Sa petite échoppe pittoresque ne désemplit pas. Celle-ci est située au cœur de la vieille ville, à Médéa, précisément au 2, rue des Frères-Barkani. Savamment achalandée en plantes médicinales, les Médéens s'y précipitent en quête d'herbes thérapeutiques. Lui, c'est Sid-Ali Benhadjar, un “émir” revenu à l'urbanité, depuis voilà cinq ans, à la faveur de la loi sur la concorde civile. Ancien activiste du GIA ayant pris ses quartiers dans les maquis de Tamesguida, il est entré en dissidence dès 1996. Le groupe qu'il commandait serait d'ailleurs derrière la liquidation de Djamel Zitouni. En 1997, il fonde la LIDD : Ligue islamique pour la daâwa et le djihad. Hostile aux méthodes de Zouabri et consorts, il adhère aux accords ANP-AIS et abandonne la voie du djihad. Deux jeunes parmi ses proches gardent sa boutique, tandis que lui vaque à des activités diverses. C'est l'un de ses neveux, Saâd-Eddine Benhadjar, 25 ans, qui nous reçoit. Il fait un peu office d'attaché de presse. “Mon oncle est très sollicité par les médias”, dit-il. “Il y a même des journalistes d'Al-Djazeera et de MBC qui sont venus l'interviewer.” Bien que se méfiant en général des journalistes, Saâd-Eddine finit par nous prendre en sympathie. 12h25. Le “cheikh” arrive, juché sur une mobylette. Saâd-Eddine lui touche deux mots et l'ancien “émir” de la LIDD accepte de répondre à nos questions. Que pense-t-il du projet de réconciliation, ce que ledit projet apporte de nouveau par rapport au “wiam al madani” de 1999 ? Benhadjar ne mâche pas ses mots. Pour lui, cette charte marque un net recul par rapport aux promesses ouvertes par la loi sur la concorde civile et la “grâce amnistiante” qui l'a suivie. Il le dit tout de go en une formule qui résume tout : “Al-moussaraha qabla al-moussalaha !” “La vérité est un préalable catégorique à la réconciliation.” Il faut que la lumière soit faite sur ce qui s'est réellement passé, sur l'origine de la crise. Et de développer : “Le projet du Président, tel qu'il est présenté, ne peut se réaliser dans la mesure où la deuxième partie concernée est absente. La réconciliation suppose par définition : rapprocher deux parties. Or, la deuxième partie historiquement concernée, (en l'occurrence le FIS, ndlr) est écartée. Le pouvoir est juge et partie dans cette affaire.” Il considère ainsi que “cette réconciliation est purement formelle (chaklia)”. Il reproche au pouvoir de jeter l'entière responsabilité de la crise sur le FIS. Benhadjar déplore que le débat soit plombé. Que les partisans du “non” n'aient pas voix au chapitre. En témoigne, selon lui, le “harcèlement” que subit Ali Benhadj, le numéro 2 de l'ex-FIS. “Je pense que l'affaire Ali Benhadj est fabriquée de toute pièce afin de l'empêcher d'intervenir dans le débat”, accuse-t-il. Rappelons que, deux jours avant l'exécution par le groupe d'Abou Mossaâb Al-Zerqaoui de nos deux compatriotes en poste à Bagdad, Ali Belaroussi et Azzeddine Belkadi, Ali Benhadj a fait une déclaration à Al-Djazeera dans laquelle il justifiait la condamnation des deux diplomates, ce qui lui a valu une mise sous mandat de dépôt. Pour Benhadjar, le pouvoir a fermé toutes les portes d'un vrai dialogue, dès lors qu'il a exclu “définitivement”, dans la charte soumise à référendum, toute possibilité de retour du parti dissous sur la scène politique. “Nous avons subi une grande injustice en 1991 et cela continue.” Concernant la récente sortie publique de Madani Mezrag, il estime que ce dernier “ne représente même pas l'AIS”, encore moins le FIS. “Les chouyoukh sont là. C'est à eux et au majliss echoura de se prononcer. Seuls eux sont habilités à parler au nom du FIS.” Interrogé sur les cinq ans qui viennent de s'écouler depuis le “wiam”, Sid-Ali Benhadjar explique que les relations avec la population sont “normales” (adia). Entouré d'une véritable aura, il reçoit beaucoup de visiteurs. Beaucoup viennent le solliciter pour une “roqia”. Ils ramènent des bouteilles d'eau ou des jerricans et le “vénérable” cheikh récite des versets du Coran, censés assurer la guérison ou apporter la baraka à celui qui s'en sert. Benhadjar souligne, toutefois, les difficultés que rencontrent ses hommes pour trouver un emploi. “Il y a quelque 500 000 personnes injustement licenciées depuis 1992. Elles n'ont pas été réintégrées. Je doute fort que ce projet règle leur situation. On est en train de mettre des travailleurs au chômage. Comment voulez-vous que ces gens retrouvent leur emploi ?” proteste l'ex-chef de la LIDD, avant de poursuivre, désenchanté : “Nous, quand nous avons décidé de quitter le maquis, ce ne sont pas les promesses du régime qui nous ont fait descendre, mais la volonté de montrer au peuple que nous n'avions rien à voir avec ceux qui commettaient les massacres et des attentats à l'explosif.” Pour autant, l'homme n'est guère chaud pour faire campagne pour d'éventuelles redditions : “J'ai été approché pour lancer un appel de reddition aux groupes en activité dans la région. N'étant pas convaincu par ce projet, j'ai refusé. Je ne connais pas les gens qui sont au maquis. Les choses sont embrouillées. Il y en a qui combattent pour une cause juste. D'autres commettent des actions douteuses (aâmal machbouha). Je ne veux pas être mêlé à tout cela.” M. B.