Pour la première fois dans l'histoire, les Algériens s'apprêtent à fêter l'Aïd el-Fitr sans la joie et les rituels qui accompagnent ce moment de convivialité. Menace de pandémie oblige, les Algériens, comme nombre de pays concernés, sont sommés de célébrer cette fête dans la stricte intimité familiale. Une fête réduite pour ainsi dire à sa plus simple expression. Tandis que beaucoup spéculaient, après deux mois de confinement, sur un éventuel assouplissement des mesures, le gouvernement, sans doute instruit de l'état réel de la situation sanitaire, a préféré plutôt le durcissement. Dans un communiqué publié mardi, les services d'Abdelaziz Djerad ont annoncé l'instauration durant les deux jours de l'Aïd el-Fitr d'un couvre-feu de 13h à 7h du matin dans toutes les wilayas du pays. Ils ont également décidé la suspension de la circulation de tous les véhicules, y compris les motocycles, entre les wilayas et à l'intérieur des wilayas. Ces mesures, qui semblent répondre en grande partie aux recommandations du comité scientifique de suivi et de l'évolution de la pandémie de coronavirus, sont loin d'être fortuites. "Les enquêtes épidémiologiques réalisées par les services spécialisés du ministère de la Santé ont révélé que la majorité des cas de contamination onr été enregistrés à l'occasion d'événements familiaux et de regroupements de personnes", explique l'Exécutif. Fruit visiblement d'un "compromis" entre la présidence de la République, contrainte à la gestion de la crise, y compris dans ses volets économiques et sociaux et prolongements politiques, et le comité des experts, attaché à la rigueur scientifique et à la froideur des chiffres, ces mesures expliquent a posteriori le "cafouillage" ayant précédé leur annonce. Ecartelé entre le maintien des mesures en vigueur jusque-là jugées "efficaces" par le président de la République, et les alarmes sans cesse renouvelées du comité de suivi, le gouvernement semble avoir opté pour une solution intermédiaire. Mais cela n'exclut pas la question lancinante : les Algériens, passée la discipline des premières semaines du confinement décidé au mois de mars, sont-ils disposés à s'astreindre au respect de ces mesures ? Pas si sûr au regard de certains comportements et du relâchement observés ces derniers temps. Et rien de plus édifiant dans cette attitude que la progression exponentielle des cas de contamination enregistrés durant les trois premières semaines du Ramadhan. Sur les 6 629 porteurs confirmés jusqu'à vendredi dernier, la moitié, soit 3 315 cas, ont été testés positifs durant cette période. Si le renforcement des capacités de dépistage peut expliquer en partie ces chiffres, les spécialistes les attribuent en revanche au non-respect par les citoyens des mesures de prévention et de distanciation sociale. Rendu obligatoire sous d'autres latitudes, le port du masque, probablement pour non-disponibilité en quantités suffisantes, n'est toujours pas généralisé. Dès le début de l'apparition de la pandémie, le gouvernement n'a pas cessé d'alerter sur les risques encourus faute d'observation des mesures barrières. Parallèlement, la société civile et autres acteurs, dont des spécialistes de la santé, se sont mis de la partie pour participer à l'entreprise de sensibilisation. Mais plus de deux mois après l'apparition du premier cas, force est de constater que l'évolution de la situation, si elle apparaît stationnaire, n'est pas tout à fait convaincante pour envisager un déconfinement dans la sérénité. Faut-il dès lors aller à un surcroît de durcissement des mesures ? Ou faut-il sévir contre les réfractaires, comme le suggère le gouvernement contre ceux qui ne portent pas de masque ? Lors de la récente réunion du Haut conseil de sécurité, le chef de l'Etat a annoncé avoir chargé ses membres de d'élaborer un "plan d'action pour la phase post-Covid-19 qui tienne compte des différentes dimensions sanitaires, économiques et sociales". En décodé : un plan de déconfinement. Mais, ni la date ni le délai, encore moins la nature des mesures ne sont fixés. De quoi nourrir les interrogations sur la durée que prendra encore cette crise sanitaire et sur le degré de maîtrise de la pandémie. En attendant, les citoyens sont appelés à célébrer la fête comme ils ne l'ont jamais imaginé. Confinés. Karim Kebir