"Je suis abandonné ici depuis 34 ans. Je ne sais pas quand je vais quitter cette prison !" Au bout du fil, Djoudi Djaâdi tente de garder le moral. Mais après 34 ans passés derrière les barreaux, ce prisonnier de 65 ans, qui nous appelait d'une prison du Maryland, aux Etats-Unis, commence à perdre espoir. L'histoire de cet ingénieur algérien, parti aux USA pour étudier, d'abord, puis travailler dans les années 1970, ressemble pourtant à un film de science-fiction. Nous sommes en 1986. Djoudi Djaâdi a 31 ans et vit avec une Américaine. Un jour, comme dans beaucoup de couples, les choses tournent mal. Pris de colère, Djoudi tire sur sa compagne. Il l'égratigne. Elle dépose plainte. L'homme est emprisonné pour "tentative de meurtre". Dans le système judiciaire américain, c'est à l'accusé de prouver son innocence. "Surtout que c'est un Arabe qui a tiré sur une Américaine", indique un diplomate. Pour cela, il faut avoir de l'argent. Djoudi n'en avait pas. Il clame son innocence surtout que sa femme "n'a même pas passé une nuit à l'hôpital". En vain. Il est condamné à la perpétuité. Il se battra. Sans résultat. Il appelle le consulat, puis l'ambassade. Sans suite. Il paie les avocats, avec notamment de l'argent collecté par des Algériens résidant aux Etats-Unis. Mais cela ne lui servira plus à rien. Pour tenter de ne pas sombrer, Djoudi Djaâdi "fait du sport" en prison. Il continue d'appeler son frère pour prendre des nouvelles de la famille, et surtout de sa mère, âgée de 95 ans, qui "ne veut pas mourir avant de revoir son fils". Mais cela commence à peser. "En 2018, la justice avait ordonné ma libération. Il ne manquait que la signature du gouverneur. Il a refusé de signer pour des considérations électoralistes", se désole Djoudi Djaâdi. Comme dernier espoir, l'un des plus anciens détenus algériens dans le monde s'en remet, à nouveau, aux autorités algériennes. Il souhaite que le ministère des Affaires étrangères intervienne pour l'aider à quitter la prison. "Il n'est même pas résident aux Etats-Unis. Il peut donc être expulsé", indique un diplomate au courant de l'affaire. Mais notre interlocuteur se désole du fait que les autorités algériennes "ne se soient pas intéressées" à ce dossier. "Tout le monde à l'ambassade d'Algérie à Washington est au courant de l'affaire. Mais personne ne lui répond plus au téléphone", se désole un retraité de l'ambassade. "La secrétaire de l'ambassadeur me répond toujours que l'ambassadeur n'est pas là. À qui vais-je parler ?" s'interroge Djoudi Djaâdi, désarmé. Il est convaincu que les services consulaires sont capables d'aider ce ressortissant algérien à sortir de cette situation. Mais rien n'est fait. En 2017, la plaignante est décédée d'un cancer du poumon. Une preuve que ce ne sont pas les balles de son ancien compagnon qui l'ont tuée. Cela n'a pas suffi aux autorités judiciaires américaines pour innocenter le détenu. Djoudi s'accroche toujours à une initiative qui viendrait d'Alger ou de sa représentation diplomatique à Washington. Ali Boukhlef