Liberté : L'Opep et ses partenaires ont convenu dimanche soir de la "plus grande baisse de production de l'histoire", soit une coupe de près de 10 millions de barils par jour. Comment voyez-vous l'impact de cette décision sur l'évolution des fondamentaux du marché pétrolier ? Rabah Reghis : Il faut préciser d'abord que la visioconférence du dimanche 12 avril n'a pas été faite pour cette coupe de 10 millions de barils mais pour les faire adhérer à une réduction supplémentaire au-delà de ce niveau sur lequel les ministres de l'Energie du G20 ont tranché le vendredi. En tout cas, il n'y a eu aucun mot sur cette question dans leur communiqué final. Même le communiqué de l'Opep+ de vendredi matin n'était pas définitif, subordonné à l'accord du Mexique, 23e membre, qui a claqué la porte car il n'était pas d'accord sur la proportion de réduire de 23%, soit 400 000 barils/jour. Le Mexique voulait réduire sa production de seulement 100 000 barils/jour. Le président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, annonce le même jour être parvenu à un accord avec Donald Trump pour réduire la production de pétrole du pays de 100 000 barils par jour (bj) et que les Etats-Unis allaient de leur côté diminuer leur production de 250 000 bj supplémentaires par rapport à leurs engagements précédents pour compenser la part mexicaine. Avec cette nouvelle, l'accord de l'Opep+ est devenu historique et scellé jusqu'à 2022 en passant par une réunion d'évaluation arrêtée d'un commun accord pour le 10 juin prochain. La réunion du dimanche à laquelle vous faites allusion est juste pour sceller définitivement l'accord de jeudi. La réunion du 9 avril a un seul avantage, celui de mettre fin à une chamaillerie de trop entre l'Arabie saoudite et Moscou qui ont accéléré la chute des cours. Maintenant que cette guerre inutile est évacuée, on revient aux fondamentaux du marché qui sont l'offre et la demande. Les 10 millions de barils/jour resteront, d'après moi, un non-événement pour le marché qui continue à baisser jusqu'à l'heure où je vous parle. Certains analystes estiment que l es réductions de production sont inférieures à ce dont le marché a besoin, d'autant plus que les risques d'une récession sévère et durable de l'économie mondiale ne sont point à écarter. Qu'en pensez-vous ? Dans son contenu, l'accord reste prudent, pragmatique et semble tenir compte de l'évolution de la situation économique mondiale face aux ravages causés par la pandémie de coronavirus. Il est structuré en 3 parties qui vont du mois de mai 2020 à fin avril 2022. Selon toute vraisemblance, cela vise à envoyer un signal fort au marché pour faire comprendre aux acteurs pétroliers que cette organisation informelle est en train de prendre les choses en main suite à l'échec du début du mois de mars qui aurait pu causer son effritement. Le premier accord sera une réduction de 10 millions de barils par jour qui prendra effet du 1er mai prochain jusqu'à fin juin 2020 qui coïncidera, selon cette approche, avec la fin possible du confinement de la population dans le monde et éventuellement un début de reprise des activités économiques et sociales. Il était peu probable que cet accord vise une ambition quelconque, mais il était censé limiter une descente aux enfers d'un prix du baril non rentable pour la majorité des gisements dans le monde. Le deuxième accord quant à lui accompagnera la reprise économique tout en maintenant une réduction de production de 8 millions de barils par jour sur une période jugée suffisante pour une reprise effective de l'usine mondiale allant du 1er juillet à fin décembre 2020. Ensuite, pour marquer leur pérennité, l'accord prévoit enfin que les pays concernés par la déclaration de coopération de l'Opep+, signée en 2016, continuent leurs efforts visant à équilibrer le marché, en appliquant une réduction de leur production de l'ordre de 6 millions de barils par jour à compter du 1er janvier 2021 et jusqu'à la fin avril 2022. Les plus grandes réductions seront supportées par l'Arabie saoudite et la Russie. Cette démarche telle qu'elle a été entreprise sur insistance du président Trump n'avait aucune ambition de faire grimper les prix mais de tenter de stabiliser le marché pour éviter le chaos, celui d'un baril à 10 dollars qui rendrait les 90% des gisements mondiaux non rentables à part les quelques monarchies du Moyen-Orient. Pour faire court, ces 10 millions de barils ne sont qu'un pipi de chat pour une récession en cours caractérisée par un surstockage et un déficit de la demande de près 30 000 000 de barils jour. Cette réduction de 10 mbj serait donc insuffisante pour soutenir les cours du brut, le but étant de limiter la casse et éviter aux prix de tomber plus bas… Il était clair que l'accord, dans son fondement, ne visait pas l'objectif d'emballer le marché mais servirait au moins de rempart à une chute vertigineuse. à la veille de la réunion, soit le 8 avril 2020, le Brent de la mer du Nord s'échangeait vers 18h à 33,78 dollars le baril, alors que le brut newyorkais, le WTI, à 25,81 dollars le baril, vers 22h. Le Sahara Blend algérien s'échangeait quant à lui à 21,51 dollars le baril. Après les conclusions des deux réunions, celle de l'Opep+ et de ses alliés, suivie, le lendemain, par celle des ministres de l'énergie des pays du G20, les prix du baril ont chuté montrant un signe d'un affaiblissement confirmé de la demande mondiale. Le samedi 12 avril, le Brent a perdu près de 4,14% de sa valeur pour descendre à 31,48 dollars le baril, le WTI devait perdre un peu plus soit 9,29% pour être coté à 22,76 dollars le baril. Le Sahara Blend par contre continuait son ascension pour atteindre 22,52 dollars le baril. Une baisse de la demande et une augmentation de l'offre pourraient entraîner un excédent de pétrole de plus de 30 millions de barils par jour. Cela mettrait le marché du pétrole sous une pression physique extrême. Ensuite, s'il est peu probable que la capacité nominale de stockage soit dépassée, il est possible que l'ampleur même de l'offre excédentaire submerge les chaînes logistiques mondiales, plongeant le Brent dans des creux à un chiffre. On peut en déduire que les réductions de l'Opep+ dans la fourchette annoncée par Trump, de 10 à 15 mbj, pourraient servir de garde-fou pour ne pas franchir ce creux mais garderont les prix confinés dans un yoyo de 30-35 dollars le baril, ce qui ne réglera ni les problèmes des producteurs de schiste et encore moins celui des producteurs de l'Opep+, dont les économies restent fortement dépendantes des recettes pétrolières, comme le Venezuela, l'Algérie, l'Angola le Nigeria, l'Irak et la Libye pour ne citer que ceux là. Pourquoi ? Parce qu'une offre sera toujours excédentaire et l'usine chinoise qui progresse doucement dans son démarrage aura d'abord à utiliser un stock accumulé durant la crise de la pandémie estimé à plus de 900 millions de barils.