Nouvelle feuille de route du secteur énergétique national, crise pétrolière, rôle de l'Opep... autant de questions sur lesquelles M. Attar a accepté de revenir, dans cette interview exclusive qu'il a accordée à Liberté. Liberté : vous avez récemment décliné une nouvelle feuille de route pour la relance du secteur énergétique national. Quels en sont les priorités et qu'est-ce qui justifie une nouvelle stratégie de redéploiement en ce contexte précis ? Abdelmadjid Attar : Ce qui la justifie est très simple et connu de tout le monde : baisse des réserves, baisse de la production, baisse des revenus d'exportation, augmentation de la consommation énergétique nationale. Alors, au lieu de rechercher une solution ou un palliatif à chacun de ces volets, nous avons opté pour une stratégie très simple qui tient compte d'abord des incertitudes économiques mondiales, des urgences internes à court terme auxquelles il faut absolument faire face et de la nécessité de gérer nos ressources et leur usage de façon complètement différente dans l'immédiat et au-delà du moyen terme. C'est ce qui est le plus important d'ailleurs, parce que les incertitudes relatives à une éventuelle relance économique mondiale, à laquelle est malheureusement lié le marché pétrolier, et même si on envisage une solution à la pandémie actuelle en 2021, vont entraîner de profondes mutations des modèles économiques de développement. Dans une situation pareille, notre stratégie s'inspire tout simplement du programme du gouvernement. Elle consiste dans l'ordre à préserver les capacités de production actuelles d'abord, mais réduire les coûts de production et les charges inutiles, à assurer l'approvisionnement du pays en énergie (électricité et gaz naturel surtout) et donner la priorité aux usagers créateurs d'emplois et de richesses, à participer à l'effort d'économie d'énergie et de recours aux énergies renouvelables, axe stratégique très important qui est du ressort d'un nouveau ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables, à réorganiser le secteur des hydrocarbures dans le cadre de la nouvelle loi pétrolière, et d'une politique de partenariat compétitive, pour assurer à moyen terme la valorisation des productions, renouveler nos réserves et à assurer la sécurité énergétique à long terme. En particulier et en urgence dans l'adaptation de l'outil raffinage pour augmenter la production de carburants et réduire les importations, puis les arrêter. Chacun de ces axes se traduit par un programme ou des actions concrètes, avec des échéances précises. L'enjeu premier pour l'Algérie est sans doute de relancer sa production déclinante d'hydrocarbures. Quel est aujourd'hui l'état des grands gisements du pays et qu'en est-il des perspectives de nouvelles découvertes à court et moyen termes ? Il faut reconnaître que nos plus grands gisements ont été malmenés depuis deux décennies par un soutirage accéléré, mais hélas non accompagné de mesures de conservation et de rénovation des techniques d'exploitation. La responsabilité ne relève pas du ressort des techniciens et des ingénieurs algériens sur le terrain auxquels il faut rendre hommage quand même, mais elle est due au retard dans la rénovation des techniques d'exploitation et à l'absence d'initiatives en matière d'amélioration des taux de récupération, d'une part, et de développement avec mise en production rapide des nouveaux gisements découverts même s'ils sont de petite taille, d'autre part. Il s'agit de réserves prouvées, parfois probables, mais qui sont là, et ne nécessitent que de simples initiatives parfois d'ordre managérial seulement en matière de suivi de l'état des puits en production et à l'insuffisance du renouvellement des réserves par l'effort d'exploration qui a fini petit à petit par être consenti par Sonatrach seule, le partenariat étant pratiquement découragé par la législation et la bureaucratie en vigueur. Ce sont deux chantiers importants que nous sommes décidés plus que jamais à faire avancer dans les meilleurs délais, et je dois vous dire que les instructions du président de la République sont très claires à ce sujet. Le rabotage drastique décidé par les pouvoirs publics sur les dépenses de Sonatrach n'est-il pas de nature à limiter encore davantage ses capacités d'investissement et d'exploration pétrolière et gazière ? Ma lecture des instructions du président de la République, ou encore de leur objectif, n'est pas du tout la même que la vôtre. Il est question de supprimer les dépenses