Organisé dans un climat politique extrêmement tendu et après neuf mois d'insurrection citoyenne, le scrutin présidentiel du 12 décembre 2019 a-t-il tenu ses promesses ? Lorsque des millions d'Algériens sont sortis, dès février 2019 pour dire non au 5e mandat de Bouteflika et réclamer un changement du système, personne n'imaginait que le pouvoir en place allait réussir, neuf mois plus tard, à imposer par la force une feuille de route qui a conduit à l'élection présidentielle du 12 décembre 2019. Malgré un taux de participation extrêmement faible et des manifestations de rue, Abdelmadjid Tebboune est porté au pouvoir. Retour sur une élection organisée à marche forcée. Lors de la sortie massive des Algériens le 22 février 2019 pour s'opposer à l'éventualité d'un cinquième mandat présidentiel pour Abdelaziz Bouteflika, dans un premier temps, puis pour réclamer le changement de tout le système de gouvernance, dans un deuxième temps, le commandement de l'armée se cherchait une voie : entre donner l'impression d'accompagner le changement et sauvegarder le système. Ahmed Gaïd Salah, puissant chef de l'armée, voulait les deux. Il imposera la feuille de route du pouvoir. Mais avant de parvenir à une élection présidentielle, les décideurs voulaient à tout prix faire cesser les manifestations. Le choix est cornélien. Mais la recette semble être trouvée. Tout en évitant l'affrontement avec la population qui continue de sortir massivement dans la rue, le pouvoir commence par montrer des signes d'agacement et d'agressivité. Il tente alors de diviser le mouvement en créant un mouvement de panique dans le but de tenir l'élection "dans le cadre constitutionnel" le 4 juillet, date de l'expiration du délai des trois mois que la Constitution accorde au chef de l'Etat par intérim. Pour cela, le chef de l'état-major de l'ANP de l'époque, qui cumulait les fonctions de vice-ministre de la Défense nationale, se lance dans un interminable périple à travers le pays, s'adressant aux Algériens à partir des casernes. L'homme alterne les louanges au peuple, l'évocation du sacrifice des moudjahidine et des menaces à tout-va. Il éclipse les autorités civiles et se montre de plus en plus directif dans ses adresses aux Algériens. "L'objectif du peuple algérien, soutenu par son armée, est d'asseoir les bases d'un nouvel Etat national, qui sera dirigé par le président élu jouissant de la confiance du peuple et qui lui accordera la légitimité populaire", disait-il. Malgré le maintien de la mobilisation populaire, il continue de déclarer son soutien aux "institutions de l'Etat" et menace ceux qui risquent de perturber la présidentielle prévue, dans un premier temps, pour juillet, puis pour celle de décembre. "La loi sera appliquée avec toute la rigueur requise, à l'encontre de toute personne qui tente d'entraver ce processus électoral décisif ou d'influencer (...) la conscience du peuple algérien et son empressement à participer massivement", menaçait le chef de l'armée. Les arrestations se multiplient et les pressions sur les médias, notamment audiovisuels, s'accentuent. Haro sur le Hirak Malgré cela, le pouvoir s'est rendu à l'évidence : l'organisation de l'élection présidentielle de juillet devient impossible. Il change de stratégie et annonce la création d'un "Panel de dialogue" national que chapeaute Karim Younès, ancien président de l'Assemblée populaire nationale. Durant tout l'été, l'ancien ministre tente de tenir des réunions publiques, contacte les partis politiques — en dehors des anciens partis du pouvoir — et organise des réunions. L'objectif assigné au Panel est simple : réunir le cadre politique et réglementaire pour la tenue d'une élection présidentielle, seul projet du pouvoir durant l'été 2019. Cela ne prend pas. Aucune personnalité importante du Hirak, ni un parti de l'opposition n'accepte de discuter avec le groupe du dialogue. Et devant l'impasse, Ahmed Gaïd Salah, aux manettes malgré l'existence d'Abdelkader Bensalah comme façade du pouvoir, s'agace. "C'est l'ancien chef d'état-major au sein de l'Armée nationale populaire, feu Ahmed Gaïd Salah, qui a décidé quel rôle allait jouer le Panel de médiation et de dialogue mené par Karim Younès", confirme Fatiha Benabbou, constitutionnaliste et membre du panel, dans une déclaration à Radio M. Le général enjoint les autorités d'annoncer "avant le 15 septembre" la date de l'élection présidentielle qui "aura lieu avant la fin de l'année". Abdelkader Bensalah n'avait qu'à s'exécuter. Le 12 septembre, il annonce l'élection présidentielle pour le 12 décembre. Dans l'intervalle, une Autorité nationale indépendante des élections (Anie) est créée en remplacement de la commission électorale, dissoute, malgré son caractère constitutionnel. Devant la persistance de la contestation, le pouvoir s'attaque aux têtes. Des groupes sont créés sur les réseaux sociaux pour discréditer les figures de la contestation, avant que les services de sécurité ne passent à l'acte. Karim Tabbou, Samir Benlarbi, le moudjahid Lakhdar Bouregâa, Fodil Boumala, Rachid Nekkaz, Ali Ghediri..., les arrestations musclées se multiplient dans le but de faire taire la protestation et de créer un climat de terreur. Cela ne marche pas. Cinq candidats, Ali Benflis, Abdelmadjid Tebboune, Abdelaziz Belaïd, Azzedine Mihoubi et Abdelkader Bengrina, ont accepté de concourir pour le poste de président de la République. Une campagne électorale timide est entamée. Cela ne prend pas. Mais cette compétition place sur le devant de la scène les luttes de clans au sein du pouvoir. Alors qu'Abdelmadjid Tebboune est longtemps considéré comme le favori, un segment dans le sérail a tenté d'imposer la candidature d'Azzedine Mihoubi. Mais malgré les manifestations qui se déroulent le jour même du scrutin et un taux d'abstention record, Abdelmadjid Tebboune est déclaré vainqueur. Dès le lendemain, il tend la main au "Hirak". Une année après, la problématique politique à laquelle fait face le pays demeure cruellement posée.