L'image s'apparente à un cri de détresse : des médecins regroupés dans l'enceinte d'un établissement hospitalier à Constantine qui expriment non seulement leur désarroi face aux conditions de travail dans lesquelles ils exercent et aux moyens limités dont ils disposent, mais également les agressions auxquelles ils font face. Presque éclipsé durant le Hirak, le phénomène de violence, du moins dans les proportions connues, semble avoir été exacerbé par la crise de la Covid-19. Faute d'institutions qui "savent" lui parler, l'Algérien donne l'impression d'être livré à lui-même et stressé par l'absence de perspectives. Et en raison de la dynamique inachevée du mouvement populaire, les gens sont pour ainsi dire installés dans une espèce d'incertitude et de confusion. Mais qu'est-ce qui peut bien expliquer cette recrudescence et ce phénomène d'agressions qui ciblent particulièrement le personnel médical ? A priori, la réponse semble inappropriée faute d'un diagnostic sérieux sur les causes du phénomène. Un cautère sur une jambe de bois, en somme. Et ce ne sont pas les quelques personnes — auteurs des agressions à l'encontre du personnel — emprisonnées qui vont atténuer ou contenir un problème qui devrait probablement être appréhendé dans sa globalité. "La recrudescence de l'épidémie a ressuscité le climat de panique antérieur au sein de la population. La mauvaise communication et la cacophonie au sommet de la décision sanitaire ont aggravé cette situation. Dans de telles conditions, des comportements inadaptés peuvent apparaître et concerner toutes les franges de la population. Le climat de violence que nous observons dans les structures de soins et les agressions à l'endroit des personnels soignants sont à ce titre significatifs. Contrairement à ce que nous pouvons penser, ces comportements dangereux à l'égard de la communauté de la santé ne sont pas le fait uniquement de délinquants, mais également — sans doute présentement — le fait de personnes en proie à la panique et qui passent à l'acte parce qu'ils ne sont plus capables de discernement", explique le Dr Mahmoud Boudarène, psychiatre et docteur en sciences biomédicales. "Ce type de comportement, bien connu des spécialistes, est particulièrement observé dans les grandes catastrophes. Il s'agit d'une réaction de stress aiguë, qui rend difficile à gérer et à contrôler les émotions négatives notamment dont la colère et l'agressivité. La confrontation avec la mort propre ou celle d'un proche constitue un traumatisme psychique responsable d'une angoisse indicible, la terreur s'empare alors des sujets et les rend momentanément imperméables à toute forme d'intelligence. Ils réagissent à l'instinct et peuvent avoir des comportements inadaptés et dangereux pour la communauté. C'est ce que nous observons actuellement", dit-il. L'auteur de La violence sociale en Algérie ne manque pas de pointer du doigt le déficit, voire l'absence de communication et l'état désastreux de notre système de santé. "Il est évident — et je le soulignais — que le défaut de communication amplifie la peur et la rend contagieuse. Cette contagion est accrue par la rumeur et les fakenews qui polluent l'information qui circule dans les réseaux sociaux. Il est vrai que la violence en milieu hospitalier n'est pas nouvelle, elle a toujours existé, mais elle participe des mêmes causes. Du fait du délabrement de notre système de santé, la crainte d'un non-accès aux soins et/ou d'une mauvaise prise en charge est dans tous les esprits. L'épidémie a amplifié de façon exponentielle cette crainte, mais les rumeurs qui circulent sur la Toile accusant les personnels de soins, en particulier les médecins, de gonfler les chiffres des décès dus à l'épidémie sont également responsables de la recrudescence de cette violence. Les adeptes de la théorie du complot ont trouvé dans l'absence de communication des autorités publiques l'occasion de reprendre du service", observe-t-il. C'est pourquoi, suggère-t-il, au lieu et place d'un durcissement de l'arsenal juridique, une refonte du système de santé devient impérative. "De ce point de vue, le chef de l'Etat serait mieux inspiré de réfléchir à une refonte de notre système de soins pour le rendre opérant plutôt que d'alourdir davantage le code pénal en y ajoutant une loi pour lutter contre la violence. Il suffit d'appliquer celles qui existent déjà", conclut-il.