et les charges inutiles, et croyez-moi qu'il y en a, de réduire les coûts d'exploitation, et là aussi, il y a des économies à faire, de privilégier l'intégration nationale, surtout en matière de sous-traitance dans tous les domaines, pour réduire les importations, de différer légèrement et à court terme les investissements qui n'ont aucun impact immédiat sur les capacités de production ou de valorisation, de privilégier le partenariat en matière d'exploration et de grands projets structurants pour alléger le poids en matière d'investissement sur Sonatrach et de réorganiser et centrer les activités de Sonatrach sur ses métiers de base, avec des règles d'éthiques universelles. Vous avez déclaré récemment être disposé à travailler avec la nouvelle loi sur les hydrocarbures sans être réellement convaincu par sa portée et son contenu. Quels sont les bons et les mauvais points de cette loi ? Ce n'est pas la loi qui ne m'a pas convaincu, c'est le retard dans la préparation des 43 décrets d'application qui m'inquiétait quand j'avais fait cette déclaration. Sans ces décrets, la loi est inopérante. Depuis, je dois vous préciser que le ministère a mis en place en urgence un véritable groupe de choc pour le rattraper. Nous sommes en train de mobiliser pas moins de 70 cadres de haut niveau organisés au sein de 7 groupes de travail et un comité de pilotage, qui travaillent presque en continu, y compris les week-ends pour finaliser ce chantier. 25 décrets exécutifs ont pu être préparés en moins d'un mois et demi. Le reste sera finalisé avant la fin de l'année, et nous pourrons alors entamer une large campagne de promotion du partenariat aussi bien en amont qu'en aval. Tous ces cadres proviennent des services du ministère, des agences nationales (Alnaft, ARH, Creg) et Sonatrach. J'ai même pris l'initiative d'associer et de faire appel à d'anciens cadres du secteur des hydrocarbures, ayant une expertise reconnue, qui nous aident beaucoup, et j'en profite pour les remercier. Ce n'est qu'un petit effort d'intégration nationale pour démarrer en matière d'appel à notre expertise, et j'espère qu'il survivra. La nouvelle loi sur les hydrocarbures inspire certaines méfiances et réticences quant à la question de la souveraineté du pays sur ses richesses naturelles et son sous-sol. Qu'en est-il dans le fond ? Il n'y a absolument aucune crainte à ce sujet pour plusieurs raisons. D'abord, parce que la loi est conforme aussi bien à l'ancienne qu'à la nouvelle Constitution, à savoir que les richesses du sous-sol sont et seront toujours la propriété de la collectivité nationale. En effet, 75% de la production actuelle en pétrole et en gaz sont assurés par Sonatrach seule à partir d'environ la même proportion des réserves contrôlées par elle. La nouvelle loi sur les hydrocarbures n'est pas rétroactive, d'une part, et ne s'appliquera que pour les futures découvertes, d'autre part. Et même quand elle permet aux partenaires de basculer un contrat de partenariat existant vers la nouvelle loi, cela ne concernera que les réserves restantes en partenariat et leur production, sachant aussi que leur part de production dans ces dernières est dans tous les cas inférieure à 49%, ce qui correspond en général à une moyenne de 20 à 25% maximum de la production totale à titre de rémunération et amortissement. Le partenariat a été bénéfique au cours des années les plus difficiles (1990-2000) et a contribué au renouvellement des réserves sans remettre en cause cette souveraineté. Il n'a pas pu donner les mêmes résultats au cours des deux dernières décennies, aussi bien en amont qu'en aval, pour des raisons d'instabilité juridique et managériale, mais aussi à cause d'un contexte économique mondial défavorable, aggravé par un manque de compétitivité de notre pays. Il est parfaitement possible de rattraper ce retard, sans aucun risque sur la souveraineté nationale. Quels changements de fond comptez-vous opérer pour remodeler la gouvernance et les modes de gestion de la compagnie nationale Sonatrach, longtemps secouée par des affaires de corruption et d'instabilité managériale ? Les changements doivent découler de la stratégie évoquée précédemment, et des objectifs fixés par le gouvernement. Il est peut-être un peu trop tôt pour en parler, parce que cela dépendra aussi de l'audit en cours au niveau de l'entreprise. Mais une chose est sûre, il va falloir protéger Sonatrach et Sonelgaz et renforcer leur rôle dans la relance du développement économique du pays. Mais