Cette commémoration du double anniversaire du 20 Août 1955 et du 20 Août 1956 aura permis aux Algériens de se réconcilier avec leur histoire qui leur a été confisquée par le régime post-indépendance. Loin des célébrations folkloriques qui ont longtemps vidé l'événement de sa substance historique et politique, le 64e anniversaire du Congrès de la Soummam a connu un emballement populaire sans précédent. De nombreux Algériens ont convergé, avant-hier, à Ifri pour retisser le lien avec ce moment fondateur dans le combat libérateur. Ils en ont fait un événement politique de premier plan. Leur déplacement en masse rappelle combien le projet d' Abane-Ben M'hidi demeure d'une actualité brûlante. Le village Ifri, perché sur les hauteurs de la commune d'Ouzellaguen (Béjaïa) était pris d'assaut par une marée humaine. Ils sont venus de partout pour célébrer cette date historique du 20 Août 1956, où furent paraphées les résolutions du Congrès de la Soummam qui constitua un tournant décisif dans l'histoire de la Révolution algérienne. Venus des quatre coins du pays, comme en témoignent les immatriculations des véhicules, des milliers de citoyens ont bravé la chaleur caniculaire et les risques de la pandémie pour marquer cet événement historique considéré comme étant l'acte fondateur de l'état algérien. Cette célébration populaire massive du double anniversaire du 20 Août 1955 et du 20 Août 1956 aura permis aux Algériens de se réconcilier avec leur histoire longtemps confisquée. Il faut dire que l'insurrection citoyenne du 22 février a fortement contribué à redonner au congrès de la Soummam et à la plateforme politique qui en est issue toute sa vigueur. Ressourcement et pèlerinage Longtemps marginalisée, la paisible bourgade d'Ifri est devenue, l'espace d'une journée commémorative, un lieu de ressourcement et de pèlerinage pour plusieurs milliers d'Algériens. Pour preuve, des femmes et des hommes, toutes tendances politiques confondues et représentant toutes les générations, se sont retrouvées, ce 20 août, à Ifri, pour célébrer dans la dignité et la communion, cette date hautement historique. Certains sont arrivés la veille, d'autres, venus de la wilaya de Béjaïa, ont parcouru des dizaines de kilomètres à pied pour être au rendez-vous avec l'histoire. Outre les partis et les organisations membres du Pacte de l'alternative démocratique (PAD), tels que le RCD, le FFS, le PT, le RAJ, la Laddh, plusieurs personnalités politiques et autres délégations sont venues se recueillir sur ce haut lieu de la mémoire nationale et déposer des gerbes de fleurs devant le mémorial élevé à la mémoire des martyrs de la Révolution (1954-1962), tout particulièrement en hommage aux architectes du Congrès de la Soummam. Parmi les figures les plus connues, on peut citer le moudjahid Lakhdar Bouregâa, ancien chef militaire de la wilaya IV historique, le porte-parole de l'Union démocratique et sociale (UDS, parti non agréé), Karim Tabbou, l'avocate des détenus du Hirak et présidente de l'Union pour le changement et le progrès (UCP), Zoubida Assoul, les activistes politiques Fodil Boumala et Samir Belarbi, l'ex-député de Béjaïa, Khaled Tazaghart, ainsi que d'anciens détenus du mouvement populaire et leurs avocats, dont le célèbre défenseur des droits de l'Homme Mostefa Bouchachi. "Le Congrès de la Soummam demeure un événement phare de notre glorieuse Révolution à laquelle il donna un nouveau souffle. Si aujourd'hui, nous sommes là pour commémorer cette date historique et rendre hommage aux artisans du Congrès tenu en Août 1956, ici même, à Ifri, nous ne devrions pas trahir le testament que nous ont laissé nos valeureux martyrs. Ces derniers avaient libéré le sol algérien des mains du colonisateur français, nous, nous devons continuer notre révolution pacifique pour libérer l'Algérien", a déclaré à la presse Me Mostefa Bouchachi, à l'issue de la cérémonie de recueillement. Afin d'éviter toute tension avec les activistes du mouvement populaire, les autorités de la wilaya de Béjaïa, à leur tête le wali Ahmed Maâbed, se sont donné rendez-vous très tôt, jeudi dernier, à Ifri-Ouzellaguen. Escortée par un impressionnant dispositif sécuritaire, la délégation officielle s'est contentée