Chef du service de pédiatrie du CHU de Sétif, le Pr Belkacem Bioud analyse l'évolution de la Covid-19 et les différentes facettes de l'infection qui n'a pas le même impact sur la santé des adultes que sur celle des enfants. Liberté : Depuis l'avènement de la pandémie de la Covid en Chine en décembre 2019 puis dans notre pays en mars 2020, d'aucuns pensent qu'il s'agit d'une maladie d'adultes et les enfants n'en sont que les transmetteurs ... Pr Belkacem Bioud : Il faut savoir que les auteurs chinois ont publié dès la fin du mois de février dernier, une description assez précise des premiers cas de Covid-19 (un peu plus de 70 000) survenus dans leur pays. Parmi ces cas, il y avait seulement 2% d'enfants et d'adolescents de moins de 19 ans dont une très faible part de ces derniers avait développé une forme grave (2,5%) ou critique (0,2%) de la maladie. Il n'y avait aucun décès chez les enfants de moins de 9 ans. Par la suite, les données provenant des différents pays ont confirmé la moindre fréquence de l'infection chez l'enfant (1,2% en Italie, 1,5% en France et 1,7% aux Etats-Unis) et sa moindre gravité. De même en Algérie, 1,6% parmi les cas confirmés étaient des enfants selon les données du ministère de la Santé. Par ailleurs, on pensait initialement que les enfants pouvaient être des transmetteurs importants et jouaient un rôle-clef dans la diffusion du virus. Les données provenant de l'étude de nos cas ont fait état d'une transmission de l'adulte vers l'enfant beaucoup plus fréquente que l'inverse. D'ailleurs, la contamination des enfants a été faite en milieu intrafamilial, c'est-à-dire que les enfants ont été infectés par un adulte vivant sous le même toit. Comment expliquez-vous la rareté et le caractère bénin de la Covid-19 chez l'enfant ? La plupart des études cliniques suggèrent que les enfants infectés par le coronavirus présentent une clinique significativement moins sévère que les adultes. Les données épidémiologiques chinoises et européennes portant sur des milliers de cas n'ont rapporté que peu d'admissions aux soins intensifs. Les décès ne surviennent que dans moins de 1% des cas. C'est l'une des nombreuses énigmes du coronavirus Sars-CoV-2. Plusieurs hypothèses ont été soulevées pour expliquer ce phénomène. L'hypothèse la plus intéressante pour la plus faible gravité de la Covid-19 peut être liée aux récepteurs de ACE2 (véritables portes d'entrée du virus dans les tissus respiratoires). Ces récepteurs semblent présenter chez l'enfant une maturité et/ou des fonctions moins développées que chez l'adulte. Une protection croisée acquise suite à une exposition antérieure à d'autres coronavirus humains, fréquemment associés à des infections bénignes chez les enfants, a également été évoquée comme explication de la moindre gravité chez les enfants. Comme dernière hypothèse, et avec quelques mois de recul, on a l'impression que ce qui fait la gravité de la maladie, ce n'est pas tant le caractère pathogène du virus que la façon dont on réagit à l'infection. Autrement dit, la réaction immunitaire de l'adulte paraît beaucoup plus sévère que chez l'enfant, et finalement inadaptée, face à ce virus qui n'a pas l'air très pathogène. Comment est l'organisation de l'accueil et la prise en charge des enfants suspects ou atteints de la Covid-19 à Sétif ? Tout d'abord, je tiens à signaler que l'arrêt des travaux de réhabilitation du pôle pédiatrique a réduit substantiellement nos capacités d'accueil et d'hospitalisation des enfants malades. Cela nous a incités à mettre en place l'unité Covid pédiatrique à l'hôpital d'El-Bez en collaboration avec la direction du CHU de Sétif et le service de chirurgie infantile et à sa tête le professeur Z. Soualili. Cette unité, créée le 1er avril 2020, a pour vocation l'accueil des enfants pour tout contexte de Covid-19 d'une part et l'hospitalisation des enfants présentant des signes de gravité d'autre part. Elle comporte, outre la salle de tri, une unité d'hospitalisation de quatre lits, encadrée exclusivement par le personnel médical et paramédical. La prise en charge des malades s'est inspirée de l'instruction du ministère de la Santé du 22 avril 2020 portant sur l'organisation de la gestion des cas de Covid-19 chez les enfants au niveau des différents établissements et structures de santé et définissant les principes directeurs pour les mesures de dépistage et de prise en charge thérapeutique des cas de Covid-19 chez les enfants et les nouveau-nés. Durant la période allant du 1er avril 2020 à ce jour, nous avons pris en charge plus de 260 enfants. Il s'agit de cas contacts asymptomatiques de cas intrafamiliaux, et dans la majorité des cas d'enfants présentant une symptomatologie légère, à savoir une asthénie (fatigue), une fièvre, une toux, une infection des voies aériennes supérieures, des diarrhées sans retentissement, mais aussi d'enfants présentant des symptômes sévères ayant nécessité une hospitalisation. Un contrôle rapproché a été planifié pour les patients asymptomatiques, voire ceux présentant des signes légers tout en expliquant aux parents les signes de gravité devant les amener à consulter et même un suivi téléphonique jusqu'à guérison de leurs enfants. L'hospitalisation a concerné une cinquantaine d'enfants dont une vingtaine de nouveau-nés de mères atteintes de la Covid-19. Le seul décès que nous déplorons est un nouveau-né, grand prématuré, des suites d'une détresse respiratoire sévère.
