Le dinar en tant que monnaie nationale est, comme toute autre monnaie, à la base des activités économiques et sociales. Son évolution concerne chaque citoyen et le préoccupe lorsque des difficultés pointent à l'horizon. Les risques auxquels est confrontée l'économie de notre pays à la suite de la chute du prix du pétrole soulèvent, à juste titre, des inquiétudes sur le sort du dinar. La présente contribution est une participation à l'échange de points de vue qui s'est déroulé, ces derniers temps, sur cette question. Elle abordera les variations qu'a subies la valeur du dinar et celles susceptibles d'intervenir du fait des développements en cours qui vont affecter l'économie nationale. Lors de la création du dinar en 1964, sa valeur a été fixée à un poids d'or de 180 milligrammes. En même temps, il avait été précisé que sa valeur équivalait à celle du franc français de l'époque et qu'un dollar valait 4,93 dinars. Par la suite, la référence à l'or a été abandonnée du fait que l'or ne servait plus d'étalon pour les monnaies. Par rapport aux principales devises, la valeur du dinar a beaucoup changé compte tenu de l'évolution qu'a connue notre économie. Il faut préciser que la valeur du dinar n'est pas garantie par le stock d'or qui est au niveau de la Banque centrale ni par les avoirs en devises (réserves de change) qu'elle détient. Sa valeur dépend en principe de l'état de l'économie et de la manière dont elle fonctionne. Le dinar est fort si l'économie est solide, prospère et bien gérée ; il est faible si l'économie stagne, périclite et est mal gérée. En fait, différents facteurs, dont certains sont complexes, influencent la valeur de la monnaie. La Banque centrale, à laquelle a été confiée l'émission monétaire, par délégation de l'Etat, a pour mission principale de «veiller à la stabilité des prix en tant qu'objectif de la politique monétaire». Son rôle est par conséquent de veiller, à travers la stabilité des prix, à la stabilité de la valeur du dinar, à la fois sur les plans interne et externe. A cet effet, la Banque d'Algérie fait de sorte que l'émission et la circulation monétaires répondent de manière plus ou moins appropriée aux besoins de l'économie, sans excès ni déficit, en utilisant différents instruments. Habituellement, ce sont les crédits à l'économie qui sont en grande partie à l'origine de la création monétaire. La Banque centrale est en principe outillée dans ce cas pour moduler l'émission de la monnaie. Les crédits à l'Etat interviennent dans une moindre mesure dans cette création. Leur attribution se fait dans le cadre de limites, mais qui n'ont pas toujours été respectées. La part de l'achat de devises par la Banque centrale dans la création monétaire a toujours été marginale dans le passé ; la situation a changé à partir de 2002. A la suite de la hausse du prix du pétrole, les recettes en devises se sont substantiellement accrues, leur achat par la Banque centrale a constitué graduellement la principale source de l'émission monétaire. Du fait que la Banque centrale ne peut ni refuser ni limiter cette acquisition, elle a perdu en grande partie le contrôle de la création monétaire. D'où l'excès de liquidité qui a caractérisé, durant toute cette période, l'économie nationale. Cet excès est d'autant plus gênant qu'il est représenté dans une forte proportion par la circulation fiduciaire, c'est-à-dire par les billets de banque et les pièces de monnaie métallique. La masse de billets de banque et de pièces de monnaie métallique est passée de 577 milliards de dinars en 2001 à 3503 milliards à fin juin 2014. En 2013, elle correspond à 26,8% de la masse monétaire, ce qui est très élevé par rapport à ce que ce ratio est en Tunisie (14%) et dans les pays développés (moins de 5%) à la même date. Les dépôts à vue et à terme au niveau des banques commerciales ont, de leur côté, considérablement augmenté. De 1790 milliards de dinars en 2001, ils se sont élevés à 7869 milliards à fin juin 2014. Une partie importante de ces dépôts n'est pas utilisée pour distribuer des crédits. Cet excès de liquidité représenté par les dépôts à vue et à terme non utilisés exerce une pression permanente sur les prix et par conséquent sur la valeur du dinar. Pour voir comment cette valeur évolue à la fois sur le plan interne et sur le plan externe, il faut examiner, outre l'effet de l'émission et de la circulation monétaire sur cette évolution, ceux des autres facteurs qui interviennent en la matière. Evolution du dinar sur le plan interne L'indice général des prix à la consommation indique le taux d'augmentation des prix. Sur la base de 100 en 2001, l'indice national des prix à la consommation a atteint 171,5, soit une inflation annuelle moyenne de 4,15% à décembre 2013. Celui du Grand-Alger s'est élevé à la même date à 