Par : CHERIF Ali Cadre supérieur à la retraite Il y a quelque temps, un parti, brasseur d'idées par excellence, préconisait une réforme profonde de l'organisation administrative de l'Algérie. Elle passerait, selon lui, inévitablement, par la dissolution des daïras, et il s'en est expliqué : "Il s'agit de dissoudre les daïras, inutilement budgétivores, en transférant leurs personnels et leurs budgets au profit des communes ; tous les élus locaux savent que ces entités sont le goulot qui empêche toute intercommunalité au profit d'un contrôle drastique de l'action des élus." Et dans le communiqué qu'il avait rendu public, il a précisé qu'"il faut restituer le contrôle de la conception et de la réalisation de tous les projets à caractère local, quel qu'en soit le montant ; il faut redonner un pouvoir fiscal réel aux entités régionales et mettre en place un mécanisme transparent de redistribution des rentrées fiscales entre les différents échelons des collectivités locales". Il avait plaidé également et surtout pour "un système qui s'appuie sur la territorialité où la région sera conçue, aussi bien comme espace d'expression de la démocratie locale que comme pôle de dialogue et de rayonnement économique et socioculturel". On l'aura compris, le RCD, puisque c'est de lui qu'il s'agit, plaidait pour plus d'autonomie aux communes, notamment fiscale, qui passerait par une réforme du même nom. Et bien évidemment, les pouvoirs publics ne vont pas se presser à donner suite à cette proposition, tout comme la création des 10 wilayas du Sud et des Hauts-Plateaux qui est restée lettre morte, pour cause du poids budgétaire d'une telle mesure dans un pays en pleine crise économique et surtout la question du timing choisi à la veille d'une problématique présidentielle. De plus, et comme ce fut le cas pour la loi sur les hydrocarbures, la question était aussi de savoir comment un gouvernement d'affaires courantes pouvait prendre des décisions aussi importantes pour l'avenir du pays. En revanche, s'agissant de la réforme des finances et de la fiscalité locale, tout le monde est d'accord pour la faire, même si au niveau du ministère de l'Intérieur, c'est l'arlésienne ! Quant à "découper" le pays en régions, pour mutualiser les richesses et faire profiter les Algériens, les pouvoirs publics ne semblent pas en être très favorables. Un tabou. Ou plutôt une ligne rouge à ne pas dépasser, semble-t-il. Le gouvernement actuel sait que les arbitrages politiques, et surtout locaux, seront essentiels pour la mise en place d'une éventuelle réorganisation territoriale. "Notre souhait, a souvent rappelé Kamel Beldjoud, le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire, est que nos partenaires nous accompagnent dans cette mission de ‘modernisation et d'informatisation' de l'administration publique." Et surtout, de décentralisation et de déconcentration ! Comme cette décision de délocaliser la délivrance du passeport et de la carte d'identité biométriques ; une volonté prêtée au ministre de l'Intérieur qui agit, bien sûr, au nom de l'Exécutif pour renforcer le service public, appuyer et soutenir, davantage, l'institution communale. Une révolution ! Ce qui, a priori, est de nature à plaire à tous les édiles d'Algérie, mais aussi aux formations politiques, de l'opposition notamment, celles qui n'ont eu de cesse de réclamer "plus de pouvoirs" aux élus locaux. Désormais, et cela a été transcrit, tout ou presque repose sur la commune ! Le ministre de l'Intérieur le justifie en disant : "Nous avons dans notre vision d'amendement du code de la commune le souci de renforcer le rôle de cette dernière et de confirmer ses missions de principal producteur de service public ; le passeport et la carte d'identité biométriques ainsi que la carte d'immatriculation des véhicules sont des preuves tangibles de notre bonne volonté." Dépouillées de tout ce qui constituait l'essentiel de leurs activités, le passeport, la carte d'identité, le permis de conduire et la carte grise, leurs attributions se sont réduites comme une peau de chagrin. Alors que le RCD militait pour leur dissolution, des millions d'Algériens nourrissent encore l'espoir de voir leur daïra accéder au statut de wilaya, pour bénéficier du "ruissellement financier" qui en découlerait en termes de projets et autres infrastructures absentes dans les zones d'ombre qui sont les leurs ! Au moment même où on renforce les attributions du wali "manager" et où on demande au maire de créer de l'investissement et de l'emploi, on en est encore à s'interroger : 1 Quelle place vont à l'avenir occuper les daïras ? 