Réputée, à tort ou à raison, durant plusieurs décennies pour être la capitale du pouvoir réel, Batna arrive mal à dissimuler ses problèmes socioéconomiques auxquels elle fait front. De jour en jour, ils la rendent vulnérable et la fragilisent. Comme un camion-tracteur poussé par sa remorque, dont les freins ne tiennent pas, la ville éprouve énormément de difficultés à maîtriser son destin. Surpopulation, arrêt ou ralentissement de l'activité économique, chômage, pollution de l'environnement et maux sociaux corrompent sa trame et sa cohésion sociale. Faute de décollage économique et social, la capitale des Aurès risque de s'étouffer sous le poids de ses périphéries et banlieues mastodontes qui gonflent démesurément. L'heure est à l'alerte pour rehausser le blason et le prestige de cette ville et rendre à ses citoyens la confiance et le sourire d'autrefois. Après l'indépendance, la ville de Batna enregistra le premier afflux massif de populations avides d'échapper à la misère et aux “centre de regroupement”. Pour ces ruraux, accéder à l'indépendance, c'est vivre en ville. Mal préparées à la vie citadine, ces foules arrivèrent dans la ville encore plus mal à les accueillir. Les bidonvilles, les taudis, les “campements” de squatters proliférèrent. Dans les zones construites, la surpopulation atteignit un stade aigu. Un autre combat commença. Le démarrage économique fut lent. Peu d'emplois furent créés dans la fonction publique, dans la semoulerie, les carburants, près de la gare, et, la confection près du “camp”. Puis, la ville ne tarda pas à assister à l'inauguration de sa première unité économique de production, l'unité textile Sonitex (1966). L'attraction de la ville et le développement de l'industrie économique encouragèrent l'exode rural. De vastes projets virent le jour. Le commerce version “Pour une vie meilleure” se développa virtuellement avec 81 unités des Galeries algériennes et une centaine de Souk el Fellah. C'est la période des “sept vaches grasses”. La capitale des Aurès connaît une pression démographique sans précédent. De 69 000 millions en 1966, elle passe à 112 000 en 1977 (le double presque) pour atteindre 135 000 habitants en 1983. Il est clair que Batna n'est pas préparée à cette nouvelle charge démographique. La ville compte désormais 150 000 âmes et les premiers malaises (sur les plans social, économique et même politique) commencent à se faire sentir. Et… tous les rêves d'un ElDorado s'évanouissent Alors que tout le monde s'attendait à un mode de vie meilleur, le funeste frappa sans crier gare. Une récession économique, suivie des événements tragiques qu'a vécus le pays, a plongé la région dans une zone de turbulences et de crise très grave. La ville est secouée de fond en comble. L'arrêt ou même le simple ralentissement de l'activité ont des conséquences graves sur le niveau de l'emploi, les relations sociales et la confiance spontanée que les habitants mettent dans leurs institutions. C'est la déchirure totale. Tous les rêves d'un Eldorado s'évanouissent. Alors qu'ils ont cru qu'en allant habiter dans la ville, ils auront la possibilité de s'assurer un niveau de vie plus élevé, une meilleure éducation pour les enfants et un meilleur statut social, les ruraux sont pris au piège. Prises dans la toile d'araignée, les populations ont fini par se rendre à l'évidence et mettre l'épaule à terre. La dégradation de la situation matérielle et sociale de ces populations a atteint un stade inquiétant dont on commence à récolter les prémices. La prostitution, le vol, les agressions physiques et même le meurtre. La situation sociale et économique se dégrade de jour en jour. Les quartiers des alentours, les proximités, les environs grossissent démesurément dans le chaos total. La détérioration du milieu physique et social gagne un degré d'inquiétude très alarmant. Les étapes qui jalonnent cette mauvaise pente se nomment le surpeuplement, l'anarchie dans la construction, la prolifération des taudis, le manque d'eau, la mauvaise évacuation des eaux usées et des déchets, le bruit, les accidents, la délinquance, les crimes, les épidémies, etc. La pénurie de logements appropriés, le manque de l'eau, l'absence de voiries et d'égouts contribuent à créer un état de fait susceptible de devenir catastrophique. La ville de Batna vire en un cloaque. Les favelas aurésiennes Les groupes d'habitations rudimentaires et misérables construites avec des matériaux de récupération poussent comme des champignons. L'indolence et le laisser-aller favorisant ces maisons de fortune, improvisées virent le jour. Les bidonvilles constituent des quartiers entiers. La population qui s'y entasse est constituée en majorité d'hommes et de femmes fuyant les campagnes et les villages. Au lieu de s'élargir (“tataouassaâ”) comme le veut la sagesse arabe : “Espacez vos tentes pour rapprocher vos cœurs”, c'est l'effet contraire qui s'est produit. Les populations ont plutôt rapproché leurs maisons comme pour se détester davantage. L'aversion et le dégoût ont pris le pas sur la générosité et l'amour du prochain. Détournés de leurs valeurs ancestrales, la soif de l'accaparement des richesses, au préjudice des autres, a privé les populations de discernement du bien du mal. Les cœurs se sont chargés d'animosité