Dans cette interview, Mme Aubert fait le point sur l'action du CICR en Algérie mais aussi dans la région secouée par les conflits (Libye et Mali). Elle estime que "la nature des conflits armés contemporains, l'application et le respect du Droit international humanitaire, les nouvelles technologies, la multiplication des groupes armés non étatiques sont autant de défis à relever notamment ces dernières années." Liberté : Le Comité international de la Croix-Rouge est de plus en plus sollicité pour apporter son aide aux populations en crise. Comment travaille le CICR dans ce contexte de multiplication des zones de conflits à travers le monde ? Valérie Aubert : La spirale des conflits armés et de la violence se poursuit dans la plupart des régions du monde et les civils sont les principales victimes des violations du Droit international humanitaire (DIH) et les dernières attaques contre des civils dans le Haut-Karabakh en sont la preuve. La nature des conflits armés contemporains, l'application et le respect du Droit international humanitaire, les nouvelles technologies, la multiplication des groupes armés non étatiques sont autant de défis à relever notamment ces dernières années. Pour y faire face, le CICR mène son action humanitaire d'une manière impartiale, neutre et indépendante, comme cela a été fait pour le rapatriement des 1 000 détenus yéménites. Cette approche lui permet d'avoir plus de chances d'être accepté dans une situation de conflit armé ou une autre situation de violence, notamment face aux risques de polarisation et de radicalisation des acteurs. En Libye, le CICR active en tant qu'intermédiaire neutre. Il a une valeur ajoutée dans les activités de protection de la population civile, principalement envers les personnes détenues. À cet égard, l'intégration de moyens politiques, militaires et humanitaires telle que préconisée par un certain nombre d'Etats est un défi majeur pour le CICR qui continue toujours à mener un dialogue bilatéral et confidentiel avec chacune des parties au conflit à l'exemple de ce qu'il fait au Mali, en Libye, en Syrie et dans d'autres pays en proie aux conflits armés. Nous essayons d'être le plus proche des personnes touchées par la violence, afin de mieux comprendre ce dont elles ont besoin et tenter d'apporter des solutions. Avec la pandémie de Covid-19 qui a entraîné la fermeture des frontières, a-t-il pu opérer normalement ? Quelles sont vos principales actions en cette période de crise sanitaire ? La pandémie de Covid-19 constitue un défi majeur pour les pays déjà en proie à la guerre, où les infrastructures médicales sont en ruine, où d'innombrables personnes déplacées vivent dans des camps surpeuplés, et où les ressources vitales telles que l'eau potable, le savon et les médicaments font défaut. Le CICR a adapté ses programmes existants à la nouvelle réalité en veillant à ce que la pandémie soit intégrée et prise en compte dans toutes nos actions. Pour les lieux de détention, nous aidons les autorités détentrices à prévenir et à maîtriser la pandémie tout en préservant la dignité et le respect des droits des détenus. Nous avons renforcé le soutien aux infrastructures essentielles telles que l'hygiène, la désinfection et l'assainissement. Nous avons assuré la continuité dans les hôpitaux les plus touchés que nous soutenons dans le monde via la fourniture d'équipement, de ressources financières et la formation de personnel. Au Mali, nous avons fourni des produits d'hygiène et de nettoyage pour 17 maisons d'arrêt. Nous avons également apporté un soutien à plusieurs structures de santé comme la mise en place de système de prévention et de contrôle des infections, les donations de produits d'hygiène et de protection et un appui psychologique pour le personnel médical. Dans d'autres contextes, nous soutenons et renforçons l'appui existant aux sociétés nationales (Croix-Rouge et Croissant-Rouge) pour répondre à leurs capacités opérationnelles, surtout dans le domaine de la prévention par des campagnes de sensibilisation au respect des règles et des mesures d'hygiène et de sécurité ou encore dans le domaine de la santé mentale. Quid de votre mission en Algérie ? Dès le début du mois de mars, le CICR à Alger a réadapté ses programmes. Nous avons apporté notre soutien financier au Croissant-Rouge algérien (CRA) et à la Direction générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR) dans leur réponse à la pandémie. Concernant notre partenariat avec le CRA, nous avons mis en place un fonds spécial d'aide aux volontaires infectés par le virus durant l'exercice de leur mission ainsi que la prise en charge d'une assurance maladie et accident. Nous avons aussi contribué à l'acquisition du matériel de sécurité et de protection pour les volontaires ainsi que des denrées alimentaires pour les populations vivant dans des zones touchées par le Covid-19. En ce qui concerne nos visite aux établissements pénitentiaires, nous les avons suspendues temporairement afin de respecter les mesures de prévention prises par les autorités et ainsi contribuer à la préservation sanitaire de la population carcérale de cette pandémie. Néanmoins nous avons participé aux efforts de prévention en fournissant des machines à coudre qui serviront à la confection de masques de protection de certains établissements pénitentiaires. Maintenant que la situation liée à la pandémie s'améliore, en collaboration et en accord avec les autorités algériennes, nous sommes sur le point de reprendre nos visites aux personnes détenues. Nous renouvelons notre soutien à la DGAPR pour un éventuel support dans la lutte contre la pandémie dans le milieu carcéral. Au total, le CICR a mobilisé 300 