169,3 soit une inflation annuelle moyenne de 3,26% à la même période. Le taux annuel moyen le plus élevé a été celui de 2012 : à décembre, l'indice national a progressé à 9,7% et celui du Grand-Alger à 8,9%. Il s'agit de l'indice général, mais si l'on considère celui de certains produits, par exemple celui des produits agricoles frais, il a augmenté de 21,4% à décembre 2012 et celui de la viande rouge de 30,3%, participant à 50,7% dans l'augmentation de l'indice des produits alimentaires frais et à 25,8% à l'inflation globale. De manière générale, ces indices ne reflètent pas la réalité vécue par la population. Celle-ci n'a pas besoin d'indices pour constater que les prix varient parfois de manière erratique, mais dans l'ensemble augmentent d'une manière régulière. Les prix de certains produits et services deviennent inabordables, c'est le cas des viandes rouges, du poisson, du loyer des logements, des billets d'avion, etc. Ces augmentations entraînent bien entendu une forte baisse du pouvoir d'achat des citoyens, qui se rendent compte combien le dinar est en train de se déprécier sur le plan interne. Les causes de cette dépréciation sont multiples. Il y a d'abord la croissance continue de la masse monétaire et de l'excès de liquidité qui en découle. La Banque centrale est en quelque sorte désarmée, comme cela a déjà été indiqué, devant cette augmentation de la masse monétaire, laquelle a pour origine, depuis 2002, essentiellement l'achat de devises provenant principalement des exportations des hydrocarbures. Elle l'est également en partie en ce qui concerne l'excès de liquidité, lequel est provoqué par les fortes dépenses de l'Etat, dépenses souvent mal maîtrisées. La partie de liquidité de l'économie constituée par la circulation des billets de banque et des pièces de monnaie métallique échappe à tout contrôle faute d'application des textes imposant l'utilisation des chèques, des virements et de cartes bancaires à partir d'un seuil de paiements. En dehors de la fuite des capitaux et de l'évasion fiscale, le niveau élevé de la circulation fiduciaire indique le développement des activités informelles et de la spéculation qui ont un effet néfaste sur les prix. Quant à l'excès de liquidité bancaire, la Banque d'Algérie intervient pour limiter sa pression sur les prix en épongeant sur le marché monétaire une proportion de ces dépôts. Outre l'impact de la masse monétaire sur la valeur du dinar d'autres facteurs l'influencent également. La politique budgétaire, lorsqu'elle se traduit par des augmentations importantes de salaires, par l'attribution directe ou indirecte de revenus ou des surplus de revenus sans contrepartie en matière de production, va à l'encontre de l'action de la Banque centrale et entraîne une hausse du taux d'inflation. C'est ce qui s'est produit en 2012. La diminution des recettes en devises à la suite de la baisse du prix du pétrole réduira leur part dans la circulation monétaire et par conséquent diminuera, en principe, l'augmentation de la masse monétaire et l'excès de liquidité. L'insuffisance des ressources qui en résultera pour l'Etat conduira ce dernier à emprunter auprès des banques et du marché obligatoire, selon ce qui a été annoncé. Si le manque de ressources persiste, il aura éventuellement recours aux crédits de la Banque centrale. Des limites statutaires existent pour contrôler l'attribution de ces crédits. Mais si les besoins de l'Etat restent élevés, elles risquent de ne pas être maintenues, comme cela a été le cas au début de l'indépendance. Ce sera là une source d'inflation. La politique budgétaire joue un rôle important dans la stabilité des prix. Si elle n'obéit pas à une discipline rigoureuse et n'est pas compatible avec la politique monétaire, elle compromet inévitablement cette stabilité. Les mauvais circuits de commercialisation, le manque de concurrence malgré l'existence d'un Conseil chargé de la promouvoir, les agissements et les comportements des autres agents économiques influencent, de leur côté, la valeur de la monnaie. Lorsque les banques commerciales accordent des crédits de complaisance ou des crédits destinés à des opérations douteuses (crédits qui ne seront pas remboursés), ou ne s'assurent pas de la bonne utilisation des financements qu'elles octroient et négligent le recouvrement de leurs créances auprès des débiteurs récalcitrants, elles portent préjudice au dinar. Lorsque des importateurs achètent des produits de mauvaise qualité bon marché et les vendent cher, lorsque des spéculateurs s'emploient à augmenter les prix de leurs marchandises, lorsque les ménages font des dépenses exagérées, ils contribuent tous à la dépréciation de la monnaie. De même, lorsque les entreprises paient des salaires sans rapport avec le niveau de productivité des