Après un premier roman, "Celle qui dit non", paru en 2018, Amar Aït Ameur revient cette année avec un nouveau livre. Dans "La Plumaison"*, l'écrivain, établi à Montréal depuis de longues années où il travaille comme professeur, raconte l'histoire d'un jeune Algérien, Hassan, qui, après un échec scolaire, rencontre d'anciens "camarades" qui l'ont mis en contact avec les milieux islamistes radicaux. Poignant. Dans cet entretien, il revient sur son nouveau livre et sur son parcours, lui qui a commencé à éditer à l'âge de 43 ans, alors que sa vie a toujours été bercée par les livres. Liberté : Votre deuxième roman, La Plumaison, vient de paraître. Pourquoi ce titre ? Amar Aït Ameur : Le titre s'explique par le contenu. Il y a la signification ludique et humoristique, qui apparaît au premier niveau de la lecture : le titre fait référence au geste du distributeur de cartes au poker (jeu que pratiquent les personnages), qui rappelle celui du plumeur d'oiseaux. Il y a aussi un autre sens qu'on découvre au fur et à mesure de la lecture et qui apparaît surtout lorsqu'on referme le livre et l'on jette un regard global sur le parcours du personnage principal, Hassan, et de ceux qui lui ressemblent. Comme dans votre premier roman, Celle qui dit non, la thématique de l'islamisme est présente dans La Plumaison. Est-ce une obsession ? Une malédiction pour la société ? En effet, cette thématique revient. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'elle est préoccupante. Il est difficile de l'éluder à chaque fois que l'on veut parler de notre société. Bien évidemment, elle m'intéresse politiquement en tant que citoyen. Mais en tant qu'auteur, elle m'intrigue par l'attrait qu'elle exerce sur les esprits et par les métamorphoses qu'elle opère chez les gens. Hassan a été profondément changé au contact de l'islamisme. Il m'est arrivé de revoir des connaissances qui, entre-temps, ont embrassé cette idéologie, et j'avais l'impression de rencontrer des extraterrestres ! Et ces changements ne sont pas des phénomènes isolés. À travers le personnage principal, Hassan, vous décrivez une jeunesse algérienne perdue. Entre la déchirure familiale, la déperdition scolaire et la tentation islamiste, c'est un portrait d'un jeune Algérien des années 1990 que vous évoquez. N'y-t-il pas une part d'autobiographie dans le roman ? Non. Le personnage principal ne me ressemble pas, sinon vaguement, dans le sens où il représente, comme vous le dites, un portrait d'un jeune Algérien des années 1990. Je suis d'accord avec cette lecture ; en effet, j'ai essayé de montrer un personnage représentatif d'une époque. À mon sens, on peut parler d'un roman d'apprentissage dans la mesure où le fil de la narration suit le cheminement du personnage principal, de son enfance jusqu'à l'âge adulte. Le roman essaie de montrer comment notre génération "apprenait" la vie... L'histoire de Hassan n'est pas la mienne, mais elle aurait pu l'être et je pense qu'elle ressemble à beaucoup d'autres histoires, surtout par son côté métaphorique. Vous avez quitté l'Algérie depuis de longues années. Mais votre écriture se passe toujours ici. Vous n'arrivez pas à faire le deuil de ce pays, notamment de votre Kabylie natale... Vous savez, quitter l'Algérie est une expérience ambiguë : d'un côté, on est soulagé de pouvoir échapper à une atmosphère étouffante, d'un autre côté, on laisse derrière soi une partie de soi-même. D'où le lien très fort que l'on garde avec le pays. Donc, si je reviens à votre question, je vous dirai que l'écriture est une expérience subjective ; il est normal que la mienne se déroule dans mon pays natal. Je ne m'efforce pas à écrire sur la Kabylie, mon inspiration m'y pousse invariablement. Est-ce qu'un jour j'écrirai sur autre chose ? Peut-être ! Vous avez commencé à écrire à un âge où beaucoup d'écrivains sont déjà au faîte de leur production. Pourquoi attendre autant pour révéler votre talent ? D'autres projets sont-ils en cours ? Je ne suis pas si vieux que cela quand-même (rire) ! Depuis que j'ai découvert le monde des livres, le rêve d'écrire ne m'a pas quitté. Mais je repoussais tout le temps sa réalisation. Cela est humain : nous avons tous des rêves que nous repoussons indéfiniment. Je suis content d'avoir pu enfin plonger dans sa réalisation. Je pense aussi qu'il y a des explications objectives à cela : j'étais pris par mes recherches universitaires au cours desquelles j'écrivais, mais des textes d'une autre facture (ma thèse de doctorat est publiée en France). Je pense qu'il existe une autre raison, personnelle celle-là : j'étais intimidé par les grands auteurs. Ils m'intimident moins depuis que j'ai fait mon deuil de la puérile ambition de rivaliser avec eux. Aussi, il y avait les difficultés de l'édition. Sinon, oui, j'ai d'autres projets ; le confinement a été bénéfique de ce point de vue-là...
Entretien réalisé par : Ali Boukhlef *Amar Aït Ameur, La Plumaison. Editions Imru. Tizi Ouzou. 2020. Prix : 600 DA.