Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, revient, dans cet entretien, sur les paramètres de calcul et de consolidation des chiffres des décès et des contaminations au coronavirus. Il a également esquissé les grands axes des réformes liées au système national de santé. Liberté : Sept semaines après l'apparition de l'épidémie de coronavirus en Algérie, quelle évaluation faites-vous en tant que premier responsable de la santé en Algérie ? Abderrahmane Benbouzid : Il importe de savoir en premier lieu que les chiffres que communique tous les jours l'instance de suivi de l'évolution de la pandémie ne représentent en fait que des statistiques des personnes testées. Autrement dit, moins de tests suppose moins de chiffres, et moins de chiffres sous-entend aussi moins de tests. On teste moins. Cela reste valable dans tous les pays du monde. Les pays qui disposent de plus de kits testent plus. En revanche, le nombre de décès est exact. L'on ne peut pas cacher cela parce que le nombre de décès est également donné par les services de l'APC où on déclare les morts pour obtenir un permis d'inhumer. Il y a donc une sous-déclaration des contaminations ? La sous-déclaration n'est pas propre à l'Algérie. Il y a sous-déclaration dans tous les pays du monde parce qu'on ne pratique pas de dépistage massif. À titre d'illustration, je citerai le cas de la France qui compte plus de 60 millions d'habitants. On n'a pas diagnostiqué 60 millions. Il est impossible aujourd'hui de pratiquer en Algérie un dépistage massif. On ne peut pas tester les 500 000 habitants de Blida, on ne dispose pas de 500 000 tests. Autrement dit, on ne teste que ceux qui présentent des signes de Covid-19. Ce sont des kits dépendants et des réactifs dépendants. Si on importe 100 000 kits, on ne va pas tester 100 000 porteurs suspects. Il y a une forte demande sur ces produits en ces temps de crise sanitaire qui a ébranlé le monde entier. Il y a beaucoup de commandes passées à la Chine qui distribue en fonction de la disponibilité des produits fabriqués. À la lumière des statistiques de ces derniers jours, qui ont amorcé une nouvelle décrue, peut-on considérer que le pic est atteint ou pas encore ? Au début de la pandémie, plusieurs scénarii dramatiques étaient esquissés et imaginés. À ce titre, je citerai un scientifique algérien qui avait prédit qu'à partir du 15 avril, on aurait 25 000 à 30 000 cas. Il a ajouté que les hôpitaux seront inévitablement dépassés. Et l'Algérie sera condamnée à endurer un scénario à l'italienne. Il faut savoir aussi que jusque-là, seul le tiers des lits est occupé par des sujets saints. Pour les lits disponibles dans la réanimation, nous en avons par milliers. Il y a moins de 100 patients qui sont actuellement en réanimation. C'est dire que l'Algérie est loin de cette prédiction apocalyptique. Cela ne veut nullement dire que nous avons échappé au risque. Les bilans actuels des contaminations se situent autour de 2 000 cas confirmés. Ce sont des chiffres qui concernent les personnes testées. Nous n'avons pas testé tout le monde. Ces statistiques se stabilisent, en dents de scie, entre 60 à 90 cas nouveaux par jour. Et comment expliquez l'évolution des chiffres des décès ? Ce qu'il faut savoir à propos des bilans des décès, nous avons communiqué au début de la pandémie un taux plus élevé que celui qui est annoncé ces derniers jours. En fait, nous avons accepté de déclarer des décès en lien avec le Covid-19 dans les hôpitaux sans que ces cas ne soient transités par le service de réanimation. Alors qu'ailleurs, on ne comptabilise que les décès qui sont déclarés après être passés par la réanimation. Si on se limite à donner des bilans qui concernent des patients morts après une prise en charge dans la réanimation, on ne dépasserait pas 5 morts par jour. Les bilans communiqués sont des personnes décédées naturellement. Qu'est-ce que vous entendez par personnes décédées naturellement ? C'est-à-dire que ces personnes mortes ont été directement identifiées comme étant des décès causés par le coronavirus, sans passer par les phases évolutives du Covid-19, alors qu'elles ont rendu l'âme en arrivant à l'hôpital ou qui meurent dans les heures qui suivent leur arrivée, après quoi, on fait des tests post-mortem et on déclare mort du Covid-19. C'est ce qui explique qu'on se retrouve aujourd'hui avec ce chiffre qui dépasse 300 décès. Si l'on avait déclaré que ceux qui sont morts à l'hôpital, on serait à moins du tiers du bilan déclaré jusque-là. Parmi les dernières mesures annoncées par le chef de l'Etat lors de sa visite lundi au CHU de Beni Messous, figure celle relative à la suppression du service civil. Qu'en est-il exactement ? Il faut avouer que le service civil a montré ses limites depuis plusieurs années. Par le passé, c'était obligatoire, maintenant on laisse le choix au jeune assistant. Le président de la République a pris l'option de le supprimer. Le chef de l'Etat a pris comme option de favoriser les bacheliers du Sud pour s'inscrire aux études de médecine. Il est question aussi d'une autre mesure qui concerne les médecins généralistes du sud du pays en leur permettant de faire un DEMS, sans passer par le concours, mais à condition de travailler six ans dans le Sud. Est-ce que les assistants qui viennent de réussir leur DEMS sont-ils concernés par cette mesure ? Les résidents qui terminent cette année auront à chercher des postes dans les hôpitaux du nord du pays, à défaut, ils iront travailler dans les structures sanitaires du sud du pays. En percevant un double ou triple salaire tel que promis par le chef de l'Etat ? Le président de la République a clairement déclaré que tout médecin spécialiste qui accepte de partir travailler dans le Sud aura un double salaire et sera hébergé, en plus d'autres avantages. Par contre, celui qui cherche à embrasser une carrière hospitalo-universitaire devra passer le concours ou aller exercer dans les hôpitaux du sud du pays.