travailleurs, elles favorisent l'inflation et par conséquent la perte de valeur du dinar. A côté des facteurs internes de l'inflation, il y a l'inflation importée qui a pour origine l'augmentation des prix des biens et services provenant de l'étranger. L'impact de ce phénomène est élevé du fait que les importateurs sont importants et concernent aussi bien les produits destinés à la consommation que ceux entrant dans la production, et du fait que la baisse des prix sur les marchés internationaux n'est pas répercutée sur le plan interne. La Banque centrale reste bien entendu responsable de la stabilité des prix et de la valeur du dinar. Mais encore faut-il qu'elle ait les moyens de sa politique, qu'elle puisse les utiliser sans entrave et que son action ne soit pas perturbée par les agissements et les comportements des autres acteurs et par des facteurs externes. Lorsque la Banque d'Algérie est tenue de transformer en dinars toutes les devises provenant de l'exportation des hydrocarbures parce que les besoins de l'Etat et de Sonatrach en ressources sont importants, elle perd le contrôle de l'émission monétaire. Il n'est pas surprenant alors que l'excès de liquidité provoque la hausse des prix et par conséquent la baisse de la valeur du dinar. Lorsque l'Etat se mêle de la distribution des crédits et fixe lui-même les règles de leur attribution, qu'il dispense certaines catégories d'emprunteurs de rembourser leurs dettes, les instruments dont dispose la Banque centrale en la matière lui sont d'aucune utilité. Compte tenu des conditions dans lesquelles la Banque centrale exerce ses activités (conditions existantes dans notre pays), ses interventions servent souvent à limiter ou à réparer les dégâts que font subir les différents agents économiques à la monnaie. Avec la dégradation de la situation financière du pays, la dépréciation du dinar va malheureusement se poursuivre, surtout si les dépenses de l'Etat continuent à se faire sans contrôle sérieux, si les activités informelles qui favorisent la spéculation se maintiennent, si les circuits commerciaux ne sont pas assainis, etc. Quoi qu'il en soit, il faut noter que la dépréciation continue du dinar sur le plan interne finit par avoir des effets négatifs sur sa valeur externe. Valeur du dinar sur le plan externe Pendant environ un quart de siècle, le dinar est resté stable par rapport aux principales devises étrangères et notamment par rapport au dollar. Sa valeur par rapport au billet vert, qui était fixée au départ à 1 dollar = 4,93 dinars, a varié entre 3,8 DA en 1980 et 5,03 DA en 1985. Ces variations sont dues aux dévaluations et fluctuations du dollar lui-même. En 1987, année au cours de laquelle il a été décidé de laisser le dinar glisser légèrement mais de manière continue pour ajuster sa valeur qui était devenue irréaliste en comparaison avec la situation économique du pays,1 dollar valait 4,84 dinars. A la fin de 1989, un dollar était échangé contre 7,61 dinars. Les fortes dévaluations que le dinar a subies durant les années 1990 — dans le cadre notamment des programmes d'assainissement et d'ajustement structurel appliqués sous l'égide du FMI et de la Banque mondiale, qui lui ont fait perdre l'essentiel de sa valeur puisque en 2000 — un dollar correspondait à 75,26 dinars, soit dix fois moins que ce qu'il valait en 1989. Depuis, on peut dire que le dinar est resté relativement stable. Les variations qu'il a connues sont en grande partie liées aux fluctuations des principales devises, le dollar et l'euro notamment. Le cours annuel moyen le plus fort du dinar par rapport au dollar a été de 64,58 DA pour un dollar en 2008 et le plus faible a été de 79,38 DA pour un dollar en 2013. Par rapport à l'euro, son cours annuel moyen le plus fort a été de 69,98 DA pour un euro en 2000 et le plus faible de 105,44 DA pour un euro en 2013. Le taux de change mensuel moyen, ou le taux de change du jour, est bien entendu différent du taux annuel moyen. A titre d'exemple, en fin de période, le taux de change mensuel du dinar contre le dollar a été de 1 dollar = 81,91 dinars fin juillet 2012 et le taux de change trimestriel du dinar contre l'euro a été de 1 euro = 109,92 dinars au troisième trimestre 2013. Les taux de change les plus bas et les plus hauts du dinar contre le dollar et l'euro sont généralement de courte durée. Ces variations du cours du dinar sont dues, en grande partie, comme mentionné plus haut, aux fluctuations du dollar et de l'euro principalement, fluctuations qui sont parfois très fortes. A titre d'exemple, le 24 décembre 2001, 1 euro valait 0,88 dollar, le 1er avril 2008, il atteignait à 1,59 dollar. La politique du taux de change suivie par la Banque centrale tend à éviter au dinar une volatilité accentuée et fréquente du fait de ces fluctuations. En même