Liberté : Le président américain, Donald Trump, a annoncé, jeudi, un accord de normalisation des relations entre Israël et le Maroc. Comment expliquez-vous cette annonce qui intervient dans un contexte de tension dans la région ? Hasni Abidi : À suivre la diplomatie américaine, j'ai le sentiment qu'elle s'est alignée sur celle d'Israël. Elle fait même mieux ! Le président Trump veut marquer son départ. En deux mois, il a réalisé un grand exploit : normaliser les relations entre Israël et quatre Etats arabes ! Les tractations ont commencé très tôt, et le royaume marocain fait figure de favori depuis la désignation du gendre de Trump, Jared Kouchner, comme conseiller en chef pour le Moyen-Orient. La dernière visite de Kouchner a scellé l'accord annoncé jeudi. Trump veut une cérémonie avant son départ de la Maison-Blanche, et à l'instar des cérémonies précédentes, il veut avoir à sa table le roi du Maroc. Ce qui me semble, toutefois, difficile. Un scénario ressemblant à celui des Emirats est à l'étude. Dépêcher son ministre des Affaires étrangères. Biden sera face à un héritage encombrant. D'aucuns voient dans cette normalisation une espèce de vente concomitante, entre d'un côté, la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et, de l'autre, la normalisation par le Maroc de ses relations avec Israël. Est-ce le cas, selon vous ? Nous sommes loin d'un accord de paix historique comme clamé haut et fort par le président Trump. La retenue marocaine en témoigne. Il s'agit d'une transaction entre trois Etats. Pour Rabat, le prix d'une normalisation avec Israël est la reconnaissance américaine de la "marocanité" du Sahara occidental. Le Maroc redoute l'arrivée d'une nouvelle administration démocrate moins enthousiaste au projet de l'autonomie du Sahara occidental et plutôt critique à l'égard de la monarchie. C'est pourquoi, il n'a pas hésité à conclure ce marché. D'autant plus que la situation internationale s'y prête. Plusieurs monarchies du Golfe et le Soudan ont initié des relations avec Tel-Aviv sans provoquer de grandes réactions populaires. S'ajoutent à cela les promesses de financement et d'investissement miroitées par les Emirats. La tentation était forte, et la monarchie a sauté le pas. La cause du peuple sahraoui sera-t-elle affaiblie, selon vous ? Les options se réduisent devant les Sahraouis. L'ouverture de plusieurs consulats à Al-Ayoun dénote la difficulté de sortir de l'impasse du statu quo. La non-nomination d'un envoyé spécial et le soutien massif de la France à la proposition marocaine sont les préludes à un arrangement entre les grandes puissances pour solder la cause des Sahraouis. En revanche, le deal entre Rabat et Washington montre que les éléments juridiques et politiques marocains n'ont pas convaincu. Sinon, pourquoi recourir à une politique de troc !? Quelles seront les conséquences de cette nouvelle entente sur la région ? Désormais, Israël est le voisin de tous les Etats arabes. Le Maghreb a échappé aux turbulences du Moyen-Orient et à la politique des alliances entretenue par Trump pour contrer l'Iran. Aujourd'hui, c'est la normalisation avec Israël qui va rythmer l'actualité politique et qui risque de cliver davantage les positions au sein du Maghreb. Comment l'Algérie va-t-elle évoluer dans cette nouvelle configuration ? La paralysie de l'appareil diplomatique algérien et l'absence du Président sont perçues à l'étranger comme une défaite de l'Algérie. Les Etats qui ont ouvert des missions consulaires à Al-Ayoun le font aussi contre un Etat absent qu'ils jugent comme un Etat malade, à l'instar de la Sublime porte dans ses derniers jours. La normalisation entre Tel-Aviv et Rabat s'accompagne d'une vente d'armement américain sophistiqué et d'une collaboration étroite avec des militaires israéliens qui survoleront l'espace aérien marocain. Rabat aspire à la position de première puissance militaire dans la région. Une configuration qui fait rêver les marchands d'armes, puisqu'elle relance une course à l'armement dans une région exténuée par les ravages du Covid et risque de mettre à mal le destin rêvé des pères de l'indépendance : le Grand Maghreb.