"Honte à vous. Ce sont nos enfants que vous avez mis en prison pendant que les voleurs sont en liberté. Où voulez-vous qu'on aille vivre ? C'est notre terre !" C'est un homme excédé par les arrestations des porteurs de l'emblème amazigh qui s'écrie ainsi, prenant à témoin les manifestants sur la violence de la répression opérée par les services de sécurité, un certain mois de juin de l'année dernière. C'est que Khaled Tazaghart, l'infatigable militant, l'impénitent hirakiste, le fougueux défenseur des droits citoyens, n'arrive pas à trouver d'explication à cette haine soudaine qui s'est installée au plus haut sommet de l'Etat contre tout ce qui se rapporte à l'amazighité. Il a, depuis, fait le serment de sillonner le pays pour marquer sa solidarité avec tous les activistes du Hirak, et pas seulement les porteurs de l'étendard amazigh. Il n'hésite pas à se déplacer à des centaines de kilomètres pour exprimer son soutien à ces militants arrêtés pour avoir manifesté ou participé à quelques manifestations pour réclamer le départ du système. Il ne devait certainement pas ignorer le risque qu'il encourait lui aussi en étant si actif et si présent dans toutes les manifestations pour la défense des causes justes. Il avait déjà été interpellé à plusieurs reprises avant d'être relâché. Mais samedi dernier, quelque chose a sans aucun doute changé. L'homme dérange. Interpellé par les services de sécurité à l'occasion précisément de la marche hebdomadaire de Kherrata, il est placé en garde à vue au commissariat central de Béjaïa pour sa présentation le lendemain, soit dimanche dernier, devant le tribunal d'Akbou. Il écope le jour même d'une condamnation à une année de prison ferme avec mandat de dépôt à l'audience. Khaled savait le risque qu'il encourrait. Il avait démissionné de l'Assemblée nationale début mars 2019. C'était le début du mouvement populaire. Il venait de choisir son camp, celui d'un peuple qui s'est levé comme un seul homme pour dire non à un 5e mandat de Bouteflika. "Je démissionne de l'APN. Mon camp est dans la société, dans son avenir, dans son devenir", avait-il écrit sur sa page Facebook. Le lendemain, c'est dans une vidéo qu'il apparaît pour expliquer son geste que nul autre député, en ces circonstances historiques, n'a eu le courage de commettre. "Je me soumets aujourd'hui à la volonté populaire et je me mets à la disposition des Algériens pour aller pacifiquement vers la construction de la deuxième République et défendre l'Algérie devant tous ceux qui menacent la stabilité du pays et le bien-être des Algériens", a-t-il déclaré. Sa décision et son discours sont vivement salués par les internautes qui mettent en exergue autant son ardeur militante que sa maturité et son sens de la responsabilité. Deux caractéristiques propres aux militants politiques, découlant d'une formation de base des plus solides. Khaled est aussi issu d'une famille de révolutionnaires. Il compte, en effet, deux frères chouhada de la guerre de Libération nationale. Il a donc de qui tenir. Lors des marches du Hirak, c'est à Alger qu'il préfère battre le pavé, le drapeau national et l'emblème amazigh sur les épaules. Pour lui, les deux étendards ne sont pas antinomiques. Loin s'en faut. "L'algérianité est inséparable de l'amazighité et vice-versa", aimait-il répéter, comme pour répondre aux voix inquisitrices qui ont émergé depuis juin 2019 avec pour seul ennemi à abattre : l'amazighité. Son identité ? C'est une ligne rouge sur laquelle il ne faut pas le chercher. C'est que pour lui, c'est le combat de la vie qui vaut d'être mené. Très jeune, d'ailleurs, il s'est forgé une âme de militant. Mais c'est à l'université de Bouzaréah où il a étudié la philosophie, au début des années 90, qu'il donne libre cours à son énergie débordante. Bravant, comme tous les autres militants du Mouvement culturel berbère (MCB), les risques liés à la répression d'un pouvoir resté ancré dans le moule de la pensée unique, Khaled est aux premières lignes du combat identitaire, prenant part à toutes les manifestations en faveur de la revendication. Militant actif du Front des forces socialistes, dont il avait été élu, en 2012, député de Béjaïa, il n'hésite pourtant pas à claquer la porte du parti, deux ans plus tard. S'ensuivra un périple nomadique qui l'amènera dans un premier temps au Forum socialiste, une sorte de structure hybride, mi-politique, mi-sociale, rassemblant des militants dissidents de différents partis politiques. Moins d'une année après, il migre avec certains de ses compagnons vers le Front El-Moustaqbel d'Abdelaziz Belaïd. Et c'est sur la liste de cette formation qu'il décroche une deuxième mandature à l'APN, lors des législatives de 2017. Le discours ambivalent du parti sur la question identitaire le pousse à rompre tout lien organique avec cette formation. Ses coups de gueule très fréquents, que ce soit dans ses interventions à l'Assemblée nationale, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, ont fini de façonner chez lui l'image d'un rebelle qui ne badine pas avec les principes. Ce qui lui vaudra une popularité à faire rougir de jalousie n'importe quel homme politique. Khaled est âgé d'à peine 52 ans, mais ses cheveux grisonnants et sa barbe poivre et sel et fournie lui en donnent facilement 10 de plus. Conséquence logique d'une vie dédiée à la militance. Mais loin de l'avoir usé, cet engagement permanent l'a, bien au contraire, ragaillardi.