Pour le conseiller du président de la République chargé des archives et de la mémoire nationale, le "peuple algérien avait criminalisé la colonisation qui ne nécessite pas un texte de loi". Objet de polémiques récurrentes, le dossier sensible de la mémoire liée, notamment, au fait colonial risque une nouvelle fois de revenir au centre du débat. Et pour cause, le conseiller du président de la République chargé des archives et de la mémoire nationale, Abdelmadjid Chikhi, a déclaré, samedi à Alger, que "la criminalisation de la colonisation n'est pas une priorité dans le dossier de la mémoire dont je suis responsable", rappelant, dans la foulée, que le "peuple algérien avait criminalisé la colonisation qui ne nécessite pas un texte de loi". Les propos tenus par l'historien Chikhi interviennent, rappelle-t-on, au moment où l'Algérie et la France tentent, tant bien que mal, de traiter la question complexe de la mémoire, sous tous ses aspects, dans un climat souhaité "apaisé", et loin des récupérations politiciennes des deux côtés de la Méditerranée. C'est dans ce cadre qu'Abdelmadjid Chikhi a, d'ailleurs, été mandaté, fin juillet 2020, par le chef de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune, pour mener ce travail avec son homologue, l'historien Benjamin Stora, désigné par le président français, Emmanuel Macron. Il n'est pas exclu, dans ce contexte, que les déclarations de M. Chikhi soient motivées par la crainte de voir des députés algériens dépoussiérer la demande de soumettre à l'Assemblée populaire nationale (APN) un projet de loi criminalisant la colonisation française (1830-1962). En 2010, rappelle-t-on, quatre ans après la loi française glorifiant la colonisation (retirée ensuite par l'ancien président Jacques Chirac), des députés algériens ont préparé un projet de loi criminalisant la colonisation française en Algérie pendant 132 ans. La motion inhérente a été signée par une centaine de députés de différents partis représentés au Parlement, à leur tête le Front de libération nationale (FLN), porteur du texte. Si ce projet n'a pas pu aboutir, il n'en demeure pas moins que de nombreuses voix continuent de réclamer cette loi. L'influente Organisation nationale des moudjahidine (ONM) ne perd pas espoir, aujourd'hui encore, et tente de peser de tout son poids pour que cette loi voie le jour. Une loi qui, si elle finit par être adoptée, risque d'être perçue par Paris comme une nouvelle entrave au travail de mémoire, au moment où les relations algéro-françaises connaissent un dégel, après notamment la restitution par la France, le 3 juillet 2020, des restes de 24 combattants algériens tués au début de la colonisation française au XIXe siècle, un geste considéré comme "un grand pas" par Alger. Pour l'historien Amer Mohand Amar, chercheur au Crasc, la criminalisation du fait colonial ne sert pas le travail de mémoire, il reste encore "tout à faire". "Je pense que la question de la colonisation a été réglée avec l'indépendance du pays en juillet 1962. Reconnaître ou non la responsabilité de la France ne fera pas revivre nos chouhada", a-t-il dit d'emblée, en ajoutant, sur un autre chapitre, que les demandes de repentance ou de reconnaissance ne servent ni le pays ni son histoire. "C'est comme si notre indépendance avait besoin de l'onction politique symbolique de l'ancien colonisateur, afin d'être reconnue totalement", a-t-il affirmé, en appelant, en revanche, à la mise à disposition des chercheurs de moyens solides afin de "disséquer" et d'"explorer" sérieusement et profondément cette période de notre histoire, "à commencer par la levée des hypothèques sur les archives conservées en Algérie. C'est plus utile pour le pays que les demandes pathétiques de reconnaissance ou de repentance", a-t-il dit.