et d'envie provoquée par les succès inattendus des uns et des autres. Gare à celui qui trépasse ! Il aurait toute une meute d'éléphants sur le dos ! Elles ont perdu ou vendu leur conscience au diable. Et Batna continue inhumainement, sous son rouleau broyeur, à écraser ces populations déracinées, arrachées de leur milieu et complètement démunies, le cœur traumatisé et les facultés mentales mises à l'épreuve par un quotidien franchement éprouvant. Les embrassades et les discussions “chaudes”, les entraides d'autrefois ont laissé place à des scènes scéniques et froides, vidées. Calfeutrées dans leur égoïsme et happées par la machine du temps, les populations se laissent faire. C'est l'indifférence absolue. On a vite fait d'enjamber ceux qui par malheur ont perdu pied. On continue avec la certitude que son tour est proche. Le monde rural finit par perdre ces vertus au contact de la ville. Le logement est synonyme de taudis et cubes carrés. Les eaux usées et les ordures, qui gagnent du terrain, changent même certains quartiers en de véritables cloaques. Les conditions sanitaires sont plus que déplorables, dans cette ville surpeuplée. Le manque d'hygiène plus grave. La surpopulation, les bas salaires et une nourriture insuffisante font apparaître des risques infiniment plus graves. La situation devient encore plus sérieuse au fur et à mesure de la croissance démesurée de la ville. À Lombarkia (à l'est du centre-ville) et du côté de Kechida (à l'ouest), les constructions illicites galopent à bride abattue. Chaque année, on recense des centaines de favelas construites sans aménagement. Même les quartiers réhabilités ont fini par se dégrader pour moult raisons : manque d'entretien et actes de vandalisme. La ville de Batna est acculée au fond d'une impasse. Les responsables de la ville se trouvent non seulement face à une invasion de favelas, mais aussi face au chômage, à ces populations forcées à l'inactivité partielle ou totale du fait de la conjoncture économique affectant spécialement les secteurs de l'industrie et du commerce. Le Chômage, ce mal de l'Algérie post-86 Des tentatives d'éradiquer ou du moins de réduire le taux de chômage à son bas niveau ont été entreprises, mais à chaque fois, devant les déferlements des populations et l'archaïsme des entreprises censées créer richesse et plein-emploi, le chômage reprend sa courbe. Depuis deux décennies, les entreprises recrutent moins. Le nombre d'emplois offerts a diminué en partie à cause du ralentissement de l'activité économique et des nécessités de productivité auxquelles sont soumises les entreprises dans le secteur tertiaire. Le second phénomène, plus récent encore, le fort ralentissement du recrutement dans l'administration et l'enseignement. Or, ce secteur a été longtemps et de loin le premier recruteur des débutants. La source a tendance à se tarir ces derniers temps. Même les autres secteurs, qui accueillaient le plus de débutants, industries de biens d'équipement, bâtiment et travaux, services, hôtellerie et commerce, industries de biens de consommation, offrent malheureusement peu d'emplois. La corruption et le trabendo sont les premiers ennemis du développement Depuis les années 1990, la ville de Batna s'est prise dans un cercle vicieux dont elle n'a pas pu se libérer. Sur le plan économique, une prédominance du secteur tertiaire parasite a beaucoup plus porté préjudice à l'économie que résorbé le chômage. Tous les rez-de-chaussée se transforment en magasins et certains terrains destinés aux investissements se transforment en cafés et autres magasins anodins. Le commerce parallèle (en marge de ce qui est officiel) prend des proportions démesurées et porte un grand préjudice au Trésor public. Aussi, il a été enregistré la faible productivité de l'économie. Beaucoup d'unités économiques de production, d'entreprises de transformation et construction implantées sur le sol de la commune se voient obligées de ralentir ou de suspendre leurs activités. En outre, de cette insuffisance découle la faiblesse des revenus. Le revenu moyen est très bas ; les inégalités sociales considérables affectent une grande partie de la population. Dans le domaine industriel, on ne trouve pas trace d'un effort pour modifier la structure des industries. Quant à la structure de la société, on note un bas niveau de vie, une démographie en forte expansion, l'exode rural, faiblesse relative de la population active par rapport à la population inactive et archaïsme des structures sociales dominées par une mentalité préindustrielle. De 2000 à 2005, la priorité est accordée aux investissements publics, aux infrastructures de transport, aux équipements scolaires, universitaires, sanitaires et sociaux. Des capitaux sont investis, mais les retards sont énormes à rattraper. Les élus de la ville de Batna ont beaucoup à faire pour pallier les insuffisances sur les plans économique et social et répondre aux attentes de la population qui compte plus de 300 000 âmes. Certains élus avancent même le chiffre de 400 000 âmes. Sans retour aux valeurs universelles d'entreprenariat, le chaos s'installera pour toujours. La corruption et le trabendo sont les premiers ennemis du développement dans ces contrées. Alors, hommes des Aurès, aidez-vous, le ciel vous aidera ! B. B.