“Les trois principales caractéristiques que nous avons identifiées dans un précédent travail restent valables pour ces trois dernières années et constituent des tendances lourdes importantes : une relation ambiguë entre le niveau du volume d'emploi créé et le taux d'investissement, un mouvement de désalarisation importante et une dépermanisation de l'emploi. Quatre tendances importantes méritent d'être présentées. Il s'agit de l'effondrement du salariat, de la ruralisation de l'emploi, de sa privatisation croissante et du développement relatif de l'emploi administratif.” C'est ce qui ressort d'une communication de M. Ahmed Bouyacoub de l'Université d'Oran, prononcée lors d'un colloque international ayant pour thème : “La question de l'emploi en Afrique du Nord.” L'auteur de la communication estime : “Alors que la tendance globale des pays industrialisés a été un mouvement important de salarisation de l'emploi (les salariés représentent plus de 80% de l'emploi depuis plus de deux décennies) et une réduction d'autant plus importante du poids des indépendants dans la population occupée, en Algérie le phénomène inverse se manifeste depuis plus d'une décennie”. Les salariés représentaient presque 75% de la population occupée en 1992, et seulement 65% en 2003. En réalité, la chute du poids des salariés est encore plus importante. En effet, les salariés permanents ont perdu 16 points entre 1992 et 2003. Le phénomène de dépermanisation s'est accéléré au cours des dernières années. “Ce mouvement de précarisation du salariat est-il un mouvement durable, comme l'indiquent certaines études ?” s'interroge M. Ahmed Bouyacoub. Ce mouvement, souligne-t-il, s'est également accompagné d'une baisse importante du poids des salaires dans le PIB qui ne dépasse pas 22% en 2003, alors qu'il avait atteint 40% en 1986. Ce niveau est nettement inférieur à celui des pays du Maghreb (Tunisie 37%, Maroc 30%) et sans comparaison avec celui des pays développés (France 52%). Mais l'analyse en termes d'économie non pétrolière ramène ce taux à 35%, taux comparable à celui des pays voisins, bien que nettement inférieur au taux de 51% enregistré en 1983. Pour M. Ahmed Bouyacoub, l'effondrement du salariat est à lier à la baisse importante du poids de l'emploi industriel qui représentait 13,40% en 1990 et seulement 8,90% en 2003 de l'emploi global structuré. En termes absolus, le secteur industriel a perdu 7,5% de ses effectifs au cours de cette période. “La deuxième tendance qui mérite d'être soulignée concerne ce qu'on peut appeler une ruralisation de l'emploi, alors que le taux d'urbanisation de la population a connu une croissance très importante”, affirme M. Ahmed Bouyacoub. Cette tendance, de son point de vue, est également paradoxale par rapport à l'évolution des économies de marché qui ont enregistré une croissance concomitante de l'urbanisation (de la population et de l'emploi) et de la salarisation. En Algérie, la forte urbanisation de la population s'est accompagnée à la fois d'un effondrement de la salarisation et d'une forte ruralisation de l'emploi. La population urbaine est passée de 50% en 1987 à 62% en 2002, mais l'emploi urbain a reculé de manière importante puisqu'il est passé de 75,4% à 58% au cours de la même période. L'emploi rural a connu une croissance nettement plus élevée 177% que l'emploi urbain 26% entre 1987 et 2003. Le dynamisme de l'agriculture qui occupe 27% de l'emploi structuré explique largement cette évolution. “C'est un phénomène particulier puisqu'une bonne partie de la population occupée réside en milieu urbain et travaille en milieu rural. Généralement, c'est la tendance inverse qui prédomine”, s'étonne M. Ahmed Bouyacoub. La troisième tendance relevée est la privatisation rampante de l'emploi. “L'emploi privé représentait 35% en 1987, 46% en 1990 et atteint 61% en 2003. La structure juridique de l'emploi de 1987 a été presque inversée en 2003”, constate M. Ahmed Bouyacoub. Mais ce renversement de la structure juridique a été accompagné par un autre paradoxe puisqu'il n'a pas empêché l'emploi administratif de connaître une relative croissance. L'emploi administratif qui occupe depuis longtemps la première place dans la structure de l'emploi global structuré a été rejoint au cours de la dernière année par l'emploi agricole, relève M. Ahmed Bouyacoub qui s'interroge si “la structure actuelle de l'emploi favorise l'émergence d'un véritable marché de travail”. Meziane rabhi