Le professeur Kamel Djenouhat, président de la Société algérienne d'immunologie, président du Comité pédagogie nationale d'immunologie et chef de service du Laboratoire central de l'EPH de Rouiba, a abordé, dans cet entretien, les nouvelles mesures liées à la gestion de la crise sanitaire. Il est également revenu sur les difficultés rencontrées par le personnel soignant sur le front de lutte contre le coronavirus. Liberté : Lundi soir, le gouvernement a annoncé une série de mesures de durcissement visant à renforcer le dispositif actuel de lutte contre la Covid-19. Ne pensez-vous pas que ces mesures ont été prises un peu en retard au vu de l'inquiétante situation épidémiologique ? Pr Kamel Djenouhat : Il n'est jamais tard pour bien faire et pour juguler cette pandémie. Mais, on aurait évidemment aimé que ces nouvelles dispositions préventives et ces mesures de durcissement soient annoncées, juste au lendemain du lancement du processus de déconfinement progressif amorcé le 7 juin dernier. La finalité du dispositif du déconfinement progressif était de parvenir à inverser la tendance et prévenir du coup la situation actuelle, pour au final vaincre durablement cette pandémie. Connaissant la nature humaine et vu les expériences menées déjà dans le pays et dans plusieurs domaines, si on ne sanctionne pas et si on ne durcit pas les sanctions, les instructions données ne seront jamais suivies d'effets sur le terrain. Les personnels soignants saluent et soutiennent ces mesures. Face à de telles situations épidémiques inquiétantes, l'application stricte des règles donnera certainement de bons résultats, du moins ceux qu'on escomptait. Partant de là, on souhaite vivement que les autorités soient désormais intransigeantes et plus fermes vis-à-vis de tout manquement lié aux mesures barrières et aux règles d'hygiène.
Au vu de la situation épidémiologique actuelle, peut-on parler de résurgence du virus avant l'arrivée d'une deuxième vague ou bien d'un corollaire d'un processus de déconfinement progressif mal respecté ? Effectivement, les bilans communiqués ces derniers jours montrent que la courbe de contamination est en train de monter jour après jour. L'Algérie fait toujours face à la première vague. La situation sanitaire actuelle est plutôt due au processus de déconfinement progressif entamé par les pouvoirs publics depuis pratiquement trois semaines, mais sans que la population prenne la peine de se protéger. Les mesures barrières n'ont pas été strictement respectées par la grande partie de la population. Les citoyens qui venaient d'être déconfinés ont pris les choses à la légère. Ils ne respectent pas le dispositif de protection. À la lumière des nouvelles mesures annoncées par le gouvernement peut-on parler aujourd'hui d'un semi-échec dans la gestion de l'épidémie, puisqu'au moment où bien des pays européens notamment vivent au rythme de la décrue de l'épidémie, l'Algérie paraît connaître un boom épidémique exceptionnel ? Il ne s'agit pas vraiment d'un semi-échec. Mais à dire vrai, l'on s'attendait plutôt à des résultats bien meilleurs, notamment après la mise en branle de la stratégie nationale de prise en charge et de lutte contre la maladie virale émergente. Il importe, cependant, de bien analyser et d'étudier les données et les indicateurs actuels de la pandémie, pour amorcer une nouvelle étape dans la bataille qu'on mène sans relâche depuis maintenant quatre mois. L'aboutissement de la nouvelle étape de la gestion sanitaire reste tributaire de l'adhésion des citoyens au processus de prévention et de protection lancé à travers principalement le respect strict et total de l'ensemble des mesures barrières édictées par les autorités sanitaires. La population doit impérativement finir par comprendre que son comportement disciplinaire est l'unique vaccin fiable et efficace contre la Covid. Pour se comparer aux pays européens qui sont en train d'assister à la décrue de l'épidémie, nous ne devons pas perdre de vue que de nombreux pays du continent européen ont adopté et observé scrupuleusement un confinement total, ce qui leur a d'ailleurs permis d'éliminer bien des réservoirs de transmission du virus et de casser au final toute la chaîne de contagion. Ce qui dans notre pays, n'est pas totalement le cas. L'Algérie a tout simplement opté pour le confinement partiel qui peut parfois être plus dangereux que si les citoyens étaient préparés et instruits à ne quitter leur domicile qu'en cas de besoin ou pour une urgence absolue, tout en continuant à observer l'ensemble des mesures préventives et, plus particulièrement, la distanciation physique et le port du masque. Malheureusement, comme on l'a bien constaté, beaucoup de citoyens n'ont pas respecté les mesures barrières et continuent à ignorer ces recommandations de protection, malgré tout le matraquage et les actions de sensibilisation menées à travers les mass media. Le problème de saturation des hôpitaux est