dans tout cela, c'est le volet humain qui est primordial : compétences, intégrité, attachement à son entreprise, éthique, gestion de carrière équitable. Quand les cadres sont compétents et mobilisés, le reste vient avec, sans problème. L'Algérie pourra-t-elle réellement survivre plus d'une année avec un prix du baril de pétrole à moins de 60 dollars, dans l'état actuel de ses finances publiques et du manque de compétitivité de son économie en dehors des hydrocarbures ? L'Algérie peut et doit survivre avec un baril à 60 dollars ou moins. À mon avis, il ne faut plus se poser ce genre de question à l'avenir, et agir d'abord pour décider de ce que nous devons faire progressivement à court et moyen termes pour sortir de cette dépendance de la rente pétrolière. Le président de la République a déjà fixé un objectif de réduction de 20% de cette dépendance à court terme et le secteur de l'énergie a sa part à fournir à travers la valorisation de sa production d'hydrocarbures et la fourniture d'énergie pour les secteurs productifs d'emplois et de nouvelles richesses. L'Opep et la Russie ont plus ou moins permis d'empêcher une dégringolade des plus sévères des prix du pétrole. Le poids et le rôle de cette alliance fragile sont-ils toujours d'actualité ? Sans cette alliance Opep-non-Opep, nous aurions eu affaire à un marché très instable et probablement en dessous du niveau actuel. Il est vrai qu'il est, par ailleurs, très lié à la récession économique mondiale dont il faut évoquer même celle de 2008, à tel point qu'il faut se demander si ce n'est pas la hausse qui a suivi entre 2009 et 2013 à plus de 100 dollars le baril qui est anormale, et a entraîné de profondes mutations dans les échanges, les stratégies et modèles de consommation énergétique à travers le monde. Ajoutez toutes les crises et instabilités géopolitiques qui secouent le monde depuis deux décennies, ainsi que la pandémie, et vous constaterez qu'il est vraiment difficile de faire des prévisions en ce moment, du moins à court terme. Malgré tout cela, l'accord Opep+ mis en œuvre le 1er mai 2020, et son respect globalement, notamment par les plus gros producteurs que sont l'Arabie saoudite et la Russie, ont permis aux prix de remonter autour de 40 dollars le baril pour le moment. Cette alliance est encore nécessaire et doit absolument se poursuivre si on veut éviter de rentrer dans une période d'absence totale de vision sur le court terme surtout. Les perspectives d'un retour à des prix pétroliers proches de 60 dollars s'éloignent à nouveau. À quel scénario réaliste de prix du baril faut-il s'attendre pour 2021 ? Pour le moment, il est vrai que le monde entier ne suit en premier qu'une éventuelle fin de pandémie, suivie d'une reprise de la demande mondiale. Mais ce n'est pas suffisant à mon avis, car d'autres paramètres qui découlent aussi du rythme et du mode de cette reprise vont certainement empêcher les prix de revenir rapidement au niveau connu en 2019 et probablement pas ou jamais à celui de 2013. Il faut compter aussi sur la compétition entre producteurs, surtout pour le gaz naturel dont le marché est en train de muter rapidement vers un marché spot en très grande partie. Dans des conditions aussi incertaines, la moyenne des plus grands analystes prévoit un prix moyen de 40 dollars le baril en 2020 et 50 à 60 dollars pour 2021. L'Algérie a-t-elle aujourd'hui les moyens financiers et opérationnels de mettre en œuvre de grands projets dans le domaine des énergies renouvelables ? Elle en a plutôt l'obligation, et c'est la raison pour laquelle, le président de la République a décidé de créer un ministère dédié à la Transition énergétique et aux Energies renouvelables. C'est un chantier énorme qui s'inscrit dans le cadre d'une transition énergétique globale, qui nécessite, certes, beaucoup de moyens financiers, mais surtout une nouvelle vision, démarche et conception de programmes et d'actions, avec un regard sur les progrès technologiques et expériences d'autres pays. La transition énergétique et particulièrement pour démarrer l'économie d'énergie est l'affaire de tous, du citoyen au gouvernement dans sa totalité. Quand j'avais cité récemment Désertec en parlant des anciennes conceptions de 2010, beaucoup ont cru que je parlais de l'abandon des énergies renouvelables. Pas du tout voyons, car il s'agit d'une priorité en matière d'énergie. Mais je pense que mon collègue responsable de ce secteur en sera un meilleur avocat. Entretien réalisé par : Akli Rezouali