de marquer l'événement en organisant une cérémonie avant l'arrivée de la foule. Au-delà de son caractère historique, cette journée commémorative a été une occasion pour de nombreuses figures du Hirak de se retrouver et de se concerter après la trêve due à la crise sanitaire induite par la pandémie de Covid-19. Si certains militants se sont perdus de vue depuis le début du confinement sanitaire, d'autres ont été poursuivis en justice et condamnés à des peines d'emprisonnement pour leur engagement dans le mouvement populaire. C'est le cas de Karim Tabbou, de Fodil Boumala, de Samir Belarbi, d'Abdelouahab Fersaoui, de Brahim Daouadji, de Samira Messouci et de tant d'autres. Toutes ces figures emblématiques du Hirak ont été accueillies en héros à Ifri. Certains parmi les ex-détenus d'opinion, à l'instar de Karim Tabbou et de Lakhdar Bouregâa, croulaient sous les sollicitations des citoyens qui se bousculaient pour se prendre en selfies avec eux pour immortaliser le moment. émotion et retrouvailles "Il faut dire que cette halte historique nous a permis non seulement de revisiter le passé glorieux de notre Révolution, mais aussi de nous ressourcer et de nous inspirer du combat de nos ancêtres. C'est une opportunité pour nous d'échanger nos points de vue sur les voies et moyens à mettre en œuvre pour permettre à notre révolution du sourire de reprendre son cours", nous a fait savoir Riad Boukrara, un activiste du Hirak à Béjaïa. Rassemblée sur l'esplanade jouxtant le musée d'Ifri, une foule compacte qui reprenait à l'unisson les chants et slogans phare du mouvement populaire, n'a pas manqué d'appeler au déconfinement du Hirak. "Abane khela w'saya, dawla madania, matchi askaria" (Abane a laissé un testament, pour un Etat civil et non pas militaire), "Adala moustaqila, sahafa houra" (pour une justice indépendante et une presse libre), "Djazaïr hourra démocratia" (l'Algérie libre et démocratique vivra), "Pouvoir assassin", "Système dégage !" ont retenti comme pour renouveler le serment avec le combat d'hier. Les portraits des organisateurs du Congrès de la Soummam, notamment Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi et le colonel Amirouche, ont été fièrement arborés par la foule aux côtés de l'emblème national et du drapeau amazigh. Bien que présents en force jeudi dernier, à Ifri, les partis politiques et les organisations de la société civile, qui composent le pacte de l'alternative démocratique (PAD) ont tenu, chacun à sa manière, à célébrer cette date historique. Si le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a dépêché une forte délégation, composée essentiellement des deux parlementaires de Béjaïa et des membres de la direction nationale du parti, le Front des forces socialistes (FFS) a été représenté par deux délégations qui continuent à se livrer une bataille de légitimité à couteaux tirés. Mené par l'ancien membre de l'instance présidentielle du FFS, Ali Laskri, le groupe opposé à la nouvelle direction du parti, issue du dernier congrès, a été le premier à se recueillir devant le mémorial d'Ifri après avoir, la veille, donné une conférence à Ouzellaguen. La deuxième délégation a été conduite par le nouveau premier secrétaire, Youcef Aouchiche, accompagné de quelques militants et députés. D'autres partis politiques ont tenu également à marquer leur présence. Le Parti des travailleurs, le Mouvement démocratique et social ont déposé des gerbes de fleurs à la mémoire des artisans de l'indépendance nationale. En somme, la célébration du 64e anniversaire du Congrès de la Soummam a transcendé beaucoup de clivages politiques et idéologiques. Longtemps "marginalisée" par la pensée unique qui s'est construite sur un autre substrat culturel et idéologique, la Soummam a pu résister aux reniements et parfois à des tentatives d'un révisionnisme éhonté. Parce que porteur d'un projet démocratique, ce projet n'était pas compatible avec l'orientation donnée à l'Algérie indépendante. Mais tout comme les grands moments fondateurs de l'Histoire, les idéaux du Congrès de la Soummam, tenu en plein milieu de la guerre, ont fini par triompher. Et c'est le message qu'ont voulu donner les nombreux Algériens qui se sont déplacés à Ifri.