'Algérie en atteignant des pays du bassin méditerranéen, nous avons élevé le niveau d'alerte. Un dispositif global est mis en place depuis le 23 janvier. Des notes d'information ont été envoyées aux professionnels de la santé et des lits spécifiques ont été réservés dans les hôpitaux. Les passagers des vols à risques sont soumis aux contrôles par des caméras thermiques. Nous renforçons nos stocks de protection pour les services de santé (masques, tenues…). Nous sommes prêts à affronter toute situation. Je vous rappelle l'épisode de la grippe aviaire. L'Algérie a produit localement le vaccin. Vous administrez le département de la Santé depuis bientôt deux mois. Quelles sont les chantiers prioritaires ? Nous sommes confrontés à des préoccupations récurrentes. J'évoque essentiellement trois d'entre elles incluses dans le programme du président de la République. Il s'agit en premier lieu de la maternité. J'ai visité récemment un hôpital et j'ai trouvé trois parturientes par lit. C'est inadmissible. Des images révoltantes sont montrées sur les réseaux sociaux. Avec la contribution de mon collègue du ministère du Travail, je m'attelle à améliorer les conditions dans les services d'obstétrique gynécologie pour que les femmes accouchent dans la dignité, en instituant un conventionnement entre la Caisse de la sécurité sociale et des structures privées comme ce fut le cas pour les dialysés. J'ai consulté la cartographie sanitaire, et je me suis rendu compte d'une éclosion de cliniques privées partout, employant plus de 1 600 gynécologues, alors qu'uniquement 600 spécialistes exercent dans le secteur public. Ces cliniques sont capables de prendre en charge beaucoup de parturientes. Les actes seront remboursés par la Cnas. Nous œuvrerons aussi à augmenter les capacités d'accueil dans les maternités publiques. Ainsi, l'image des hôpitaux changera. Il faut mettre, en outre, un terme au vagabondage des parturientes entre les établissements de santé. Tous les services des urgences ont été instruits d'avoir une traçabilité des évacuations, en inscrivant les malades envoyés vers une autre structure sur un registre paraphé conjointement par le médecin et le directeur de garde. Il sera alors possible de contrôler, a posteriori, si des patients ont été évacués alors que le service disposait de lits pour les accueillir et les prendre en charge. Le deuxième axe prioritaire est celui des urgences hospitalières. Il est inscrit dans tous les programmes, sans que le dysfonctionnement soit réglé. Nous avons constaté qu'un grand nombre de malades, affluant aux urgences, relève du tri. Ils se plaignent de douleurs abdominales ou au thorax, sans gravité. Nous envisageons de doter les établissements de proximité existants de moyens identiques, voire meilleurs, que ceux des hôpitaux afin que les patients y trouvent la même offre de tri et des soins primaires, c'est-à-dire un service de radiologie, un laboratoire d'analyses médicales et une équipe formée de médecins spécialistes, d'un chirurgien et autant que possible de pédiatres. Si le cas nécessite une prise en charge médicale plus importante, il sera évacué vers l'hôpital, soit par ses propres moyens, soit par une ambulance. L'objectif est de désengorger les hôpitaux, qui assumeront à nouveau leur mission fondamentale, les soins secondaires et tertiaires. J'ai réuni les DSP (directeurs de la santé et de la population, ndlr) et les directeurs des hôpitaux du Centre, de l'Est et de l'Ouest. Je leur ai donné les instructions sur les modalités d'évacuation et leur ai demandé de réhabiliter les polycliniques, d'y développer les espaces de telle manière à offrir un meilleur accueil — un grand hall bien éclairé — et d'y aménager des urgences médicales. En premier lieu, je compte redéployer totalement le PU du CHU Mustapha. La troisième mesure est afférente à l'amorce du plan cancer 2020-2024, coordonné par le professeur Zitouni. Le plan 2015-2019 