000 dollars. Pour ce qui est de la mission du CICR à Tindouf, malgré la suspension, en mars 2020, des activités à cause de la pandémie au Centre de réhabilitation physique pour les personnes handicapées physiques sahraouies, le CICR a apporté un soutien aux autorités sanitaires à Rabouni, dans leur lutte contre la propagation de la pandémie à travers la fourniture de matériel de protection et de désinfection ainsi que du matériel médical. Il également contribué à l'effort de prévention à travers des posters destinés à la préservation et à la désinfection des appareillages orthopédiques et la diffusion de vidéos de prévention destinées aux personnes avec des besoins spécifiques. Le 11 octobre, le Centre a pu rouvrir pour accueillir à nouveau ses patients, dans le respect des protocoles sanitaires mis en place. Que fait le CICR en direction des migrants surtout depuis l'apparition du Covid-19 ? Le Comité déploie ses activités en faveur des migrants vulnérables et leurs familles essentiellement dans des zones touchées par un conflit armé ou d'autres situations de violence. Il se tient prêt en tout temps à fournir aux sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge des conseils techniques et un soutien opérationnel dans des domaines relevant de ses compétences, tels le rétablissement des liens familiaux, les visites aux migrants détenus et l'élucidation du sort des personnes disparues. À travers le monde, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge collabore afin d'aider les migrants ou leurs proches à retrouver ou à maintenir le contact entre eux. En Algérie, le CRA traite les cas des personnes qui cherchent leurs proches sur le territoire algérien et transmet aux différentes sociétés nationales, par exemple la Croix-Rouge espagnole, la Croix-Rouge italienne, entre autres, les demandes concernant des Algériens partant vers l'étranger. Ces services continuent à être disponibles en temps de Covid-19, tout en assurant les mesures barrières pertinentes. C'est un service qui n'a jamais cessé de fonctionner durant la pandémie, dans le strict respect des barrières sanitaires. Le CICR fournit aussi des services de rétablissement et maintien de contact familial pour les ressortissants étrangers détenus en Algérie pendant ses visites aux établissements pénitentiaires. Depuis le début de cette année, le CICR a facilité le contact familial pour plus de 100 détenus étrangers en Algérie. Ce service sera à nouveau offert dès la reprise de nos visites des lieux détention. Avec le manque de financement dû à la crise, disposez-vous de suffisamment de ressources pour assurer pleinement vos missions ? Il est vrai que nous ressentons une pression qui s'exerce sur nos ressources et cela ne cesse de s'accentuer. Pour y faire face, le CICR a fait un appel à 1,2 milliard de francs suisses (1,24 million de dollars) pour assurer sa mission dans les lieux de conflit et de violence, soutenir les installations médicales et plus particulièrement dans les lieux de détention, ainsi, limiter la propagation parmi les personnes déplacées et les détenus et assurer un meilleur accès aux soins médicaux. Il s'agit également de continuer à soutenir nos partenaires naturels, le Croissant-Rouge, dans leur réponse. C'est aussi tout le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui lance un appel à 3,1 milliards de francs suisses (3,19 milliards de dollars) pour intensifier sa réponse d'urgence afin de freiner la propagation rapide du Covid-19 et d'aider les personnes les plus vulnérables dans le monde. À quel type de difficultés le CICR est confronté, surtout dans les pays en guerre, comme la Libye, le Yémen et la Syrie ? Les pays en guerre demeurent des contextes instables et, à ce titre, la sécurité et la sûreté de notre personnel restent notre principale préoccupation à l'exemple du Mali où la situation sécuritaire est volatile, avec des risques d'enlèvement, d'actes de braquage et de présence d'engins explosifs, tout cela limite l'accès de nos équipes aux communautés touchées par le conflit. Elles sont obligées de restreindre leur rayon d'action et leur capacité de réponse, avec un impact sur les conditions de vie des personnes qui dépendent de l'assistance humanitaire. Grâce à des efforts de mise en réseau et d'établissement de relations avec les autorités civiles, militaires, la société civile et les groupes armés non étatiques à l'exemple de la Libye, du Yémen et de la Syrie, le CICR apporte son soutien aux communautés. Il nous faut aujourd'hui aussi prendre en compte le changement climatique et les conflits qui obligent les personnes à abandonner leur foyer, perturbent la production et l'approvisionnement des denrées alimentaires, favorisent la survenue des maladies et de la malnutrition, et appauvrissent les services de soins de santé. Nous faisons également face à d'autres défis tels que l'urbanisation de la guerre, les nouvelles technologies de guerre, les besoins des civils dans des conflits, les groupes armés non étatiques, le terrorisme et la lutte contre le terrorisme, le changement climatique, l'environnement et les conflits armés. Comment agit le CICR dans les zones occupées par des groupes armés pour apporter son assistance aux populations en détresse ? Les groupes armés non étatiques sont des acteurs incontournables d'une situation donnée : en combattant, ils causent des dégâts, blessent, tuent ou détiennent des personnes. Ils peuvent eux-mêmes être blessés ou détenus. Le CICR maintient ainsi autant que faire se peut le dialogue avec eux afin de garantir un accès sûr pour ses équipes et aux populations touchées par la violence et promouvoir auprès d'eux le respect des règles de droit.