2 Sont-elles devenues des institutions archaïques comme le prétend le RCD, qui n'ont plus d'autre sens que celui de préserver des employés sous-employés ? Autrefois espaces de commandement appréciables, elles sont devenues des échelons administratifs de plus en plus inconsistants, encombrants même. Contestées par la population qui, pour un oui ou un non, déverse sa colère sur elles en les "cadenassant", les supprimer contribuerait quelque part à alléger le millefeuille administratif, selon certains. Même en termes d'attractivité économique et d'investissement, elles ne servent pas à grand-chose, puisque c'est aux maires et autres walis qu'échoit la mission d'attirer les investisseurs et les commerces. Grâce au foncier, qui relève désormais des prérogatives des chefs d'exécutif de wilaya. À moins de trouver une "mission" qui remotive les chefs de daïra qui, faut-il l'admettre, ne seront pas très occupés à l'avenir. Ces derniers, déjà, n'ont pas les mêmes fonctions que les walis ! Ni les mêmes pouvoirs. Le contrôle de légalité des comptes et des budgets des communes n'est pas, n'a jamais été de leur ressort, par exemple. Dans les petites daïras rurales, l'effectif ne dépasse pas parfois les 9 à 10 fonctionnaires. Chef de daïra compris ! Dans d'autres, l'absence du titulaire du poste pendant de longues périodes ouvre la voie à toutes les spéculations : serions-nous dans cette façon de gérer, dans l'hypothèse de suppression de la daïra ? En la laissant sans chef ? Que dire aussi des daïras qui cohabitent à moins de 15 km les unes des autres ? Et aussi de tous ces bâtiments vides ou quelques agents, une dizaine ou un petit peu plus, occupent 1 000 m2 ! Là, certainement, il y a des économies à faire. Autrement dit, les services qui peuvent être rendus aux citoyens par les daïras, en 2020, seront, disons-le, insignifiants. Il est vrai qu'aucun ministre de l'Intérieur n'a osé toucher, de façon frontale, à la carte des daïras depuis 1990 ! Pourtant l'Etat, en ces temps de rationalisation des dépenses publiques, pourrait escompter, avec leur suppression partielle ou totale, une économie facilement chiffrable et en tous les cas bienvenue en ces temps de disettes. Et en cela, le RCD n'est pas dans l'erreur. Rappelons, pour la bonne compréhension, que les chefs de daïra sont à la tête d'institutions qui n'ont ni budget ni instance de délibération et de validation des décisions de dépenses, et sont donc démunies de tout instrument de réalisation de leur politique. Qui irait dans le sens du RCD et proposerait la réforme des daïras, leur réorganisation, voire leur suppression ? Difficile à croire pour l'instant, même si l'heure est à la réduction des dépenses publiques et à leur rationalisation. Ce qui apparaît comme un impératif absolu. A contrario pourtant, ils sont nombreux ceux qui estiment que les chefs de daïra sont des rouages essentiels de l'Etat, les relais, partout sur le territoire, des politiques de l'Etat, des questions de sécurité, à celles de l'aménagement en passant par leur rôle d'arbitrage en matière de développement local principalement. Certes, la population se plaint du chef de daïra dans certains territoires, mais ceux qui râlent le plus seront les premiers à contester la suppression de leur daïra. Y compris dans les rangs des formations politiques. Que faut-il faire dès lors qu'il semble vital de préserver le lien entre la population et les daïras ? C'est une question de cohésion sociale, dit-on. On l'aura compris, autour des daïras se greffent beaucoup de services de proximité et d'antennes des différentes administrations. Sans compter des fonctionnaires de haute qualité. De ce qui précède, faut-il attendre des décisions en la matière, ou pour le moins, espérer l'ouverture d'une réflexion en ayant à l'esprit que : 1 la suppression des daïras en l'état porterait un coup grave à l'aménagement du territoire ; 2 la transformation de quelques-unes d'entre elles en "antennes communales" serait, a priori, judicieuse. Elle irait aussi dans le sens de la proposition faite par le RCD ; 3 le maintien des daïras en zone très urbaine, là où les administrés peuvent aller rapidement à la wilaya en transport en commun, voire à pied, ne participe pas de la rationalité encore moins de la logique, et donc leur dissolution serait envisageable ; 4 la suppression des 47 daïras des chefs-lieux de wilaya, une aberration en quelque sorte, et dans ce cas particulier, on est d'accord avec le RCD ; ces daïras-là ont perdu leur utilité ! 5 la fusion entre une ou deux petites daïras distantes de 10 à 15 km peut être expérimentée. Avec un seul chef daïra aux commandes et autant d'économies à faire, comme l'a suggéré le RCD ; 6. le maintien des daïras en milieu rural semble indiscutable, car on est loin de tout. En revanche, il faudrait travailler pour rassembler plus de services dans un même lieu. Une sorte de "maison de l'Etat" ; 7 la consolidation, voire la multiplication des daïras dans le grand Sud est indiscutable. Que va faire pour sa part le ministre de l'Intérieur, Kamel Beldjoud ? 1 Va-t-il, par exemple, maintenir sa politique de modernisation de l'action de l'Etat et poursuivre sa réforme jusqu'à réorganiser ces daïras dont l'existence n'apparaît plus comme indispensable ? 2 Et, du coup, mener une réforme territoriale qui porterait son nom ? 3 Ou, peut-être, souhaiterait-il ménager la population qui reste très attachée aux symboles et surtout aux acquis ?