Liberté : Au service réanimation dédié au cas Covid au CHU de Blida, vous utilisez des masques de plongée adaptés à une ventilation artificielle non invasive. Comment l'idée d'une telle technique a-t-elle ? Dr Fahed Chater : La VNI est une technique connue depuis plusieurs dizaines d'années. Son principal performateur, le docteur Boussignac, vient juste de nous quitter. Elle consiste à envoyer de l'air, principalement de l'oxygène, dans les poumons avec une grande pression afin de permettre de garder les alvéoles "saines" ouvertes d'une part et rouvrir d'autre part à la circulation de l'air des alvéoles malades qui se seraient collabées afin de permettre à un plus grand nombre de participer aux échanges gazeux, mais aussi, et surtout, faire en sorte que le patient puisse faire moins d'effort, moins de travail musculaire, pour respirer et donc éviter qu'il se fatigue. Ce n'est pas une technique inventée spécialement pour la Covid-19, elle y a été adaptée. On utilisait habituellement des masques faciaux de petite taille qui manquaient parfois d'étanchéité et qui pouvaient disperser, dans l'air à plusieurs dizaines de mètres, ce virus mortel. Il nous a été recommandé de passer directement à la ventilation mécanique classique avec intubation. Sauf que le taux de décès parmi les patients intubés a atteint 96% ( par exemple dans certains centres américains). Il fallait agir et vite. Les Italiens ont développé, en premier, une valve imprimable en 3D – ils ont mis en ligne les caractéristiques en téléchargement gratuit. Cette dernière permettait de relier des masques initialement utilisés pour la nage et la plongée à des respirateurs. Ce qui garantissait le traitement viral de l'air via des filtres et diminuait clairement le risque de dissémination du virus dans l'air. La technique a été rapidement adoptée par les Chinois, les Espagnols et même les Français même si les sociétés savantes dans ce pays continuaient à inciter les réanimateurs à ne pas utiliser ce genre de dispositif car non homologué. On ne pouvait pas être insensibles à ces prouesses à Blida alors que nous avions un nombre effrayant de décès les premiers jours de la pandémie. Comment vous avez procédé pour acquérir ces masques ? Dès le premier rapport sur le succès de la technique en Italie en fin mars, nous avons contacté une marque d'équipements de sport, installée à Alger, pour acheter un lot. Mais, on nous avait expliqué qu'ils étaient indisponibles. 48 heures plus tard, nous avons reçus un don d'un important lot de masques d'une marque chinoise. Il restait l'épineux problème de l'impression des valves en 3D. Nous avons lancé un appel notamment via les réseaux sociaux et le bouche à oreille a fait son travail. Nous avons été rapidement mis en contact avec l'école de plongée Recifs qui portait elle aussi le même projet. Ensemble, nous avons travaillé sur un modèle de valves 100% algérien, un modèle plus adapté aux masques disponibles en Algérie et plus confortable pour le patient. Dès la première semaine d'avril, la Covid-19 était apparue à Blida et en Algérie. Nous avons continué à recevoir des masques de particuliers qui ont vu notre appel sur les réseaux sociaux. Un incroyable réseau de solidarité s'est mis en place tel qu'on a pu récolter assez de masques pour investir les autres services de réanimation. Quel bénéfice apporte-t-elle aux patients ? C'est simple, nous sommes passés de plus de 30 malades intubés sous ventilation artificielle avec un nombre de décès dépassant les 12 par jour à 6 malades intubés maximum et 1-2 décès par jour. La VNI n'est pas tout dans le protocole de soins, c'est vrai, mais elle a amélioré le pronostic non seulement en évitant au patient les inconvénients de la ventilation mécanique mais encore en améliorant sa surveillance. Il faut beaucoup plus de personnes pour soigner un patient dans le coma artificiel qu'un patient éveillé. Le personnel a donc été rapidement soulagé, ce qui nous a permis de créer un pôle de soins intensifs "poussés" pour les patients intubés où on a pu rejoindre le gold standard international avec un infirmier par patient et un médecin pour 2 patients pour une meilleure prise en charge.
En période épidémique exceptionnelle, comment se sont débrouillés les médecins pour pallier le manque de moyens pour les soins ? Nous sommes passés par des moments difficiles de pénurie, chose que nous ne comprenions pas car à l'époque nous étions la seule réanimation en Algérie dédiée à cette affection.Rapidement, un élan incroyable de solidarité s'est formé autour de nous. Des imprimeurs se sont mis à fabriquer des Face Shields pour la protection des visages ; des particuliers, de nombreuses associations, se sont attelés à nous offrir des masques FFP2, voire FFP3, des tenues intégrales de protection, des surblouses, du gel hydroalcoolique... Cette crise nous a permis de tester l'engagement de nos compatriotes et nous sommes très satisfaits. Nous espérons que ce sens des responsabilités se concrétise maintenant dans les rues et les marchés d'Algérie, notamment avec le port du masque.