Comme partout ailleurs, le rétrécissement du temps de circulation en raison du confinement partiel pousse la population à faire ses courses rapidement oubliant au passage le respect des règles de sécurité et de prévention. Les Oranais ne font pas exception. Les jeunes, qui suppléent les autorités locales, se prennent en charge en procédant à la désinfection de leurs quartiers. Depuis le 5 avril dernier, date d'extension du couvre-feu de 19h-7h à 15h-7h, Oran offre deux visages totalement différents : la matinée, celui d'une ville animée dont une partie de la population tourne le dos aux mesures élémentaires de sécurité contre le coronavirus et, l'après-midi, le visage d'une cité quasiment désertée par des habitants contraints par la force publique de s'enfermer chez eux. Et il n'est pas certain que le confinement imposé par le couvre-feu ne soit pas derrière l'importante fréquentation des marchés et magasins par les Oranais. Jeudi matin, le spectacle de consommateurs agglutinés devant les étals d'un marché de fruits et légumes d'une banlieue oranaise était saisissant : sans masques, sans distance de sécurité, consommateurs et vendeurs échangeaient propos et monnaie sans barrières, avec une insouciance que les spécialistes de la santé n'hésiteraient pas à qualifier d'inconscience criminelle. La situation était telle que même ceux qui portaient les masques et s'échinaient à garder leurs distances vis-à-vis de leurs concitoyens étaient piégés. "Je sors d'un magasin de fruits et légumes où les consommateurs se bousculaient carrément. Je porte un masque mais j'ai touché des gens et des gens m'ont touché. Tout ce que je peux faire, c'est enduire mes mains avec ce gel hydroalcoolique", peste un quadragénaire en grimpant dans son véhicule. Les "bousculades" entre consommateurs sont ainsi observées tous les matins dans les marchés de fruits et légumes et les magasins d'alimentation générale, particulièrement dans les quartiers populaires. "Allah houa settar (Que Dieu nous protège). Nous n'avons pas le choix", justifie un commerçant en déplorant la pénurie de masques et de gel hydroalcoolique dans les pharmacies. Pour les distances de sécurité, "c'est aux consommateurs de s'organiser", estime-t-il encore avec raison, tant il est quasiment impossible d'organiser les files dans les marchés de fruits et légumes sans une prise de conscience des citoyens. Insouciance coupable Certains commerçants ont toutefois réussi à prendre les devants et à installer des "barrages" qui maintiennent une distance de sécurité avec les clients. Les pharmaciens, bien entendu, qui se sont réfugiés derrière un ruban tendu à un mètre de distance, des boucheries qui ont également eu recours à ce procédé pour tracer la limite à ne pas dépasser mais aussi certaines boutiques de vente de téléphones, des bureaux de tabac et même des magasins d'alimentation générale qui ont carrément aménagé un comptoir à l'entrée de leur établissement. "Comme ça, les clients ne sont pas obligés d'entrer dans un espace confiné et nous limitons les risques d'une contamination potentielle", explique un vendeur d'accessoires pour téléphones. D'autres commerces, notamment les petites supérettes, ont préféré instaurer le système "deux clients à la fois" pour éviter les encombrements entre les rayonnages. "Parfois, des énergumènes ne respectent pas cette mesure et cela crée une tension avec les clients qui attendent patiemment leur tour", regrette un commerçant de Belgaïd en épinglant, lui aussi, l'inconscience de certains consommateurs. La situation de non-respect des mesures de protection contre le coronavirus à Oran est, bien entendu, observée dans les communes et petites localités de la wilaya où la notion même de virus semble mal appréciée par le grand nombre. Une tournée à Sénia, Aïn El-Beïda et d'autres agglomérations qui ceinturent Oran montre l'étendue de l'indifférence face à la crise : des jeunes sans masque discutent en groupes compacts aux coins de rues, des enfants également sans protection jouent sur les trottoirs, des consommateurs, visages nus, se côtoient dans les magasins… bref, aucun signe que l'Algérie fait face à une crise socio-sanitaire d'une rare gravité. À 13h, des éléments de la police ont déjà installé un barrage à la sortie de Sénia. Mais pas de quoi inquiéter les automobilistes puisque les policiers, masqués et parfois gantés, leur font seulement signe d'accélérer en désignant le poignet à l'endroit où se trouve la montre. L'angoisse d'une ville morte De toutes les manières, les artères de Sénia sont déjà quasi désertes et les retardataires accélèrent le pas pour éviter les admonestations policières ou, pire rencore, la contravention ou l'interpellation. Il est à rappeler ici que les contrevenants à la mesure du couvre-feu risquent une amende allant de3 000 DA à 6 000 DA et trois jours d'emprisonnement. Une demi-heure plus tard, le signe que les représentants de l'ordre adressent aux automobilistes en approche des différents barrages, change : policiers et gendarmes ne désignent plus le poignet gauche en référence à la montre mais exigent l'autorisation de circuler que les autorités de la wilaya ont établie au bénéfice d'une certaine catégorie de travailleurs à la veille de l'instauration du couvre-feu. Les possesseurs du précieux sésame franchissent les barrages sans encombre, les autres sont réprimandés, voire sanctionnés. À partir de ce moment-là, le centre-ville d'Oran, les quartiers de banlieue et les communes environnantes se vident de leurs habitants : les véhicules de police patrouillent dans les centres urbains, de rares automobilistes autorisés continuent de circuler et les camions de ramassage des ordures s'attaquent aux points noirs… dans le silence assourdissant créé par le couvre-feu. "On dirait une ville morte", s'angoisse une jeune Oranaise malgré sa conviction que le confinement est le seul moyen de casser la chaîne de contamination. Hormis quelques jeunes et moins jeunes qui continuent de tuer le temps en bas de chez eux, l'écrasante majorité de la population oranaise reste sagement confinée en attendant des jours meilleurs. Les jeunes volontaires Pour autant, le couvre-feu n'empêche pas que des opérations de décontamination et de désinfection, organisées par des associations ou improvisées par des jeunes, se déroulent dans certains quartiers. Ainsi, dans l'après-midi de ce jeudi, la section de Bir El-Djir de l'Union des associations de la wilaya d'Oran s'est attelée à désinfecter la grande avenue de Sidi El-Bachir, quartier chaud situé à la sortie Est d'Oran. "Un particulier nous a confié un Karcher, la commune nous a donné quelques litres de produit de décontamination et nous allons laver toute cette zone", se satisfait l'un des bénévoles alors qu'à quelques mètres de là, les jeunes habitants de Sidi El-Bachir se sont cotisés pour repeindre un passage piéton qui avait perdu son lustre, et quelques mètres de trottoir. "Nous le faisons parce que c'est notre quartier et que nous ne pouvons pas compter sur les services communaux. Ils disent dans les médias qu'ils décontaminent partout et lavent partout, ce n'est pas vrai. Hormis les camions de ramassage des ordures qui passent régulièrement, aucune opération de désinfection n'a été réalisée par ici", dénonce un habitant. L'absence de masques et de gants est également relevée. "Soit ils ne sont pas disponibles ou alors ils sont excessivement chers. Mais de toutes les façons, nous sommes entre voisins et nous veillons à ne pas approcher les personnes qui viennent d'ailleurs", tente d'expliquer un jeune volontaire, visiblement pas très sûr de la pertinence de ses propos... En tout état de cause, et alors que l'OMS vient de décréter l'obligation du port du masque, beaucoup d'Oranais continuent, volontairement ou non, d'ignorer les mesures de protection élémentaires au risque de faire le lit de la propagation du Covid-19.