Le coproducteur de film Papicha, qui vient d'être récompensé par deux prix aux Césars, revient dans cet entretien sur cette distinction ainsi que sur la censure du long métrage, alors qu'un secrétariat d'Etat chargé de la Production cinématographique a dernièrement été créé. Liberté : Vous êtes le coproducteur du film Papicha qui vient de recevoir le prix du meilleur premier film pour sa réalisatrice Mounia Meddour et celui du jeune espoir féminin pour Lyna Khoudri… Belkacem Hadjadj : Bien entendu, ce genre de nouvelles ne peut que nous faire chaud au cœur. Quand on fait un film, notre objectif est qu'il plaise au public et qu'on puisse atteindre cette qualité qui puisse lui permettre d'avoir une reconnaissance de nos pairs et des professionnels. Pour nous, le cinéma algérien a évidemment besoin de cela. Il faudrait qu'on arrive à une situation où ce genre de films se multiplient, l'objectif c'est d'atteindre cette notoriété et faire en sorte que nos films ressortent dans les grands festivals et que leur qualité soit appréciée et reconnue. C'est pour ça qu'on se bat aussi bien à l'échelle individuelle qu'à travers l'Association des producteurs algériens de cinéma que l'on vient de créer, pour mettre en place les meilleures conditions possibles afin de faire des films de qualité qui puissent leur permettre d'aller se confronter aux productions internationales. Papicha a reçu plusieurs distinctions dans le cadre de festivals internationaux. En Algérie et depuis de longs mois, le long métrage est toujours censuré. Comment est-ce possible ? Je ne peux que constater l'incongruité et l'absurdité de la chose. Je vous rappelle que ce film a reçu son visa d'exploitation par la commission officielle du ministère de la Culture, et qu'il n'est pas sorti, ce qui est complètement ridicule. C'est ridicule de censurer un film de nos jours, ça n'a pas de sens. Le film a été vu et revu par les gens. Pourquoi priver une sortie normale. Pourquoi sanctionner les professionnels qui ont travaillé dessus et le premier public auquel il est destiné, c'est-à-dire le public algérien, et l'empêcher de le voir dans de bonnes conditions. En réalité, cette censure, son seul handicap, malheureusement, est qu'elle oblige les gens à le voir sur Youtube ou de petits écrans, alors qu'un film devrait être vu sur de grands écrans. D'un côté, on nous dit il faut ouvrir plus de salles et y ramener les gens, mais quand il y a un film qui est susceptible d'avoir un public on le censure, qu'est-ce que c'est que cette démarche complètement contradictoire ? Tout récemment, le Président a appelé publiquement au développement de l'industrie cinématographique, on prend acte, mais il nous semble que l'une des conditions sine qua non pour qu'il y ait une production digne de ce nom est la liberté de création. Il faut lever cette censure, sinon on revient trente ou quarante ans en arrière. Suite à cette censure, que l'on a voulu présenter comme une "interdiction momentanée", aucune explication ne vous a été adressée de la part des institutions concernées ? Non seulement c'est une censure, mais c'est une censure qui foule, qui écrase et qui piétine une institution officielle qui est la commission de visionnage qui lui avait délivré le visa d'exploitation. À ce jour, nous n'avons reçu aucune explication. Alors avec la nouvelle ministre, on vient de redemander de nouveau, il y a de cela deux ou trois semaines, la possibilité de faire l'avant-première, on attend pour savoir. Pour le moment, en tant que coproducteur, j'en ai parlé au CADC, qui est le représentant du ministère, et à son tour il a proposé une série de films, avec Papicha, dont il veut faire l'avant-première. Comment peut-on consacrer autant de moyens et créer deux secrétariats d'Etat, dont l'un consacré à l'industrie cinématographique d'un côté, et de l'autre, interdire des films de sortir ? En fait, dans la conjoncture actuelle, tout ceci se rejoint. C'est-à-dire quand quelqu'un censure un film ou une création, c'est une infantilisation de la société. Ce monsieur du ministère décide de ce que la société entière doit ou ne doit pas voir. Quelque part, quand on empêche la liberté de création ou la liberté de manifestation, on est dans le même schéma. Il faut maintenant qu'on passe à un autre stade de la société. Le Président dit que le Hirak est béni, c'est très bien. Mais faut alors écouter ce que dit le Hirak, au moins sur les choses essentielles.