La loi de finances 2020 a fixé la deadline sans tenir compte de toutes les entraves. Pour les experts, l'Algérie ne serait prête ni techniquement ni humainement à relever ce défi. Trois mois à peine nous séparent de la fin de l'année qui correspond à l'échéance fixée par la loi de finances pour la généralisation de l'e-paiement. L'article de loi en question vient, ainsi, obliger les commerçants à se doter de TPE (terminal de paiement électronique) et les mettre à disposition de leur clientèle pour payer les prestations en utilisant une carte magnétique, qu'elle soit issue des banques ou celle d'Algérie Poste. C'est dire que le gouvernement tient absolument à encourager la dématérialisation de la monnaie à plus forte raison que le problème de manque de liquidités se pose de plus en plus avec acuité. La crise sanitaire pour cause de pandémie de coronavirus a, quant à elle, mis à nu le retard monstre accusé par l'Algérie dans le domaine et tout le manque à gagner pour le Trésor public qui demeure le grand perdant à cause du marché informel qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Il se trouve que les bonnes intentions ne suffisent pas pour aboutir à des résultats probants. Les spécialistes du domaine des télécoms sont unanimes : "La généralisation de l'e-paiement dans des délais aussi courts est tout bonnement irréalisable." Younès Grar, expert dans le consulting en technologie de l'information et de la communication, est formel : "Soyons réalistes, cette échéance est impossible à réaliser pour la simple raison qu'il n'est pas possible de doter de TPE l'ensemble des commerçants dont le nombre dépasse de très loin le million. C'est un grand marché pour lequel il faudra une grande enveloppe financière puisque, c'est l'Etat qui le prend en charge (le commerçant paye seulement un abonnement de 800 DA/mois) ou alors, il faut penser à les produire localement et, là aussi, cela demandera du temps." M. Grar est aussi convaincu qu'"il y a un travail énorme à faire pour convaincre les commerçants et les consommateurs à se séparer du cash et surtout à faire confiance aux institutions de l'Etat". Il préconise, à ce titre, "des mesures d'intéressements" et recommande "à ce que toute transaction électronique ne soit pas imposable, ne serait-ce que les premières années". Il soutient que "c'est la seule manière d'encourager l'adoption de ce procédé qui servira par la même occasion à lutter contre le marché informel". Pour Mohamed Hadj Tahar Boulenouar, président de l'Association des commerçants et artisans (Anca), "le délai de 3 mois restant pour finir l'année est difficile à concevoir si les conditions ne sont pas réunies pour favoriser la généralisation de l'e-paiement qui, en soi, n'est pas du tout une mauvaise chose". Encore faut-il, pour notre interlocuteur, que "les commerçants soient dotés à temps de l'outillage nécessaire comme il faut les convaincre de l'utiliser". Pour cela M. Boulenouar propose, entre autres, de "mener des campagnes de sensibilisation et de vulgarisation à grande échelle". Créer des sociétés de paiement électronique Pour Farid Farah, enseignant universitaire et consultant en technologie numérique, "il est impossible de généraliser le paiement électronique en si peu de temps avec les conditions technologiques actuelles". Il explique : "Si on adopte le paiement classique comme cela se faisait dans les autres pays dans les années 90, oui, là je pourrai dire qu'on peut y arriver plus vite, mais si l'on veut opter pour le paiement électronique ou le paiement digital ou le m-paiement, comme cela se fait à l'heure actuelle un peu partout dans le monde, il nous faudra d'abord revoir le rôle du gestionnaire de la monétique, à savoir la Banque d'Algérie, et le statut de l'opérateur des télécoms." Il poursuit : "Il nous faut répondre à la question : faut-il permettre à des entreprises d'activer dans la monétique électronique sans avoir l'obligation d'être des banques (sociétés spécialisées dans le service du paiement électronique) ? Car cela change toute la donne." Récemment, l'administrateur du Groupement d'intérêt économique de la monétique (GIE Monétique), Madjid Messaoudène, a révélé que 90 723 opérations de paiement par internet et 121 925 opérations par TPE ont été effectuées entre le 1er janvier et le 30 juin 2019.Le nombre d'opérations de retrait par distributeur automatique (ATM) a, quant à lui, dépassé, durant la même période, 4,8 millions d'opérations. Dans un bilan sur le e-paiement en Algérie, M. Messaoudène a fait également savoir que le nombre des porteurs de carte CIB est de 2,2 millions, alors que celui des TPE ne dépasse pas les 21 359 appareils.