temps, elle lui laisse une certaine flexibilité de façon qu'il continue à refléter, dans une certaine mesure, les évolutions des taux de change des principales monnaies sur le marché international des changes. La Banque centrale détermine, d'autre part, ce qu'elle appelle le taux de change effectif réel en fonction des fondamentaux de l'économie nationale et en tenant compte du différentiel d'intérêt entre l'Algérie et ses 19 principaux pays partenaires commerciaux. Ce taux sert en principe à définir la position concurrentielle de l'Algérie par rapport à ces 19 pays. Le maintien de la position concurrentielle de l'Algérie, en se conformant au point d'équilibre du taux de change effectif réel du dinar, serait un élément important si les exportations étaient diversifiées et si la gestion de son économie ne connaissait pas des dysfonctionnements multiples. C'est pourquoi, étant donné les conditions qui prévalent dans notre pays, le taux de change effectif réel d'équilibre devrait être un simple indicateur pour éviter un déphasage de la valeur du dinar par rapport aux principales devises. Par contre, il est important de protéger cette valeur de façon à ce que le taux de change du dinar par rapport aux principales devises ne devienne un facteur déstabilisateur et nuisible pour l'économie nationale qui est déjà vulnérable. Cette vulnérabilité va s'accentuer avec la chute du prix du baril de pétrole, laquelle si elle perdure, ne manquera pas d'entraîner des déficits de la balance des paiements et du budget de l'Etat, déficits qui vont s'aggraver avec le temps. C'est ce qui fait croire à certains que le dinar va se déprécier et pousse d'autres à proposer sa dévaluation. Quelques-uns n'hésitent pas à préconiser l'alignement du taux de change officiel sur le taux de change du marché parallèle des devises considérant que ce dernier correspond à la valeur réelle du dinar. Les causes de l'existence du marché parallèle des devises sont nombreuses. Il faut citer d'abord les restrictions imposées par le contrôle des changes, le manque de confiance de ceux qui ont les moyens financiers dans la monnaie nationale, dans l'Etat, dans la manière de gérer les affaires du pays. Le laxisme qui laisse prospérer les activités informelles et se multiplier, les fraudes liées aux importations telles que les surfacturations, les fausses importations... contribuent également à entretenir le marché parallèle des devises. Si les causes persistent, le marché parallèle des devises se maintiendra. Faudrait-il alors continuer indéfiniment à s'aligner sur les nouveaux taux de change de ce marché ? Pour revenir à la dévaluation, il faut se rappeler les conséquences désastreuses de celles qui ont été effectuées durant les années 1990 sur l'économie et la société : le taux d'inflation avait atteint 30%, celui du chômage s'était élevé au même niveau, il en a résulté un appauvrissement de larges couches de la population. La plupart des avantages attendus de ces opérations ne se sont par réalisés. Il n'y a eu ni augmentation des activités productives, notamment celles du secteur privé, ni par conséquent diversification des exportations, ni réduction des importations, ni apport de capitaux étrangers… La dévaluation se justifierait si l'Algérie disposait de produits diversifiés de qualité susceptibles d'être exportés et si ses capacités de production n'étaient pas complètement utilisées. Chercher à rétablir la compétitivité pour encourager l'exportation de produits qui n'existent pas serait une aberration. Il faudrait commencer par soutenir la production. Dans une telle phase, le pays a besoin d'augmenter l'importation d'équipements et de services pour accroître et diversifier sa production. Il est préférable, dans ces conditions, qu'il ait un taux de change de sa monnaie qui soit stable et non élevé pour ne pas augmenter le coût de ces importations et éviter ainsi la hausse des prix de revient de la future production. Il faut souligner que le taux de change devrait refléter les fondamentaux de l'économie (dont la productivité), sinon les déséquilibres existants s'amplifieraient. Conclusion Tous les pays à régime de convertibilité courante agissent sur la valeur de leur monnaie soit pour la stabiliser, soit pour la déprécier ou apprécier lorsqu'ils estiment que leur intervention est nécessaire pour atteindre le point d'équilibre du taux de change effectif réel, ce qui est la meilleur manière pour favoriser les exportations. Dans la phase relativement difficile que connaît notre pays et qui risque de s'aggraver si le prix de pétrole reste longtemps faible, il est indispensable de veiller à ce que la gestion du dinar n'ajoute pas des difficultés additionnelles à celles qui se manifestent déjà et à celles qui pourraient intervenir dans un proche avenir.