Pour le professeur Othmane Ghomari, en prévision de la rentrée sociale, les chefs d'entreprise doivent fournir tous les moyens de protection aux travailleurs, instaurer un schéma de protection collectif et avoir une politique de dépistage, car il n'y a pas mieux que la prévention. Liberté : Quel est votre constat sur l'évolution de la pandémie de Covid-19 et son impact sur le secteur du travail ? Pr Othmane Ghomari : Depuis l'apparition du coronavirus, on ne voit pratiquement plus les travailleurs des entreprises en visites périodiques et usuelles, car tout le monde a eu la phobie de l'hôpital. Mais, de temps à autre, on a reçu quelques cas sporadiques. Il s'agit d'employés d'Agrodif, de CTC, de l'ONA, de l'Onama, de Gualicho, d'un bureau d'architecture et d'établissements de santé privés, notamment des dentistes conventionnés avec notre service qui sont restés en activité et dont les travailleurs n'ont pas été fortement touchés par la pandémie. Après l'avènement de la phase de positivité, on a eu aussi des cas de travailleurs suspectés d'être infectés, qui ont reçu des directives de leur tutelle centrale, surtout pour la question de savoir s'ils doivent être maintenus, s'ils peuvent reprendre le travail ou pas... Pour cela, ils ont été soumis à des tests sérologiques de dépistage de la Covid-19, et certains résultats se sont avérés positifs. Il y avait aussi d'autres cas d'infection qui sont passés totalement inaperçus. Tous ces travailleurs ont-ils passé les tests sérologiques ? Les 70% des cas qui se sont présentés à notre service l'ont fait sans aucun problème. Parmi eux il y a 30% qui risquent d'avoir des problèmes, surtout les sujets vulnérables présentant des maladies associées à l'infection. En tout, on a recensé 30 cas de contaminations anciennes, dont cinq présentant des sérologies récentes. Globalement, notre charge quotidienne s'est fait ressentir beaucoup plus chez le personnel de santé, notamment celui du CHU, du centre anticancer et de la maternité. D'une manière générale, tout le personnel de santé impliqué dans la lutte contre la Covid-19 est saturé, notamment dans les services de néphrologie, d'hématologie et de médecine interne, à tel point que parfois certains ont frôlé la dépression. Pour cela, nous avons instauré une psychologie du travail dans notre service pour soulager notre personnel.
Qu'en est-il des cas de contamination du personnel de santé, notamment au CHU ? En ce qui concerne la contamination du personnel de santé, on a jugé que sa prise en charge était très importante, surtout en matière de dépistage, d'autant plus qu'elle est indiquée par les différentes notes émanant de notre ministère de tutelle. Au début, on était dans une optique d'estimation d'un seul lit qui pourrait être exposé à ce genre de danger, mais à partir des mois d'avril et mai on a eu plusieurs cas asymptomatiques qui ont eu des contacts suspects parfois avec des malades décédés. À l'issue des tests PCR, ils ont été déclarés positifs et traités sans aucune complication. Au mois de juin, la situation s'est accentuée et on a commencé à avoir des cas positifs dont certains étaient symptomatiques. Aussitôt diagnostiqués par radiologie et scanner, ces derniers ont été orientés pour une prise en charge thérapeutique et placés en confinement. Ont-ils contracté la Covid-19 au contact de patients infectés ou ailleurs ? La plupart des contaminations sont externes. On n'a pas enregistré de contamination de médecins ou de paramédicaux chargés de suivre les malades de coronavirus, car ils sont mieux protégés que quiconque. Donc, le risque de contamination à l'unité de soins Covid-19 n'existe pas, surtout avec la stratégie et l'équipement fourni, ainsi que l'architecture de la conduite à tenir. On ne peut pas se contaminer, sauf s'il s'agit d'un comportement individuel anormal. On a remarqué aussi que les professionnels de la santé se contaminent surtout lorsqu'ils déjeunent ensemble. En juin et juillet, on a atteint un pic de contaminations par le coronavirus, mais maintenant cela s'est ralenti, à tel point que cela fait pratiquement deux semaines qu'on n'a pas enregistré de cas de contamination. Les travailleurs des entreprises sont-ils assez protégés ? En ce sens, il y a eu des campagnes de sensibilisation qui ont été initiées par le service de médecine du travail dans certaines entreprises. En plus, dans chaque lieu de travail, notamment les entreprises et les administrations, les travailleurs sont obligés de porter la bavette, et c'est aux employeurs de les fournir ainsi que tous les équipements de protection. Mais cela ne nous a pas empêchés d'effectuer des visites pour nous enquérir des cas suspects, nous informer des circonstances de leur infection et s'ils ont contaminé d'autres personnes. Lors de ces virées, on profite aussi pour s'assurer de la situation épidémiologique prévalant au sein des entreprises visitées. En plus, il y a la note émanant du ministère de la Santé, qui définit les moyens de protection en fonction de l'exposition, notamment ce que le travailleur doit porter, et on a remarqué que les employés sont parfois largement protégés. Les tests de dépistage sont-ils systématiques ? L'action de dépistage systématique de masse a été instaurée par les chefs d'entreprise, et nous n'avons pas les moyens de le faire. À la maternité, ils ont acheté des kits et les tests rapides ainsi que les PCR, et j'ai une équipe qui se déplace sur les lieux pour le faire ainsi qu'au centre anticancer. À partir de cette semaine, on va lancer une opération de dépistage par des tests rapides, notamment les PCR qui seront réservés uniquement aux personnes symptomatiques. Auparavant, il y a eu de l'incivisme, mais depuis deux semaines, la courbe est en régression et on ne voit plus de cas symptomatiques. D'ailleurs, on ne reçoit que des cas de reprise de travail qui sont guéris. Pour ce qui est du personnel de santé, cela commence à diminuer de manière importante et il n'y a plus de cas sporadiques. Donc, nous avons l'impression que les gens ont pris conscience de l'usage des moyens de protection contre la Covid-19, à tel point que les unités Covid du CHU sont pratiquement vides. La rentrée sociale est pour bientôt. Que craignez-vous le plus ? En ce qui concerne la rentrée scolaire, l'élève est protégé parce que l'enfant est un vecteur, c'est pour cela qu'on n'a pas enregistré de cas d'enfants qui ont été contaminés. Pour ce qui est de la rentrée universitaire, les étudiants sont des personnes adultes, et les cours, surtout en médecine, seront dispensés en visioconférence. Cependant, dans les cités universitaires, c'est la promiscuité, et cela risque de poser de sérieux problèmes. Concernant les travailleurs, il n'y a pas mieux que la prévention, je ne cesse de le répéter. Pour cela, les chefs d'entreprise doivent fournir tous les moyens de protection individuelle à leurs employés, instaurer un schéma de protection collectif et avoir une politique de dépistage. Nous, nous sommes prêts pour le faire. Entretien réalisé par : A. Bousmaha