Nul doute que l'accueil populaire réservé au Président Bouteflika à Tizi Ouzou, même s'il n'a rien de spontané, a été rendu possible à la suite des indiscrétions sur l'officialisation de tamazight qui avaient circulé à la veille de cette visite impensable en d'autres temps. Et il ne pouvait y avoir meilleure occasion pour le chef de l'Etat pour annoncer solennellement la bonne nouvelle à la population locale que sa présence dans cette région historiquement rebelle au pouvoir et qui exprime son mécontentement avec plus de force encore depuis le printemps noir de Kabylie. « Imazighen, Imazighen... » Les mots d'ordre scandés à gorges déployées par des jeunes irréductibles tout au long du meeting organisé au stade du 1er Novembre étaient manifestement destinés à rappeler au chef de l'Etat que le dossier de la revendication de l'identité amazighe est loin d'être clos et que la concession du pouvoir érigeant tamazight langue nationale était insuffisante pour réconcilier l'Algérie avec son histoire et ses racines. Que s'était-il donc passé pour que le Président Bouteflika éludât superbement cette revendication qu'il s'est essayé à contourner en se lançant dans une envolée lyrique empruntée à Chadli Bendjedid martelant par trois fois : « Nous sommes tous Amazighs » et que « c'est l'Islam qui nous a arabisés », espérant par cette confession tardive conquérir le cœur de la population locale ? En passant sous silence cette revendication, Bouteflika a non seulement anéanti les attentes et les espoirs de la population de la Kabylie qui espérait que le vent de la réconciliation allait souffler aussi dans cette région meurtrie, mais il a, dans le même temps, porté un rude coup au climat de confiance laborieusement mis en place entre le gouvernement et l'aile dialoguiste des archs. Le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, qui s'est pleinement investi, aux côtés de Belaïd Abrika, dans la recherche d'une solution à la crise de Kabylie qui ne fait pas le consensus dans la région, se voit ainsi publiquement désavoué par Bouteflika. En refusant de céder sur la question de l'officialisation de tamazight, Bouteflika prend ainsi le risque qui pourrait être lourd de conséquences de voir le dialogue gouvernement-archs emprunter des voies qui remettraient en cause le processus de dialogue engagé. Il reste à savoir si l'intransigeance de Bouteflika sur cette question participe d'une conviction profonde ou si son attitude obéit à des considérations politiques et idéologiques fondées sur la recherche de faux équilibres au sein de la société. Et si le décor (surréaliste ?) planté sous le chapiteau du dialogue à la veille de la visite de Bouteflika en Kabylie n'était destiné qu'à acheter les voix de la population locale et à faire exploser l'applaudimètre ?