La commission des finances de l'Assemblée relève une incohérence dans la démarche du gouvernement qui, tantôt souhaite réduire les importations, tantôt introduit des textes qui plaident en faveur des importations. Les concessionnaires automobiles pourront, de nouveau, importer des véhicules neufs ; la loi de finances complémentaire 2020, en projet, et actuellement en débat à l'Assemblée, les y autorise. Pour régler leurs factures d'importation, ils vont devoir se procurer des fonds en devise par le biais du canal bancaire. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Houari Tigharsi, membre de la commission parlementaire des finances et du budget, émet "des réserves sérieuses quant à l'efficacité de la proposition" de reprise des importations formulée par le gouvernement. "Au moment où on parle beaucoup de réduction des importations, l'Exécutif remet sur la table cette proposition, faisant preuve d'incohérence dans sa politique de commerce international et dans la gestion des risques qui pèsent sur les réserves de change et sur les comptes extérieurs", fait-il remarquer. Dans la foulée, notre interlocuteur explique que "la logique qui consiste à laisser le marché décider et à faire en sorte que la croissance de l'offre concorde avec celle de la demande, a du sens, et j'en conviens et c'est ce vers quoi la politique de l'Exécutif en matière d'importation tend, mais rien ne permet de croire que ce genre de mécanisme fonctionne dans un pays où l'économie est instable et où les moyens financiers sont limités". "Le pays se trouve aujourd'hui, plus qu'il ne l'a jamais été, au bord d'une grave récession, et plus on tire sur le Trésor public, plus ses fonds se pulvérisent", s'alarme-t-il. Houari Tigharsi souligne que la commission parlementaire s'est réunie, la semaine dernière, avec le ministre des Finances à qui, elle avait demandé un éclairage sur cette mesure et des indications sur la façon dont elle serait appliquée. Toutefois, rapporte-t-il, "en dehors du fait qu'il n'y aura pas de quotas d'importation de véhicules, le ministre n'en a pas dit grand-chose et les députés, que nous sommes, sont restés sur leur faim". Houari Tigharsi indique que ladite commission demande toujours des "informations complémentaires sur cette décision", précisant, en outre, qu'elle a inséré dans son rapport préliminaire un "amendement relatif aux taxes à l'achat des voitures neuves instituées dans le PLFC 2020, souhaitant que la plénière en tienne compte". Il ajoute par ailleurs que la commission avait prévu "de tenir d'autres réunions avec d'autres ministres, mais qu'il s'est dit surpris d'apprendre que le président de l'Assemblée a arrêté la date de la séance plénière (programmée donc pour hier mardi), pour discuter du PLFC, sans qu'il n'y ait de réunion, sans compléter le travail que nous devons accomplir sur le rapport de la commission et sans que l'on sache pourquoi". Le député dit "regretter que les choses ne se soient pas mieux déroulées". En permettant aux concessionnaires de reprendre l'importation des véhicules neufs, sans recourir à un système de quotas, le gouvernement lèvera, certes, des restrictions qui, étaient mal vues par les partenaires étrangers, mais créera un poste coûteux de dépense à financer en devises. Effets collatéraux L'Etat importait en 2014, pour presque 6 milliards de dollars de véhicules. Une courbe descendante des importations avait néanmoins été amorcée en 2016, première année de mise en application des licences d'importation, ces mesures de conservation dites "techniques", destinées à réduire la facture des importations de voitures, un objectif non atteint, cependant, ce qui avait poussé le gouvernement de l'époque d'arrêter carrément les importations de véhicules. Le tour de vis dans l'importation, un mal nécessaire, a mis le marché sous pression. La demande n'a cessé de s'accroître, alors que l'offre s'est considérablement rétrécie, même après la mise en place d'usines d'assemblage automobile dans le pays. L'importation des voitures, rétablie à la faveur de la loi de finances complémentaire 2020 en débat à l'APN, va certainement beaucoup peser sur les réserves de change, un fonds dont le niveau baisse, alors que le nombre d'intervenants — les concessionnaires automobiles en feront partie — qui y puisent s'accroît. Et, que les revenus pétroliers qui l'alimentaient chutent. Les réserves de change, un des indicateurs auquel se mesure la solvabilité d'un pays non exportateur — comme l'est le nôtre — se situeront autour de 44 milliards de dollars à fin décembre 2020. Pas assez pour soutenir une économie déjà anémiée et un dinar mal en point. Plus elles diminuent, plus la monnaie nationale se déprécie, le pays ne disposant pas d'autres leviers sur lesquels il est possible d'agir pour faire remarcher son économie et donner de la constance à la croissance. De fait, le pays ne devrait son salut qu'à un redressement des cours de l'or noir. Un espoir hypothétique ? Que l'Opep et ses alliés fassent davantage d'efforts en matière de baisse de production, pour une reprise des prix de l'or noir, cela risque de se heurter à l'indiscipline de certains producteurs. L'embellie des marchés paraissait bien lointaine. Pas la fonte des réserves de change ! Souhil Meddah, exprime, quant à lui, un avis nuancé sur le sujet, expliquant, qu'évidemment, les réserves de change sont "importantes pour le pays, et qu'il faut accroître la part de ces ressources et y puiser de manière rationnelle". Toutefois, note-t-il, "cela ne peut pas continuer indéfiniment", car poursuit-il, "il faut injecter de l'argent dans l'économie, créer des emplois et obtenir de nouvelles recettes fiscales". Et, d'ajouter : "L'Etat va débourser des sommes en devises fortes pour pouvoir importer des voitures où d'autres produits, mais, il va récupérer des taxes et droits de douane à l'arrivée. Cela va lui permettre d'augmenter la fiscalité ordinaire". Pour l'expert, "laissons le marché faire son travail et ceux qui ne bénéficient pas d'avantages concurrentiels disparaîtront". Souhil Meddah fait ainsi observer que "les concessionnaires pourront importer des véhicules, et monter, en parallèle, s'ils le souhaitent, des unités d'assemblage, puisque l'Exécutif a décidé de réautoriser l'importation de kits CKD et SKD, mais sans le régime préférentiel que l'Etat leur accordait, et de mettre en place des mesures incitatives pour le développement de la sous-traitance", estimant qu'une concurrence "saine est favorable au marché".