L'Algérie est en train de subir une crise financière et économique provoquée, à l'origine, par l'effondrement du prix du pétrole sur le marché international, qui s'est produit à partir du seond semestre de 2014. Faute d'avoir engagé, par les pouvoirs publics, un programme bien réfléchi, reposant sur une analyse objective des faiblesses et des insuffisances et comportant des réformes structurelles, des mesures adéquates et des investissements productifs, la situation a continué à se détériorer. L'action menée pour y remédier, caractérisée par l'improvisation, l'incohérence et le manque de rigueur, n'a pas permis d'obtenir les résultats escomptés. L'avènement de l'épidémie de coronavirus, sa propagation, sa persistance et ses conséquences ont aggravé les difficultés auxquelles le pays est confronté. Parmi les mesures proposées pour surmonter cette crise, certains ont préconisé la dévaluation de la monnaie nationale. Cette solution, qui est recommandée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, est appliquée par des pays qui connaissent un ralentissement des activités économiques, un déséquilibre au niveau des fondamentaux, une extension du chômage. Il s'agit généralement de pays qui disposent d'une économie structurée, d'une production de biens et de services diversifiée, d'exportations variées, mais qui n'arrivent pas à utiliser toutes leurs capacités par manque de compétitivité. La dévaluation de leur monnaie, soutenue par d'autres dispositions, constitue un stimulant qui déclenche des effets bénéfiques qui se répandent dans tous les secteurs de l'économie nationale et contribuent à son redressement. La dévaluation de la monnaie nationale retenue par ces pays comme elle pourrait l'être par l'Algérie vise essentiellement une augmentation des exportations, une diminution des importations, l'attrait des capitaux étrangers et toute autre forme de rentrée de devises dans le but de relancer les activités et de rétablir les équilibres. De tels objectifs se réalisent lorsque l'économie est bien structurée et bénéficie de capacités de production variées, de circuits d'exportation solidement établis, comme cela a été déjà indiqué. Ce n'est malheureusement par le cas de notre pays. Notre économie est déstructurée et souffre de dysfonctionnements multiples. Nos exportations sont représentées dans la proportion de 95% par un seul produit : les hydrocarbures. L'inexistence de denrées variées de qualité, susceptibles d'être écoulées à l'extérieur, et celle d'une organisation efficace et des conditions requises pour le faire ne permettent pas d'augmenter les autres exportations. Celle des marchandises hors hydrocarbures n'évolue pas et fluctue depuis des années autour d'un milliard de dollars. Notre environnement et le climat des affaires sont loin d'être favorables pour attirer des investissements étrangers, l'arrivée de touristes en grand nombre, le rapatriement de leurs économies par les Algériens vivant en dehors de l'Algérie. Nos importations sont, en grande partie, indispensables pour satisafaire les besoins de consommation de la population et ceux de la production dans tous les domaines et ne peuvent être réduites en deçà d'un certain niveau. Ce sont là des réalités qui ne peuvent pas être ignorées et qui expliquent que les dévaluations et les dépréciations du dinar qui ont été effectuées depuis le début des années 1990 jusqu'à présent ont toutes donné des résultats négatifs. Au lieu de l'assainissement de l'économie et de la reprise de la croissance, ce sont l'inflation, la liquidation des entreprises sous l'effet de la multiplication de leurs difficultés, l'augmentation du chômage, l'appauvrissement de larges couches de la population, la hausse du taux de change des devises sur le marché parallèle, etc. qui ont sévi. Le seul avantage obtenu est l'accroissement des recettes provenant des exportations des hydrocarbures, converties en dinar, celles de Sonatrach et celles du budget de l'Etat issues de la fiscalité pétrolière. Cet avantage est, en fait, illusoire puisqu'il sera annulé par l'augmentation du coût des importations et l'inflation généralisée qui en résultera. Il y a lieu de rappeler à cet égard que l'inflation a atteint un taux de 30% à la suite des dévaluations du dinar opérées dans le cadre des programmes mis en place entre 1994 et 1998 sous l'égide du FMI et de la Banque mondiale. Si nous ne tirons pas de nos expériences des leçons qui nous servent, nous continuerons à répéter les mêmes erreurs et à subir les mêmes déboires. Le principal facteur qui est à l'origine du maintien et du renforcement de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et de l'étranger ainsi que de la fragilité et de la vulnérabilité de notre économie est l'absence des investissements productifs. Ces derniers ont été négligés, abandonnés durant les quarante années qui viennent de s'écouler. Le fait de ne pas les avoir entrepris, encouragés lorsque notre pays a bénéficié d'une confortable aisance financière à la suite de la forte hausse du prix du pétrole est criminel. Il nous a fait perdre une précieuse occasion qui risque de ne pas se renouveler. Pour mettre fin à la fragilité et à la vulnérabilité de notre économie, la solution est d'augmenter et de diversifier nos productions dans tous les secteurs. L'obtention d'un tel résultat nécessite l'engagement d'investissements productifs massifs qui se traduiront par d'importantes importations de biens d'équipements, de matériels et de services. Si le dinar est affaibli davantage par des dépréciations, le coût de ces importations sera très élevé et prohibitif. Il risque de freiner les investissements et d'être, dans tous les cas, un handicap pour les projets mis en œuvre en rendant leurs productions non compétitives. Il est donc nécessaire d'avoir un dinar stable, lequel, en renforçant la confiance des entrepreneurs et de la population d'une manière générale, créera un climat favorable aux investissements productifs et à la relance des activités. Cela, d'autant plus qu'il maintiendra le coût des importations destinées à la réalisation de ces investissements dans des limites acceptables. J'aborde de nouveau la question de la stabilité du dinar parce que je considère qu'elle est fondamentale et qu'elle doit constituer un impératif à respecter scrupuleusement. Son instabilité ne manquera pas d'aggraver une situation qui est déjà difficile et de compromettre les efforts qui seront déployés pour surmonter la crise et engager le pays dans la voie d'un développement économique et social réel tant souhaité. La manipulation du dinar ne peut, en aucun cas, aider à résoudre des problèmes complexes accumulés par la mauvaise gestion. Leur solution requiert plutôt des mesures d'une autre nature, plus adaptées et plus efficaces, des réformes profondes et la promotion des investissements productifs, notamment. Par : B. Nouioua (*) Ancien gouverneur de la Banque d'Algérie