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De la nécessité de fusionner les banques publiques
Contribution
Publié dans Liberté le 03 - 12 - 2020


Par : Mourad Goumiri
Economiste
En 1982, je fus désigné — malheureusement — par le ministre de l'époque, président de la commission de restructuration organique du secteur des finances. Il s'agit de l'opération de restructuration organique de toutes les entreprises publiques, menée par le CNRE, sous l'autorité du très puissant MPAT et de son non moins puissant ministre A. Brahimi.
C'est pour moi, encore aujourd'hui, l'œuvre la plus puissante de destruction du secteur public tout entier ! En effet, cette opération va consister à atomiser les entreprises publiques en "entités plus petites", sous le prétexte fallacieux de les rendre plus faciles à gérer ! "Small is beautiful" pour reprendre l'expression anglaise consacrée à cette époque. En réalité, certaines entreprises publiques avaient atteint une taille respectable tant au niveau national qu'international, ce qui se traduisait, pour leurs dirigeants, à les élever à un statut plus important que celui de simple gestionnaire et à leur conférer une liberté d'action hors de la tutelle administrative qui les étranglait par diverses injonctions et autres directives. Pour le "pouvoir politique" du moment, c'était intolérable et il fallait y remédier par un subterfuge dénommé la restructuration organique, au sein duquel s'étaient nichés les courants d'extrême gauche, trahissant ainsi leurs idéaux fondamentaux de préservation du secteur public.
Ainsi, le dépeçage devait être systématique et sans exception, secteur par secteur et pour couronner le tout, chaque secteur devait proposer son propre schéma de "restructuration" et le présenter au Conseil national qui, bien entendu, disposait de la décision finale... En matière de cynisme, on ne peut faire mieux ! Toutes les grandes entreprises dites "Sona... quelque chose" et même les moyennes y sont passées : dans le secteur de l'industrie et de l'énergie, Sonatrach, Sonelgaz, Sonacome, SNS, Sonarem, Sonic, ENPC, Soneric, Sonitex, Enie. Dans le secteur des services, Air Algérie, SNTR, Cnan, SNTF, Onaco, Onama, Ofla, Sonatour, Onab. Dans celui du bâtiment et des travaux publics, Sonatro, Sonatiba, DNC-ANP, Sorecal. Et dans des manufactures, Sonipec, Sogedia, Enap, Emac, Enal, SNTA, Snat. Alors qu'à cette époque l'économie mondiale restructure les entreprises en multinationales et en gros trusts, par des fusions-acquisitions, absorptions, ententes, opérations boursières..., de manière à présenter des capacités technologiques et des surfaces financières en mesure de faire face à la concurrence internationale et pour emporter des parts de marché de plus en plus grandes, avec des arrière-pensées monopolistiques, notre pays décide, à contre-courant de l'histoire économique mondiale, d'atomiser ses entreprises publiques en les fragilisant par la taille ! Mais l'acte le plus criminel de cette opération est certainement celui d'avoir séparé les bureaux d'études et autres centres de recherche de leurs donneurs d'ordre, éparpillant ainsi irrémédiablement notre matière grise et le know how accumulés durant des décennies de la période pré-industrielle, au profit des bureaux d'études étrangers.
Mises en concurrence déloyale avec le marché mondial, ces ressources humaines vont dépérir ou faire le bonheur des multinationales qui vont les récupérer à moindre coût et surtout sans avoir dépensé le moindre dollar pour leur formation de base et leur background. S'agissant du secteur financier, j'avais défendu, auprès du CNRE, avec le groupe de travail constitué de banquiers, le maintien du statu quo, arguant le fait que la spécialisation des banques par secteur d'activité était déjà actée et que scinder ex nihilo les banques existantes ne pouvait qu'appauvrir la présence du réseau bancaire au niveau du territoire national et sa capacité à mettre en œuvre ses métiers de base à savoir l'octroi des crédits, la mobilisation de l'épargne et enfin le conseil. Je fus mouché énergiquement par le président du CNRE et ses membres et mon schéma rejeté. En outre, une demande indirecte fut ordonnée à mon ministre pour me décharger du dossier.
Le résultat de ce rapport de force fut la création ex nihilo de deux banques additionnelles (Badr et BDL) et d'une compagnie d'assurances de plus (Caat). L'analyse bilancielle des banques publiques est plus que préoccupante, à part la BEA qui a pour client majeur le groupe Sonatrach. Et la bancarisation des ressources en numéraire est très faible (quelque 5 000 milliards de dinars sont hors banques soit 30% de la masse monétaire en circulation). Tant dans la représentation territoriale que dans l'activité intermédiation elle-même et de la qualité du service (informatisation et monétique), il nous paraît clair que l'intermédiation financière reste faible qualitativement (important taux de crédits toxiques) et quantitativement (crédit à l'économie) malgré les subventions publiques (bonifications des taux d'intérêts débiteurs).
Il ne faut pas se tromper de cible de politique monétaire, il ne s'agit donc pas de rendre disponible le cash comme le défendent certains mais bien au contraire de le bancariser, ce qui est une toute autre affaire. Il reste cependant à signaler que les banques publiques représentent 80% des crédits à l'économie, alors que la quinzaine de banques privées internationales et mixtes agréées, seulement 20%. Cette situation structurelle héritée mérite que l'on se penche sur le problème et que l'on lève les obstacles qui nous amènent à ce paradoxe. Il est donc temps de réparer ce qui a été détruit par la restructuration organique dans le secteur monétaire et financier en reconstruisant un schéma bancaire avec deux banques publiques par absorption des actifs des trois autres.
Cette fusion a pour objectifs principaux d'accroître la surface financière des deux futures institutions financières, d'augmenter leur représentation territoriale et d'agrandir le réseau (il y a seulement 1 664 agences bancaires de différents niveaux actuellement) à moindre coût, d'introduire la normalisation et la standardisation des activités bancaires, d'intensifier l'informatique et la monétique, de redéployer les ressources humaines et de les optimaliser. Aller vers un changement radical et non pas se contenter de mesurettes, nécessite une décision politique au plus haut sommet de l'Etat, afin de mettre sur les rails du changement le secteur monétaire et financier, qui en a tant besoin.


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