La population de la Kabylie retient surtout de cette visite, préparée et annoncée en grande pompe, la dérobade du chef de l'Etat sur la question de l'officialisation de tamazight. Dans les librairies, c'était la ruée sur les journaux qui, pour la plupart, ont consacré de longs espaces à la visite qu'a effectuée, lundi dernier, le président de la République Abdelaziz Bouteflika à Tizi Ouzou. Dans les transports, les cafés maures et les places publiques, les commentaires allaient bon train sur l'événement de la veille devenu un non-événement le lendemain. Le discours prononcé par Bouteflika n'a visiblement laissé, mis à part chez ses partisans, que déception chez la population de la région qui attendait, dans sa grande majorité, l'annonce de la décision historique de l'officialisation de tamazight et, à un degré moindre, une demande de pardon au nom de l'Etat à cette région qui a fait l'objet de plusieurs vagues de répression depuis l'Indépendance. La population attendait aussi à ce que Bouteflika revienne sur la crise de Kabylie, ses victimes et sa prise en charge, mais aucun mot n'a été soufflé à ce sujet. Et “pour tout ce qu'il a dit d'autre, c'est du déjà entendu”, considère le commun des citoyens. “Bouteflika aurait pu faire un geste envers cette région si c'était une véritable réconciliation qu'il voulait, mais comme son projet de charte vise autre chose que la réconciliation, il a préféré nous servir un discours réchauffé et sans aucune nouveauté ou particularité. Avec sa sortie d'hier, j'ai l'impression qu'il n'a fait que creuser davantage le fossé entre le pouvoir central et cette région”, dira Arezki qui, après avoir fermé son journal, commentait la visite dans un fourgon de transport. Les propos de cet enseignant étaient les mêmes, à quelques mots près, que ceux des citoyens rencontrés. Interrogé sur le même sujet, Roza, fonctionnaire dans une administration, ira jusqu'à qualifier le projet de charte qu'il est venu défendre à Tizi Ouzou “d'absurde”. D'autres évoquent encore, et parfois avec ironie, le dialogue entre les archs et le Chef du gouvernement qu'ils voient désormais comme un échec. “Cela fait des mois qu'on nous annonce l'officialisation de tamazight et que le dialogue entre Abrika et Ouyahia a donné des résultats ; voilà que tout est battu en brèche et que ça prouve que c'était une duperie. Qui va croire maintenant à tout ce qui a été annoncé ?” dira Lyès, un ex-délégué des archs qui a préféré quitter la CADC au lendemain de son éclatement. À l'université Mouloud-Mammeri, c'était hier le retour au calme. Des étudiants dévoraient des yeux les journaux, alors que d'autres discutaient beaucoup plus de l'action de protestation organisée la veille pour empêcher Bouteflika d'inaugurer le projet des 4 000 nouvelles places pédagogiques que du discours du Président. “On ne s'attendait pas à grand-chose de sa part et, d'ailleurs, il n'a rien annoncé de particulier”, dira brièvement un étudiant proche du MDS avant de revenir longuement et fièrement sur l'action de la veille qui a réuni pour la première fois les militants de toutes les tendances : FFS, RCD, MDS et MAK Un membre du comité des étudiants qui a participé la veille au saccage de la pierre inaugurale posée à l'intérieur de l'université, et à l'action qui a contraint Bouteflika à annuler ce point de son programme, ajoutera que “la visite de Bouteflika ne fait que confirmer que la réconciliation dont parle Bouteflika ne concerne pas la Kabylie qui continue à faire l'objet d'humiliation de la part du pouvoir”. La visite de Bouteflika n'a vraisemblablement pas mis fin seulement à la rumeur faisant état de l'annonce de tamazight comme langue officielle, mais aussi à tout espoir pour cette région qui attendait un geste fort de la part du pouvoir qui ne cesse de parler “d'une véritable réconciliation entre les Algériens et du bannissement de l'exclusion”. SAMIR LESLOUS