désormais une réalité quotidienne. Cela ne risque-t-il pas d'aggraver l'état du personnel soignant, qui commence à afficher les premiers signes d'épuisement, alors que la bataille semble encore loin d'être gagnée ? Effectivement, le nombre de personnes suspectes qui se présentent ces derniers jours dans les hôpitaux, a beaucoup augmenté. Ces gens venaient d'abord pour subir des tests de dépistage ou des examens radiologiques, pour s'assurer qu'ils sont toujours indemnes ou bien infectés. Cet état de fait renseigne bien sur la situation actuelle des hôpitaux. Après quatre mois de bataille sans répit, le personnel soignant espérait plutôt commencer à prendre des jours de récupération pendant les mois de juillet et d'août, et ce, pour pouvoir se préparer à une éventuelle deuxième vague d'alerte annoncée par l'OMS, qu'on ne la souhaite pas arriver chez nous. Tenant compte de la conjoncture actuelle et de l'évolution inquiétante de la pandémie, j'estime qu'il ne sera pas possible, malheureusement, d'organiser des congés de récupération. Alors que le personnel, qui est sur le front depuis fin février, commence à s'épuiser. Fort heureusement, on n'a pas vraiment un manque d'effectif par rapport à la composition des équipes chargées de la prise en charge de la Covid-19, qui sont multidisciplinaires. Le personnel médical et paramédical tient encore bon. Comment se déroulent les opérations d'analyses biologiques notamment après l'explosion du nombre de patients suspects ? Les laboratoires centraux ne sont-ils pas débordés ? Il faut savoir que les modalités des prélèvements pour analyse se font en fonction des moyens dont disposent nos structures. Au début de la pandémie, nous avons eu des soucis pour pouvoir répondre à la demande et réaliser les prélèvements acheminés, puisque tout était centralisé au début de l'épidémie à l'Institut Pasteur d'Algérie. Nous avons vécu au début une sorte de pénurie. Mais cette pénurie était signalée à l'échelle planétaire. Au lendemain de l'apparition de l'épidémie, il était vraiment difficile d'acquérir les réactifs dédiés à ces analyses. Mais aujourd'hui, la multiplication des centres d'analyses a relativement soulagé nos confrères de l'Institut Pasteur. Néanmoins, nous ne nous attendions pas à cet afflux de malades constaté en ce mois de juin, qui tire à sa fin, et j'espère que nous pourrons faire face à la situation pour leur assurer une meilleure prise en charge. Le coronavirus qui se propageait au départ en Algérie est-il moins virulent que celui qui circule ces derniers jours ? En absence de service d'isolement de virus pour d'éventuels séquençages de souche(s) et l'étude protéinomique du SARS-CoV-2, nous ne pouvons répondre à cette question avec certitude. Néanmoins, sur le plan de la contagiosité, il est fort probable que la forme actuelle soit plus contagieuse que la forme qui circulait au début de l'épidémie, si l'on se réfère à quelques études récentes qui ont montré que la souche qui circule en Europe et dans une grande partie des USA présentant la mutation D614G exprime à sa surface une molécule spike plus flexible et plus résistante. Ce qui laisserait, par conséquent, supposer que la souche est plus contagieuse. En ce qui concerne la virulence de cette souche, nous pensons que la souche qui circule actuellement n'est pas plus virulente que celle du début (au cas où elle serait différente), si l'on se réfère au nombre de lits occupés au sein des structures de soins intensifs communiqué par les autorités sanitaires. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ce nombre reste relatif et augmente avec le nombre de nouveaux cas de Covid-19. Les patients guéris de la Covid-19 peuvent-ils redevenir positifs après ? Au début de l'épidémie, les experts japonais ont publié une étude qui confirmait la réinfection au coronavirus chez quelques patients supposés guéris. Ce qui a d'ailleurs suscité une crainte chez la communauté scientifique internationale. Par la suite, il y a eu une autre étude sud-coréenne qui nous a plus ou moins rassurés. L'étude sud-coréenne a démontré que les malades guéris peuvent garder des PCR positives. C'est ce que nous appelons, un reflet de débris d'un virus mort. Mais ce résidu de virus est non contagieux. Pour ce qui est d'une probable réinfection par le SARS-CoV-2, nous sommes plus ou moins rassurés par rapport au fait qu'il n'y avait pas de cas rapportés de réinfection par le SARS-CoV-2, et cela, depuis le début de la pandémie. Cela témoignerait, fort probablement, qu'une immunité protectrice, par des anticorps neutralisants ou lymphocytes T cytotoxiques mémoire d'une durée d'au moins six mois, s'est développée chez ces patients. Néanmoins, il faut rester très vigilant, puisque nous ne connaissons pas encore l'histoire naturelle de ce virus, et nous sommes en train de le découvrir et de le connaître de mieux en mieux, sans prédire avec certitude ce que nous réserve cette affection.