Par conséquent, la suppression du service civil suppose la révision de la loi sanitaire de 2018 qui a institué le service civil obligatoire ? Evidemment, s'il y a une contradiction avec la mesure annoncée par le président de la Républqiue, la loi sanitaire de 2018 sera révisée. Les lois sont faites par des hommes. Et qu'en est-il de l'amélioration des conditions salariales annoncée par le Président ? à travers ce que le chef de l'Etat a dit, il faut considérer tout l'intérêt qu'il attache au corps de la santé. Il estime que le corps de la santé mérite une amélioration des conditions salariales. Mais, le Président demande en contrepartie une amélioration dans le travail. En fait, il ne peut y avoir une amélioration que si on distingue celui qui fournit des efforts de celui qui ne travaille pas. Il faut retenir que le Président a de la considération pour le corps de la santé. Il compte gratifier les professionnels de la santé, en récompenses salariales et amélioration des conditions de travail, mais il ne faut pas perdre de vue que l'ère d'accorder de l'unanimisme est révolue. Par le passé, on attribuait des primes de contagion à ceux qui ont même un travail administratif. Cela doit désormais cesser. Expliquez-nous les missions de l'Agence nationale de la sécurité sanitaire par rapport au département que vous gérez ? Il faut savoir que cette agence était attendue. Dans la loi sanitaire de 2018, il était prévu la création de l'Observatoire national de la santé. Il s'agit d'une haute autorité placée directement sous l'autorité du chef de l'Etat. Cette agence nationale sera autonome. Ses membres seront évidemment désignés par le président de la République. Elle sera organisée en plusieurs directions. Chaque direction aura un plan d'action. Pour moi, c'est une agence de veille sur l'état de la santé. L'agence veillera sur l'état de santé des citoyens ainsi que sur les moyens qui sont mis à sa disposition, à l'état d'hygiène, à l'état des hôpitaux. Cette institution vient en fait en soutien à la santé pour l'alerter. Elle aura les mêmes missions que celles du Conseil national économique et social. Ce nouvel organisme ne chevauchera pas avec les missions du ministère de la Santé. Le ministère occupe le terrain, c'est à dire les hôpitaux, les équipements. L'agence sera là pour nous observer, nous assister, nous contrôler, nous guider. Qu'en est-il de la refonte du système national sanitaire ? Il faut engager une refonte totale du système national de santé. Nous avons constaté beaucoup de dysfonctionnements. Il faut savoir que dans certains CHU, il y a beaucoup plus de médecins que de malades hospitalisés. Il y a une mauvaise répartition des ressources, parce qu'on ne procède pas à l'identification des activités en amont, pour parvenir à relever les performances de tel ou tel autre service. Il faut désormais établir un état de compétitivité et de performance, de récompense pour ceux qui travaillent et de sanctions contre ceux qui ne fournissent pas d'efforts. Il était temps qu'on cesse de dégager des budgets par le copinage. Est-ce qu'on peut s'attendre à l'assouplissement des mesures de confinement à l'approche du Ramadhan ? Je n'interviens pas dans les prérogatives du président de la République, je ne donne qu'un avis qui est strictement personnel. Je ne le souhaite pas du tout, parce qu'un simple relâchement ou une baisse de vigilance risque de nous coûter cher notamment avec les veillées du Ramadhan. C'est le président de la République qui décide sur la base des constats. Les chiffres qui sont en train de baisser sont le fruit du confinement et de la discipline des citoyens. Je pens e qu'on restera dans la même situation, au stade où on est, il est préférable, parce que ce n'est pas très contraignant. Dans certains pays, on a déjà annoncé la prolongation du confinement jusqu'au 21 mai prochain.