Gynécologue, fille d'un général médecin, Amira Bouraoui est sortie de l'ombre des cliniques moisies pour passer à la lumière du combat pour les libertés. Lasse de faire accoucher les femmes dans des conditions dramatiques, elle veut être l'accoucheuse de la démocratie... Arrêtée mercredi 17 juin pour ses publications sur Facebook, l'activiste Amira Bouraoui est, selon ses avocats qui lui ont rendu visite le lendemain, en garde-à-vue prolongée à la brigade de gendarmerie de Sidi Slimane, à Birtouta (Alger) et sera traduite aujourd'hui devant le juge. Portrait. Si elle a été légitimement et vigoureusement dénoncée par ses compagnons de lutte mais aussi par ses nombreux fans, l'arrestation de la militante Amira Bouraoui, mercredi 17 juin, par des éléments de la Gendarmerie nationale, n'a pas été une grosse surprise pour nombre d'observateurs. Une suite "logique", à bien des égards. Pourquoi ? C'est que, de par son engagement anti-système, ses positions tranchées sur la place de la religion et son langage direct et souvent bien fleuri, l'infatigable activiste ne laisse pas indifférent et s'est souvent attirée beaucoup d'inimitiés. À son corps défendant peut-être, elle est devenue le cauchemar des gardiens du temple de la bienpensance et de la morale mais aussi des carriéristes de tous poils. Comme Karim Tabbou, Fodhil Boumala ou encore Abdelouehab Fersaoui, elle paie donc cash son engagement sans faille contre le système et en faveur des libertés, de toutes les libertés. Il est vrai que parfois ses propos dépassent largement ses pensées, en versant dans l'excès. Cru et dru qui jure avec l'image que la société se fait de la corporation des médecins. Mais ce n'est là qu'une manifestation "trash'' d'une militante à l'engagement pure et sans concessions. Entière et moderniste jusqu'à la moelle, elle n'épargne personne, fut-il le président de la République, de ses colères homériques et des ses critiques assassines. Elle est ainsi faite celle qui portait l'étendard de la bronca anti-quatrième mandat de Bouteflika. Directe et, pour certains, cassante mais sans haine. C'est là le propre des militants sincères dont les propos et les actes ne sont nullement sous-tendus par des calculs carriéristes ou par un quelconque désir de nuire mais plutôt par leur quête absolue de la vérité et leur patriotisme. C'est justement son patriotisme qui a mené Amina Bouraoui sur les sentiers tortueux et glissants de la politique. Gynécologue et fille d'un général à la retraite doublé d'un cardiologue de renom, Amira Bouraoui aurait pu profiter de cette corne d'abondance et mener une vie très paisible loin des tumultes de l'engagement politique. Mais c'était compter sans sa soif de justice et de démocratie, mais aussi la haute idée qu'elle se fait de son pays. Pour les militants de la trempe d'Amira Bouraoui, la situation personnelle ne pèse absolument rien devant le destin d'un peuple. Et cela fait plus d'une décennie que ce médecin de 44 ans est sur la brèche, en faisant sienne toutes les causes justes (Médecins résidents, retraités de l'ANP, etc) et en engageant plusieurs polémiques, notamment avec les affidés du système Bouteflika. Cela fait une décennie aussi que la digne héritière des combats menés par les "anciennes" brocardait l'ancien président aujourd'hui déchu et le système qu'il a savamment instauré. Si l'on veut personnifier l'engagement anti-Bouteflika mais aussi le combat pour les libertés, le premier visage qui s'impose et presque de lui-même est celui d'Amira Bouraoui. En 2011 déjà, cette femme de convictions avait pris part aux manifestations réclamant le changement de système, en se faisant embarquer à plusieurs reprises par la police. En 2014, elle se lancera éperdument dans une entreprise de sabordage du 4e mandat de Bouteflika, en mettant sur pied avec certains de ses amis le fameux mouvement Barakat (Ça suffit). Des manifestations étaient alors organisées dans la capitale et notre activiste gouttera à nouveau aux embarcations policières. "Je connais tous les commissariats d'Alger", s'est-elle amusée, en mars 2019 dans une émission de Radio. Et d'en rajouter une couche d'ironie : "Le régime nous a aidé avec ces embarcations dans les commissariats en nous permettant de nous rencontrer et de tenir nos réunions là-bas".Et en 2018, bis repetita: Amira Bouraoui prend part avec d'autres acteurs au mouvement Mouwatana pour faire avorter le 5e mandat de la honte pour un Bouteflika perclus par la maladie. La suite est connue : le 22 février 2019 les Algériens sont descendus dans la rue pour s'opposer de ses forces au prolongement du règne fort ruineux de l'autocrate ayant pris en otage le pays. Si elle n'a pas été aux avant-postes sans pour autant déserter le terrain de lutte en prenant part aux différentes manifestations, Amira Bouraoui n'a toutefois jamais caché son admiration pour la révolution du sourire. "On l'a tant rêvée, attendue, on y croyait presque plus et elle est là, belle, consciente, pacifique (...)", s'est-elle enthousiasmée, en mars 2019 sur Radio-M, toujours. Une belle revanche, en somme, pour cette femme-combat qui s'est tant dépensée pour que l'Algérie des libertés dont ont rêvé des générations d'Algériens s'accomplisse enfin.