Le saxophone est désormais orphelin du souffle de son maître Manu Dibango, qu'il a rendu en ce funeste mardi du 24 mars à cause du coronavirus. Mais ce qui est étrange, c'est qu'aucun média au monde n'a fait cas de son séjour sur la côte turquoise d'Alger. C'est à croire qu'il n'a jamais mis les pieds à Alger, alors qu'il se produisait tous les soirs à la boîte de nuit baptisée tantôt La Khaïma et tantôt La Dechra, qui était située à proximité du club équestre de Zéralda. "Encore méconnu sur la scène artistique, il m'a offert son disque Hot Thing, qu'il a enregistré sous son pseudonyme Junior Dibbs. Et à ses moments d'entracte, le défunt parlait de l'Afrique d'où il puisait sa musique", se souvient notre confrère Aziz Fares. D'ailleurs, c'est sur cette scène qu'il a côtoyé le pianiste Rachid Bahri, le leader du groupe pop The Life et le jazzman Boualem Hamani dit Bill. "Il était accompagné de ses propres musiciens jusqu'au jour où il m'a dit : ‘Que dirais-tu si j'intègre Rachid Bahri dans mon orchestre ?' Je lui ai répondu qu'il ne trouverait pas mieux, et c'est ainsi que l'enfant de Belcourt est allé faire une belle carrière en Europe", a ajouté l'ancien animateur-radio de la Chaîne III. "C'est au défunt Abdelkader Khalef, l'ancien président de la JSK et directeur général de l'Onat, que l'on doit la découverte de la pépite Manu Dibango, qu'il a fait venir à Alger où il logeait à l'hôtel Les Sables d'or à Zéralda", a-t-on su de l'écrivain Saïd Boukhelifa. Reconnaissant, l'enfant de Douala (Cameroun) a fait don à Zéralda de l'indémodable Night in Zeralda (1972), "en opposition à A Night in Tunisia (1942), qui est une composition du duo américain le trompettiste, John Birks Gillespie dit Dizzy Gillespie (1917-1993) et le pianiste Frank Paparelli (1917-1973)", a déclaré l'auteur de Mémoires touristiques algériennes (1962-2018) (à compte d'auteur, 2018). Du reste, l'Alger, ou La Mecque des révolutionnaires qu'elle a été en ce temps-là, fut le tremplin vers le succès d'Emmanuel N'Djoké Dibango, dit Manu Dibango, a conclu notre interlocuteur. Alors, et pour lutter contre l'oubli, n'est-il pas temps de baptiser une rue de Zéralda ou d'Alger au nom du père de Soul Makossa (1972) à l'aide d'un écriteau où sera buriné pour la postérité le séjour fécond de celui qui a immortalisé Zéralda au panthéon de l'âge d'or du tourisme ? Pourquoi pas ?