La première puissance mondiale est confrontée à une révolte populaire inédite sur fond de tensions raciales. De Washington à San Francisco, le pays de l'Oncle Sam brûle de colère. Donald Trump dont le mandat sera remis en jeu en novembre prochain traverse la plus sévère tempête de son règne. La Maison-Blanche aux airs de camp retranché, le président Donald Trump contraint de se réfugier par précaution dans un bunker et la police qui disperse la manifestation à quelques jets de pierre du bureau ovale : ces images, impensables il y a quelques années au pays de l'une des plus grandes démocraties du monde, reviennent pourtant en boucle ces dernières heures sur les écrans des télévisions du monde entier. Une nouvelle bavure policière, commise il y a une semaine à l'encontre d'un homme noir, George Floyd, à Minneapolis dans l'Etat du Minnesota, a suffi pour mettre le feu aux poudres et réveiller les vieux "démons" de la discrimination raciale dans ce pays. En quelques jours, pas moins de 140 villes américaines sont touchées par des manifestations pacifiques, mais qui virent par endroits, notamment en soirée, en scènes de violence, de pillage et de destruction. Face à cette déferlante de violence, le président américain qui, comme d'ordinaire, ne semble pas avoir pris à temps la mesure de l'étendue des inégalités sociales qui minent la société américaine, aggravées par la pandémie de Covid-19, mais également par les incidences économiques sur de larges pans de la population, a préféré recourir à la méthode qui fait sa marque de fabrique : critique des élus démocrates, dont la réaction est jugée molle, les journalistes, mais aussi le courant antifasciste qu'il voudrait voir classer comme une organisation terroriste. Il menace même de déployer l'armée américaine pour rétablir l'ordre, une éventualité qui ne manquera pas d'entacher l'image de la plus grande puissance mondiale et qui ne manquera pas d'être assimilée, ironie de l'Histoire, à certaines images brocardées dans les Républiques "bananières". "Il utilise l'armée américaine contre les américains", a tweeté lundi Joe Biden, candidat démocrate à la Maison-Blanche et rival de Donald Trump. L'émotion provoquée par les brutalités policières à l'égard de Gorge Floyd n'est pas circonscrite à l'Amérique seulement puisque de nombreuses capitales à travers le monde ont été le théâtre de manifestations pour dénoncer le racisme. C'est le cas du Royaume-Uni, de la Hollande, de l'Allemagne, du Canada, de l'Irlande, de la Nouvelle-Zélande ou encore de l'Australie. Mais au-delà de la tare endémique de la ségrégation raciale que révèle de nouveau la dérive policière, la colère exprimée par le peuple américain et au-delà dans certaines capitales, dans un contexte politique de tension dans la course à la Maison-Blanche et des conséquences désastreuses du Covid sur la situation socio-économique de larges franges de la population laissée-pour-compte par un système inégalitaire, traduit les inégalités structurelles et le désordre économique qui minent de nombreuses sociétés. "Ce virus révèle des inégalités endémiques trop longtemps ignorées", a estimé la Haut-commissaire aux droits de l'Homme à l'ONU, Michelle Bachelet. "Aux Etats-Unis, les manifestations provoquées par la mort de George Floyd mettent en évidence non seulement les violences policières contre les personnes de couleur, mais aussi les inégalités dans la santé, l'éducation, l'emploi et la discrimination", écrit-elle dans un communiqué repris par les agences de presse. Soit les mêmes maux qui rongent de nombreux pays, conséquence, de l'avis de nombreux spécialistes, d'une mondialisation "sauvage". Professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris, Bertrand Badie estime, lui, que si les circonstances étaient particulièrement spectaculaires et brutales, "elles s'inscrivaient surtout dans un contexte qui relance la question et les tensions raciales aux Etats-Unis". "La population ‘blanche', en particulier dans les classes moyennes les moins favorisées, a tendance à penser qu'elle devient minoritaire ‘chez elle', au pays du Mayflower, et cela du fait de la mondialisation", explique-t-il à Liberté. Bien plus, selon lui, la révolte "s'inscrit dans un contexte global qui donne à la mobilisation et aux révoltes populaires une importance de plus en plus remarquable". "Face à une défiance croissante à l'encontre des institutions, on manifeste, quitte à connaître des débordements violents. On l'a vu tout au long de l'année 2019", dit-il. S'il se montre prudent quant aux conséquences de la révolte sur la réélection de Donald Trump, —étant donné que l'essentiel de son électorat se concentre chez les "petits blancs", en dépit de la dégradation de son image au niveau international, — Bertrand Badie relève cependant que c'est l'ordre mondial qui est indirectement dans la mire, comme à Santiago, Beyrouth ou encore Paris. "La mondialisation a besoin d'un ‘acte II', plus social, plus humain : il y a partout, même chez les ‘dominants' une forte aspiration à la dignité (karama) que trente années de néolibéralisme et de mépris pour le social et l'humain ont aiguisée", tranche-t-il. S'il ne s'est pas encore montré disert, l'ex-président, Barak Obama, pour sa part, espère des "réformes en profondeur". Prémices d'un nouvel ordre ?
Karim KEBIR
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