En parlant des mères Covid-19, y a-t-il une transmission materno-fœtale du virus au cours de la grossesse ? Tout d'abord, il ne semble pas que les femmes enceintes soient à risque augmenté d'infection sévère. Cependant, comme lors de toute infection respiratoire – surtout touchant les voies respiratoires inférieures –, les femmes enceintes infectées sont à risque augmenté d'accouchement prématuré et de retard de croissance comme c'est le cas pour l'enfant décédé. Et à ce stade, aucune transmission verticale du Sars-CoV-2, durant la grossesse, n'a été formellement démontrée. Pour les cas signalés, la transmission du virus semble se faire après la naissance. "Kawasaki-like" a fait les gros titres de la presse. Pourriez-vous nous dire quelle est la différence entre cette dernière et la maladie de Kawasaki classique d'autant plus que vous avez enregistré durant ce dernier mois une vingtaine des cas de "Kawasaki-like" ? À vrai dire et en raison des similitudes cliniques avec la maladie de Kawasaki, le terme de "Kawasaki-like" a été initialement utilisé chez ces patients notamment en Italie. Mais très rapidement, l'hypothèse de deux pathologies bien distinctes s'est imposée. La maladie de "Kawasaki-like" diagnostiquée pendant la pandémie de Covid-19 semble différente de la maladie de Kawasaki classique. D'un point de vue clinique, les enfants étaient plus âgés dans la maladie "Kawasaki-like". Ils présentaient, en plus de quelques signes cliniques habituels de la maladie classique, une atteinte multiviscérale avec souvent des atteintes respiratoires et gastro-intestinales, des signes neuropsychiatriques. Ces patients présentaient aussi des atteintes cardiaques ainsi qu'une évolution plus sévère que dans la maladie de Kawasaki classique. En ce qui nous concerne et jusqu'à hier (Ndlr : jeudi 3 septembre) nous avons enregistré 21 cas de cas de "Kawasaki-like". Quelles sont les spécificités des malades hospitalisés depuis juillet au niveau de votre service et quelle est la relation entre la Covid-19 et la maladie de Kawasaki ? Les symptômes décrits chez nos patients sont la fièvre et l'inflammation de plusieurs organes (ganglions dans le cou, éruption cutanée, signes d'inflammation autour de la bouche, mains ou pieds, conjonctivite, nausées, douleurs abdominales...). Des lésions myocardiques plus importantes que chez les patients atteints de la maladie de Kawasaki classique ont été notées chez les patients. Le tiers des enfants a présenté des anomalies radiologiques évocatrices de la Covid-19. Tous les patients ont reçu des immunoglobulines intraveineuses et l'évolution clinique a été favorable dans tous les cas même si quatre patients sont toujours hospitalisés. La plupart des malades avaient des marqueurs d'infection à Sars-CoV-2 (PCR ou sérologie). L'hypothèse d'une corrélation "Kawasaki-like" et coronavirus est appuyée par le fait que les cas de "Kawasaki-like" ont éclaté en pleine épidémie de Covid-19 et qu'ils ont souvent été testés positifs, avec des tests PCR et/ou de sérologie. Une réponse immunitaire aberrante et inadaptée, déclenchée par l'infection à Sars-CoV-2, et qui surviendrait chez des enfants et adolescents génétiquement prédisposés est à suspecter. Cependant, les mécanismes physiopathologiques exacts de ce lien sont encore à expliquer. À l'approche de la rentrée scolaire, pensez-vous que les craintes des parents et des enseignants de voir une propagation importante du virus soient justifiées ? Dans ce contexte, les principaux résultats d'un rapport d'un organisme européen de prévention et de contrôle des maladies s'accordent à dire que le retour des enfants à l'école semble sûr. D'ailleurs, les investigations des cas en milieu scolaire suggèrent que la transmission d'enfant à enfant en milieu scolaire est rare et n'est pas la principale cause d'infection par le Sars-CoV-2 chez les enfants dont l'infection coïncide avec la période de fréquentation de l'école, en particulier dans les écoles maternelles et primaires. Si la distanciation physique et les mesures d'hygiène sont appliquées, il est peu probable que les écoles constituent un environnement de propagation du virus plus favorable que l'environnement professionnel ou de loisirs avec des densités de population similaires. Il faut noter aussi que le contact tracing autour d'un cas dans les écoles et les données d'un certain nombre de pays suggèrent que la réouverture des écoles n'a pas été associée à une augmentation de la transmission communautaire. Sur un autre registre, il est très important de prendre conscience que la Covid-19 est probablement là pour longtemps, ou à tout le moins jusqu'à l'arrivée d'un vaccin efficace. Il n'est pas possible de garder les enfants loin de l'école indéfiniment. Et il faut prendre en compte les risques liés à l'isolement des enfants à la maison. Plus nous gardons nos enfants longtemps isolés, plus les côtés négatifs de l'isolement se manifesteront. Plusieurs centaines d'études ont dans le monde commencé à mesurer les effets psychologiques et cognitifs de la pandémie de Covid-19 sur l'enfant. Elles ont souvent utilisé et adapté des méthodes proches de celles qui avaient été conçues pour évaluer les conséquences de situations de catastrophes naturelles, mais en s'appuyant aujourd'hui sur l'internet ou des applications téléphoniques.