sera évalué au plus tard au mois de mai prochain. L'oncologie est une préoccupation majeure de l'Etat, qui lui a alloué 60 milliards de dinars en 2019. Le pays dispose de 41 services d'oncologie et 77 unités, et 50 accélérateurs, dont 12 privés. Ceux d'Adrar et de Laghouat démarreront bientôt. Un groupe de travail est chargé de procéder à la création d'une base de données et de mettre toutes les structures de santé et le ministère de tutelle en réseau. Ce n'est pas simple parce qu'il faut un personnel qualifié et il y a des habitudes à bannir. L'opération commencera par la numérisation des RDV de radiothérapie, qui constitue une priorité. Les malades s'enregistrent dans plusieurs wilayas pour avoir un RDV, ce qui amplifie la demande. Dans un proche avenir, car c'est à notre portée, toutes les structures, disposant de la radiothérapie, seront reliées à un data center, lequel permettra d'avoir une visibilité sur les rendez-vous. S'il est impossible de programmer un patient à Alger avant le mois d'octobre, il peut y avoir une option de l'envoyer à El-Oued au bout de deux mois, ou dans quinze jours à Adrar. Autour des centres de radiothérapie, il existe des foyers qui offrent le gîte. C'est une urgence pour réduire les délais des rendez-vous en radiothérapie. Vous dites que le dossier oncologie constitue une priorité pour le gouvernement. Vous avez pourtant déclaré, récemment, que l'Etat ne peut pas acquérir les traitements innovants… à la rencontre maghrébo-européenne sur le cancer du sein, j'ai fait des annonces sur la prise en charge des cancers. J'ai abordé le coût d'un traitement innovant, dépassant parfois 700 millions de centimes par année et par malade. J'ai dit exactement ceci : "En raison de la situation financière, il n'est pas possible d'introduire toutes les molécules innovantes. D'autant que même les pays riches ne le font pas et surtout que certains médicaments n'ont pas encore fait leurs preuves dans certaines formes de cancer. Leur prescription est laissée à l'appréciation des 5 comités d'experts (Alger, Oran, Constantine, Sétif et Annaba)." Je ne m'adressais pas au large public, mais devant des experts, expliquant que l'Etat ne peut pas introduire toutes les molécules. L'Etat ne lésinera pas sur les moyens pour acquérir les traitements, qui ne sont pas définitifs car ils n'offrent une survie que de courte durée. Mais, dans le même temps, il comptera ses sous. Il n'autorisera l'importation que des molécules validées par les comités d'experts parce qu'elles donnent les meilleurs résultats. Ennahar TV a déformé mes propos et a titré "Le ministre de la Santé dit qu'il n'y a pas de médicaments", ce qui a suscité une vague d'indignation. Vous parlez des molécules qui n'ont pas encore obtenu d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Qu'en est-il des traitements enregistrés depuis janvier 2018 et qui ne sont toujours pas disponibles ? Les molécules enregistrées sont bloquées à cause du retard dans la validation des programmes d'importation. Ces derniers ont été signés à la fin du mois de décembre. Ce dossier est géré par le ministre chargé de l'Industrie pharmaceutique. Toute la direction de la pharmacie est sous sa coupe. Nous travaillons de concert à apurer la situation. Nous avons discuté de l'Agence nationale du médicament. Elle a son siège, son conseil scientifique et son budget. Son décret exécutif est au Premier ministère pour signature. La tutelle a largement médiatisé le projet de création de cinq grands pôles hospitaliers. Ce dernier a été gelé pour manque de financement. Sera-t-il relancé ? Il est prévu un grand CHU à Staoueli de 700 lits. Des hôpitaux sont en projet à Réghaïa, Heuraoua, Aïn Benian et Baraki, et d'autres sont en construction à Zéralda et Mahelma et Bordj-Bou-Arréridj, lequel deviendra un pôle chirurgical. Beaucoup de ces projets sont budgétisés. Des structures hospitalières sont en chantier dans plusieurs villes.